Adieu Marc Dachy
Bien triste nouvelle : Marc Dachy vient de mourir à 62 ans d’un cancer du foie. Spécialiste incontesté du mouvement Dada, ce Belge à l’humour acéré, était historien de l’art mais aussi écrivain et ami entre autres de Philippe Sollers, Guy Debord, Christian Dotremont, peintre et écrivain du mouvement CoBra, Frédéric Baal créateur avec son frère Frédéric Flamand, du Théâtre-Laboratoire Vicinal de Bruxelles en 1970, qui se souvient : «La première fois que je l’ai rencontré en 1974, nous avions parlé toute une nuit d’art et de spectacles, il avait vingt-et-un ans et déjà une personnalité exceptionnelle.
Grand lecteur, il connaissait aussi bien l’œuvre de James Joyce que celle de Samuel Beckett qu’il rencontra souvent par la suite. Il voyageait partout dans le monde, notamment au Japon, toujours à l’affût des nouvelles tendances artistiques. Mais il était beaucoup plus que le grand spécialiste de Dada. Nous avions souvent avec lui de longues conversations sur le théâtre et sur nos spectacles de recherche, comme Chaman Hooligan ou I qu’il avait vus plusieurs fois mais aussi sur l’art contemporain qu’il connaissait remarquablement».
Marc Dachy avait beaucoup écrit, en particulier sur Francis Picabia, Marcel Duchamp… Il fonda la revue Luna Park qui parut de 1975 à 1982, puis de 2003 à 2009. Pour lui, «s’il doit y avoir un art jeune au vingtième siècle, il lui fallait en connaître les avant-gardes, comme autrefois la coupure cézanienne engendra ce que nous aimons. » Le deuxième numéro de la revue avait suscité l’exposition Écritures, graphies notations typographies en 1980, à la Fondation nationale des Arts Graphiques et Plastiques, rue Berryer à Paris, lieu qui avait préfiguré le Centre Georges Pompidou.
Il fit paraître dans Luna Park des textes inédits de Samuel Beckett, Antonin Artaud, John Cage, Gertrude Stein, Raoul Haussmann, Kurt Schwitters, etc. , et dans un numéro spécial qui lui était consacré, des textes et dessins de Sophie Podolski, (poétesse et graphiste belge née en 1954, auteure de Le pays où tout est permis, son seul livre, publié en 1972, et qui se suicida deux ans plus tard) ainsi qu’une graphie de Roland Barthes et des logogrammes de Christian Dotremont.
Il avait aussi, en 1993, dirigé la Biennale de Lyon consacrée aux avant-gardes du XX ème siècle. Marc Dachy obtint avec Son Journal du mouvement le Grand Prix du livre d’art en 1990. Et il est aussi l’auteur des Archives Dada. Chronique paru en 2005… En Belgique comme en France, Infatigable découvreur et toujours plein d’enthousiasme, Marc Dachy aura incontestablement marqué son époque. Adieu, Marc et merci.
Philippe du Vignal
Marc et moi, étions amis. Par devers tout-petites trahisons et grands silence-nous étions amis… Sa fidélité, quand il aimait, était d’airain. Tous les prétextes étaient bons pour que nous filions dans la nuit noire, divaguant au gré du vent, libres et joyeux, vers le Rosebud, un pub qu’il affectionnait, avant de sortir, repus et gris, de gargantuesques dîners arrosés de Vouvray pétillant à la Coupole ou à la Rotonde…Nous en avons passés des années à arpenter Montparnasse, où Marc et son imposante silhouette étaient connus, parfois redoutés de tous, pour ses facéties les plus invraisemblables comme pour ses coups d’éclats tonitruants. Car, si Marc avait du miel dans la voix, ses mots, toujours précis, pouvaient aussi cingler comme une claque, et il était de ceux dont il vaut mieux être l’ami. Une nuit, alors que nous errions à notre habitude aux abords du jardin du Luxembourg, nous y entrâmes par effraction en déchirant nos vêtements sur les piques des grilles d’enceinte. Nous passâmes ainsi des heures à fumer clandestinement dans la rosée, frissonnants, à chuchoter des poèmes, pouffant comme des enfants sous un énorme massif qui nous cachait de la lumière lunaire et des lampes des gardiens… Mais nous nous fîmes surprendre et mener vers la sortie. Je me souviendrai longtemps de cette délicieuse parenthèse. Marc était imprévisible. A force, j’avais repéré qu’il se ramassait à la manière d’un fauve prêt à bondir lorsqu’il allait faire une blague, comme arracher du sol un petit chien et faire mine de s’enfuir à toutes jambes, faisant hurler de désespoir la maîtresse du dit petit chien, ou profiter d’un moment d’inattention de voisins de table au restaurant pour échanger leurs plats à une vitesse fulgurante!
Ses derniers mots: « Je vous écris ». Belle épitaphe et si juste. Il n’en eut pas le temps, hélas!
Laura Antonietto