Soulèvements

13587Soulèvements, création collective des Comédiens Voyageurs, texte de Marcel Bozonnet et Judith Ertel, avec la collaboration de Sophie Wahnich

Comment et pourquoi un peuple se soulève-t-il ? Le causes ne sont jamais tout à fait les mêmes mais se conjuguent très souvent et se répètent à travers les siècles. A la base: des injustices sociales et politiques de plus en plus violentes, et, en particulier, une surcharge fiscale aux méthodes de perception douteuses, qui  donnent vite naissance à un mouvement collectif  populaire, avec, dans un premier temps, des cortèges dans la rue, et ensuite et toujours, une résistance  des classes dominantes comme en 1789, quand avait été décrétée la loi martiale.
Le répertoire est vaste! Emeutes du sucre à Paris en 1792, insurrection à Saint-Domingue de 1791,  sacrifice de Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant à Tunis dont  le suicide par le feu en 2010 fut à  l’origine de la révolution qui écarta le président Ben Ali du pouvoir,  et fit naître dans les autres pays ce qu‘on appela le Printemps arabe, etc…

   Marcel Bozonnet, Valérie Dréville et Richard Dubelski ont donc voulu mettre en scène cette parole collective qui surgit de textes d’orateurs, d’écrivains ou de journalistes: extraits de discours de Robespierre et Mirabeau, relation du supplice atroce de Damiens, remarquablement dite par Valérie Dréville. Le jeune homme  avait essayé de tuer Louis XV avec un canif et malgré le pardon du roi, il fut «tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux », devant… une foule immense. Cela se passait à Paris,  il y a un peu plus de deux siècles seulement.
  Les comédiens disent aussi des textes de Bossuet, Victor Hugo, Aimé Césaire, Alejo Carpentier, et des articles sur les soulèvements  récents à Tunis, à Alep et au Caire. Sur le plateau nu, une sorte de sculpture en tubes fluo blanc, et au sol, des bandes noires et blanches, et tout autour une ligne de sable en rond qui se termine par trois tas coniques du même sable à l’avant-scène, scénographie assez prétentieuse dont on voit mal la nécessité.
Mais les trois excellents comédiens ont une maîtrise absolue des textes, et l’émotion nait souvent, m
algré une mise en scène souvent maladroite : pourquoi ces balayages de sable, pourquoi ces interventions depuis le balcon de la salle…?
Ce montage de textes est à l’évidence trop long, et, à la fin, devient lassant. La faute sans doute aussi à une dramaturgie dont le fil rouge n’est pas évident et dont le dénominateur commun, un peu facile, est le soulèvement. Ce qui ne fait pas théâtre à coup sûr! Même et surtout quand les voix sont soutenues par de la musique: tambour, clarinette ou guitare électrique.
La bande de  lycéens de terminale devant nous n’accrochait guère, ce qui est toujours mauvais signe, et manifestait son mécontentement en bavardant…
Le spectacle a cependant le mérite de nous faire (re)découvrir des textes qui nous disent toute la faculté des hommes à se révolter, quelque soit le régime en place, et cela depuis l’antiquité. Bon avertissement déjà finement analysé par Nicolas Machiavel: “Les soulèvements d’un peuple libre, écrivait-il, sont rarement pernicieux à sa liberté”.

 Philippe du Vignal

Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud,  Paris 11 ème, jusqu’au 25 octobre.
L’Apostrophe-Scène nationale de Cergy-Pontoise, les 27 et 28 novembre. Maison de la Culture d’Amiens du 1 au 3 décembre. Centre culturel Jean Gagnant à Limoges du 16 au 18 décembre.

 


Archive pour octobre, 2015

Junko Shimada, défilé de mode

Junko Shimada, défilé de mode.

