Portrait Foucault, à partir de Vingt ans et après

Portrait Foucault, à partir de Vingt ans et après de Thierry Voeltzel, mise en scène de  Pierre Maillet

Pièce jointe Mail« Je venais d’avoir vingt ans. A la porte de Saint-Cloud, je marchai vers l’autoroute (…) et levai mon pouce au-dessus d’une pancarte où j’avais écrit en grosses lettres : CAEN. » Été 1975.
Le conducteur qui s’arrête pour prendre l’auto-stoppeur, a une allure inhabituelle, chauve, avec des lunettes cerclées d’acier, il a une élégance décontractée et une curiosité constante pour les propos du garçon. Ils se lieront d’amitié.

Trois ans plus tard, paraît un livre d’entretiens entre le jeune Thierry Voeltzel et Michel Foucault. A l’époque, le philosophe avait tenu à garder l’anonymat. Quarante ans après, l’ouvrage ressort, dévoilant cette fois le nom du mystérieux auteur de cet entretien.
Pour cette première étape d’une future création intitulée Letzlov, Pierre Maillet garde la formule questions/réponses de Vingt ans et après et tient le rôle de Michel Foucault. Tapi dans la pénombre, au fond de la salle, il interroge Maurin Olles,  assis comme un élève bien sage et qui a presque l’âge du rôle, puisqu’il sort tout juste de l’Ecole de Saint-Etienne. Aux problématiques soulevées par le maître : homosexualité, politique, conflits familiaux, militance, travail, le jeune homme réplique avec aplomb, développe une pensée sans retenue, avec une franchise désarmante qui sidère l’homme muû qu’il a en face de lui.
 Le maître est fasciné par la liberté de ton et de pensée de son interlocuteur. A travers ses propos, les années soixante-dix apparaissent comme celles d’une sexualité débridée, d’utopies encore vivaces, comme la croyance en la révolution. A travers «le garçon de vingt ans par excellence», c’est toute la mouvance gay et militante de cette folle période qui se révèle.
Le théâtre, en faisant revivre ce dialogue, nous fait entrer dans l’intimité de la relation, et nous partageons la sensibilité de chacun. Pierre Maillet campe un Michel Foucault sûr de lui, mais chaleureux envers son ami et il sait aussi faire ressortir l’humour du grand intellectuel, même si les questionnements auxquels il expose le jeune homme rejoignent le sérieux de ses travaux.

Sur la sellette, parce qu’il est seul au milieu du plateau, face à son lointain interlocuteur, Maurin Ollies paraît tendu, puis on le sent de plus en plus  à l’aise et une certaine légèreté habite l’ensemble du spectacle, surtout lorsque les protagonistes se retrouvent côte à côte sur la scène. On est étonné de la vigueur que le théâtre peut donner à ces entretiens, et de l’effet de réel qu’il engendre, comme s’il avait la capacité de ressusciter les personnages et de les rendre présents quarante ans après. Le caractère oral du livre contribue à la vitalité de ces portraits croisés : celui en plein de Thierry Voeltzel et celui en creux de Michel Foucault. Et, au-delà, la peinture d’une époque.
Ce spectacle appartient à un cycle de portraits dessinés tout au long de la saison par des artistes associés à la Comédie de Caen. Formes légères, ils pourront, comme Portrait Foucault,  être diffusés hors-les-murs.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu à  Comédie de Caen le 13 octobre. Et en février 2016, près de Caen, à l’IMEC, Abbaye d’Ardenne 14280 Saint-Germain la Blanche-Herbe, Festival Écritures Partagées. T : : 02 31 29 37 37. Version complète lors de la saison 2015-2016.
Vingt ans et après est publié aux éditions Verticales.

 

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