IMG_5323Qualifiée de « la plus parisienne des Japonaises », cette créatrice, comme nombre de couturiers, cherche à faire sortir la présentation de mode de son carcan traditionnel. Installée à Paris en 1966, elle a ouvert  sa maison de couture en 1981, et sa première boutique en 1984.
 Pour elle, son métier reste un art artisanal, et elle le prouve avec ses modèles de prêt-à-porter, tant par leur fabrication que par leur présentation. Elle a montré, ce mois-ci, sa collection printemps-été 2016 sous forme d’un parcours-spectacle, proche de la performance ou  du happening.
  Des mannequins en chair et en os étaient installés, immobiles sur de petites plateformes tournantes… Seuls, le clignement des yeux, ou quelques mouvements pour se détendre, trahissaient la présence, sous les vêtements, de corps vivants.
 Bien que non dénudées comme  les sculptures  hyperréalistes de John de Andrea, ces mannequins ont créé un certain trouble parmi l’assistance. D’autant que trois d’entre elles étaient installées dans une vitrine de couleur jaune fluo. Le public, dans le petit espace traditionnel d’une boutique, était déconcerté par un tel dispositif : devait-il regarder la robe ou le mannequin ? Devait-il être un voyeur ou apprécier la qualité du travail de la créatrice ? Cette manière décalée de présenter une collection éprouve nos sensations. Les vêtements, de par leur motifs et leur couleurs, nous transportent dans l’atmosphère des stations balnéaires des années soixante/soixante-dix. Un voyage dans le temps, nostalgique, léger et bienfaiteur…
 Il faut souligner la qualité du travail de Junko Shimada. Loin des multi-nationales de la mode, elle continue à produire, dans son atelier de la rue Saint-Florentin, près de la place de la Concorde, des créations artisanales de a à z : de l’idée originale aux dessins de mode, (non réalisés à la palette graphique), puis à la fabrication  en atelier. C’est une collection faite à Paris, chose exceptionnelle aujourd’hui dans une économie totalement mondialisée ! Ce travail, comme celui d’autres designers japonais  plus connus,  comme Issey Miyake ou Yohji Yamamoto, montre l’étroite relation qui existe entre la scène et la mode. Tous deux  ont réalisé de nombreux costumes pour des chorégraphes, entre autres, William Forsythe ou Pina Bausch…

Jean Couturier

www.junkoshimada.com          

 

Salut(s) Michel

377-mcorvin_photo083Salut(s) Michel)

   L’Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle situé au 6/8 Rue François Simon à la Friche de la Belle de mai à Marseille, dont le chantier  avait commencé en mars 14, a ouvert ses portes comme prévu  en septembre dernier.
 L’IMMS  a été voulu comme  lieu de formation et d’émergence des métiers du spectacle et réunit l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes déjà implantée à la Belle de Mai, et l’Institut Supérieur des Techniques du Spectacle d’Avignon, pour développer un programme de formation initiale et continue en  arts et techniques du spectacle vivant. Il accueille un centre de formation des apprentis des métiers du spectacle, ainsi que la troisième année de l’ERAC, et constituera ainsi une passerelle entre formation et la professionnalisation.
  Le bâtiment, d’une superficie totale de 2 500 m² sur  cinq niveaux, abrite salles de cours, plateau numérique,  plateau de répétition, salle de conférences, ateliers, petits bureaux, et salle de spectacle avec gradins rétractables. Conçu par Patrick Bouchain, le lieu est fonctionnel et chaleureux à la fois, avec cafétéria à l’entrée pour les élèves, salles pour la plupart parquetées de beau chêne blond, aux grandes baies vitrées (avec, au besoin, un rideau opacifiant) donnant en partie sur une rue bordée d’immeubles.
  Le financement a été assuré par la Région et la ville de Marseille, et pour l’équipement technique par l’Etat. C’est un bel outil, dont Didier Abadie, directeur de l’ERAC, peut être légitimement fier, qui  a exigé dix ans de travaux préparatoires, recherches de financements et construction. Une seul regret: aucun panneau solaire ou photovoltaïque! On se demande bien pourquoi, surtout quand on sait que ce genre de bâtiment est gourmand en électricité, alors que la durée d’ensoleillement à Marseille est de plus de cinq cent heures par an.
  Michel Corvin, historien du théâtre et enseignant à l’ERAC, aura quand même, avant de mourir le mois dernier,  vu le bâtiment presque achevé, puisqu’il y a lu une fois du Claudel comme le rappelle une photo suspendue au-dessus de la scène où a lieu ce que l’on ne peut appeler un hommage mais  plutôt un geste d’amitié du directeur, des enseignants et techniciens, et des élèves  dont il était encore il y a peu leur professeur.
Avec des extraits de film où on le voit toujours brillant, comme celui où il commente avec précision et un certain humour parfois vachard, la pièce de Fabien Gaertner. Il y a eu aussi, par l’ensemble de la promotion 24, un florilège de citations de Michel Corvin, tout à fait exemplaires. Et cela faisait du bien d’entendre avec la foi  de leur jeunesse, ces jeunes apprentis comédiens les dire impeccablement mais avec parfois un peu d’émotion…
Alain Zaepfel a lu des extraits d’un livre à paraître, et Jean-Pierre Ryngaert et Frédéric Grosche, un des Diablogues de Roland Dubillard que Michel Corvin aimait beaucoup.
Il y avait aussi un extrait de film de la conférence qu’il avait donnée au festival de la Mousson d’été l’an passé.  Gérard Watkins auteur et metteur en scène,  a lu un texte de souvenirs très émouvants sur son voisin aux Lilas, tout près de Paris : “C’est bien cette reconnaissance là, non d’un professeur universitaire, mais d’un fou amoureux, d’un vigile incandescent, que tu suscitais en eux, et qu’à vingt ans, on sent ça, on sent quand il y a triche ou pas triche. Et que la triche, on vient d’en souper et qu’on en soupera et que la scène conjure le pas triche quoiqu’on en dise.
Comme par miracle, en face de chez moi, j’ai aussi découvert, par une belle journée pétante de soleil, que tu étais mon voisin, que tu bossais dans ton jardin avec une bêche, torse nu, et  ça m a tout de suite rassuré que j’étais bien à ma place dans cet endroit que j’avais baptisé avec prétention «the new place» parce qu’il y avait l’histoire du théâtre juste en face. Sa mémoire vive. Sous la forme d’un être. Et de livres par milliers.
Et je ne te remercierais jamais assez, Jacqueline, pour ces soirées à boire et à manger et à parler,  qui furent pour moi, trop peu nombreuses”.

  Très sobrement, Jacqueline Corvin, évidemment présente avec leurs deux filles, a clos ce beau moment en offrant à l’ERAC un cadeau somptueux: la bibliothèque de Michel Corvin…

Philippe du Vignal

A Marseille le 10 octobre.

 

Coûte que coûte

Coûte que coûte, d’Elisabeth Gonçalves et Montllo-Seth, mise en scène, chorégraphie et jeu de Roser Montillo Guberna et Brigitte Seth

 

brigitte et roser_5Dans un duo extrêmement bien réglé, des comédiennes-danseuses-chanteuses déclinent le double versant bonheur/malheur de nos existences et du monde. Le verre à moitié plein ou à moitié vide, c’est selon l’humeur. Comment peut-on dire «tout va bien», quand tout va mal autour de soi ? Telle est la question posée au public. Mais, avec un peu de bonne volonté, on peut au moins essayer d’être heureux.
Cette dualité tient d’abord au contraste entre les corps en scène : la plus fine s’oppose à la plus ronde, l’une semble plus tragique, l’autre plus joviale. Mais très mobiles, elles s’adonnent à une succession de gags visuels sur un plateau envahi de partitions posées sur des pupitres.

 L’installation, qui sera bousculée en cours de jeu, figure toutes les versions possibles de leurs états d’âmes fluctuants. Elles passent du rire aux larmes, de l’allégresse à la désespérance, changent d’avis comme de chemise, et déclinent en plusieurs langues (français, espagnol, catalan) un texte, assez minimaliste, composé des banalités du langage quotidien.
Ce show clownesque des deux femmes, usant (et abusant parfois) du comique de répétition, s’adresse directement aux spectateurs qui se reconnaissent dans les atermoiements et les contradictions des commères, et  en rient. Elles ne sont pas avares de leur énergie et, toujours en mouvement, joignent les gestes aux paroles et nous entraînent dans un tourbillon d’interrogations joyeuses.
Réjouissant.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu à la Comédie de Caen le 13 octobre. Du 7 au 25 décembre au Théâtre National de Chaillot

Récits des événements futurs

Récits des événements futurs, mise en scène d’Adrien Béal

   Récits-des-évènements-futurs-Doug-DuboisCela parle à la fois de l’invention de la bombe atomique, arme absolue, mais aussi d’écologie et de la fin de l’humanité sur la planète, comme si c’était finalement son désir le plus profond. Cela parle aussi en parallèle de conflits personnels chez toute une série de personnages. La pollution, atomique ou non, est un des thèmes récurrents du théâtre contemporain : on pense bien sûr, entre autres, au récent et remarquable monologue de Nicolas Lambert avec La Pompe Afrique mais aussi aux Pièces de guerre d’Edward Bond, au Soleil des eaux de René Char, ou à l’Apocalypse différée du grand Dario Fô…
  Ici,  comme le dit Adrien Béal, il y a «une recherche et un travail d’improvisation. Nous tenterons, par le théâtre, de mettre en jeu les conflits intimes et politiques générés par notre rapport si particulier à la catastrophe. ». Sous l’influence du livre du brillant essayiste autrichien Günther Anders (1902-1992):  Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse. Cousin de Walter Benjamin, un temps mari d’Hannah Arendt, ami de Bertolt Brecht, Stefan Zweig et Alfred Döblin, il ne cessa de mette en garde ses concitoyens contre le danger des industries nucléaires
Sur le plateau, finement scénographiée par Kim Lan Nguyen Thi, une sorte de curieuse salle d’attente aux murs vert pâle comme dans un cauchemar, toute en oblique avec deux fenêtres: l’une carrée et l’autre l’autre rectangulaire, avec deux tables et chaises en bois et vinyl noir, design des années cinquante, et accrochées au mur deux banquettes hautes avec repose-pieds où vont s’asseoir les acteurs qui ne jouent pas. Au fond de ce lieu clos, une seule porte.
Le tout, éclairé par trois plafonniers de tubes fluo, ce qui semble actuellement  très tendance chez les jeunes scénographes…
  Vont se dérouler dans cet univers assez glauque une série de séquences de la vie quotidienne  où on va parfois retrouver, si on a bien compris, comme dans une sorte de tricotage, des personnages qui portent les prénoms des comédiens : Benoit Carré, Bénédicte Cerutti, Charlotte Corman, Lionel Gonzalez et Zoumana Meïté.
Ainsi Zoumana, un mage africain reçoit Benoît, un homme d’affaires costume/cravate. M. Zoumana aquelque chose de grave à lui dire : «Sous le soleil qui brille, éclate la mort». Dans la séquence suivante, la femme de Benoît lui annonce qu’elle a pris deux billets pour un voyage en amoureux dans les Seychelles. Il lui dit qu’il ne peut pas et qu’il faut reporter à plus tard ce voyage mais elle lui répond qu’à ce moment-là, ils devront y aller à trois avec le bébé qu’elle attend.  Il lui  avouera finalement ce que le mage lui a dit.
Il y a aussi l’histoire bien ficelée  (celle d’Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, une pièce ensuite adaptée par Arthur Miller) de deux frères, dont l’un est médecin dans une centre thermal et l’autre maire de la petite ville. Conflit cornélien : l’eau des thermes est gravement polluée, révèle le médecin à son frère. Soucieux du bien-être des curistes, il le met en garde ; il a d’ailleurs annoncé la nouvelle à la presse locale. Fureur de son frère qui veut étouffer l’affaire pour garder les voix de ses électeurs! « Si tu publies ton rapport, tu ruines ta ville natale ». Et il lui rappelle, petit chantage à l’appui, qu’il l’a sorti il y a quelques années de la misère ou presque ! Il faudrait de toute façon 15 millions d’euros pour faire les indispensables travaux d’assainissement, somme que ce maire ne possède pas. 
  Une autre séquence raconte la visite d’un couple dont le frère du mari, on va vite le comprendre, est hospitalisé dans un établissement psychiatrique mais qui veut en sortir. Il dit qu’il fait toujours le même cauchemar : il a tué 200.000 personnes en lâchant une bombe atomique depuis son avion. Il dit aussi qu’il est en train d’écrire son autobiographie…
 Il y a aussi l’histoire d’un homme qui  raconte la chute d’une grue, et sur la photo qui a été prise de cet accident, on voit clairement sa silhouette. Comme on la voit également sur les photos d’autres catastrophes,  comme ce téléscopage entre deux gros bateaux. Hasard ou fatalité de sa présence inexplicable ?
On revient ensuite, semble-t-il, à l’histoire des deux frères: -Mesure les conséquences de tes actes, dit le maire à son frère qui lui réplique: » Tu veux que l’on dise à mes enfants que leur père n’a rien dit, alors qu’il y avait des morts tous les ans ? »
  Ces dialogues, à deux ou trois personnages sont joués très sobrement par les cinq jeunes comédiens, tous très crédibles, bien dirigés par Adrien Béal qui  n’en est pas à son coup d’essai mais qui réussit là un beau travail dont les dialogues sont souvent de grande qualité. Plus que les quelques  monologues, eux  plus laborieux .
  Sans doute, le spectacle est-il encore brut de décoffrage: il y a souvent des à-coups dans le rythme, la vidéo de nuages qui passent derrière les fenêtres n’est pas des plus utiles, et on ne voit pas toujours très bien où Adrien Béal veut nous emmener… Bref, il y encore du travail- c’était la première- mais, parmi les nombreuses mises en scène dont le texte est le résultat d’improvisations, c’est une des plus réussies que l’on ait pu voir récemment. Donc à suivre de près…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé au Studio-Théâtre de Vitry du  9 au 12  octobre.
Théâtre de l’Echangeur à Bagnolet, du 30 octobre  au 7 novembre, du lundi au samedi à 20h30 et le dimanche à 17h (relâche le mercredi 4 novembre).
Théâtre du Garde-Chasse aux Lilas le 21 novembre.
Au Tandem Douai-Arras, les 24 et 25 novembre, et au Théâtre de Vanves, les 27 et 28 novembre.

 

 

 

Testiculations de Geoffrey Paul Gordon

Testiculations de Geoffrey Paul Gordon, traduction de Stéphane Valensi et Iann Fénelon, mis en voix de Paul Spera


Geoffrey Paul Gordon, dramaturge, interprète, réalisateur et enseignant dramaturge. Sa première pièce, Short Change a été un succès à off Broadway  et a été traduit en russe. L’écrivain y raconte la vie de Maury Lesser avec l’écriture de comédies, le mariage, la paternité et plus. Testiculations est née de l’expérience du dramaturge qui  a donné des cours dans un prison à haute sécurité pour hommes accusés ou soupçonnés de graves délits, en général des atteintes à la personne.

 Il y a ici comme un concentré de vie carcérale avec un surveillant noir, un très jeune enseignant fort de ses certitudes mais pas très rassuré quand le surveillant doit d’éloigner pour régler un problème, et deux jeunes, l’un noir et l’autre blanc, tous deux très peu motivés par l’apprentissage de quoi que ce soit, persuadés que cela est du fait de la classe dominante et que cela ne changera jamais rien à leur vie future. A la question : « C’était vraiment ce que vous racontez dans vos dialogues, ce degré de violence dans la prison où vous avez enseigné? Geoffrey Paul Gordon, présent à cette lecture, nous a répondu : «Non, malheureusement, c’était dix fois pire ! »
Testiculations a été donné en lecture par des ex ou actuels élèves du Conservatoire national. Cela se passe dans une taule américaine où tout est là pour une montée inexorable de la violence. Il y a en effet une incompréhension totale entre ce sur quoi le jeune professeur de philosophie  voudrait faire réfléchir et l’absence totale de motivation chez ses deux élèves qui ont de la société une image radicalement négative.
Alors à quoi bon apprendre quand n’existe aucune possibilité réelle d’intégration, quand ils sortiront un jour de cette prison de haute sécurité, après des années  de lente destruction psychologique! Bref,c’est mission impossible pour n’importe quel enseignant, même le plus habile, même le plus généreux. Se croyant en danger,  le jeune enseignant lancera un dictionnaire à la tête du jeune noir qui mourra de ses blessures. Mais l’autre jeune détenu blanc le défendra….
Pas de prêchi-prêcha chez l’auteur mais une courte tranche de vie, nette et précise.  Comme l’auteur nous l’a rappelé, il y a plus de  deux millions trois cent mille personnes qui sont emprisonnées aux Etats-Unis soit environ 1% de la population adulte de 230 millions de personnes,  soit un adulte blanc sur 106, un Hispanique sur 36 et un Noir de 20 à 34 ans  sur neuf !  Chez les femmes, une  noire sur 100 et une Hipanique sur 297, contre une  blanche sur 355 !
Cette mise en voix est juste, sans éclats de voix,  très bien dirigée par Paul Spera, et remarquablement interprétée par James Borniche, Sélim Zahtrani, Frédéric Konogom et Paul Spéra; Yumi Fujimori, elle, dit les didascalies.

 Et il n’y a pas loin, ce qui est rare, de cette lecture, sobre mais très efficace à une possible mise en scène de la pièce qui bénéficie d’une bonne traduction. On le signale aux directeurs de salle, programmateurs…  


Philippe du Vignal

La pièce a été montée par la New Media Repertory Company à New York et a été lue pour la première fois en France le 5 octobre au 37 rue des Trois-Bornes à Paris. 

 

 

Orphée aux enfers

Orphée aux enfers, conception, scénographie et mise en scène de Pierre Blaise, musique de Jean-Pierre Arnaud/ Ensemble Carpe Diem

f-ebf-5416f520ba6f2Pierre Blaise, qui vient de reprendre le Théâtre aux Mains nues, à la suite d’Éloi Recoing, nommé à la direction de l’École Internationale de Marionnettes de Charleville-Mézières, présente une nouvelle étape  de ce spectacle,  toujours en cours d’élaboration.
  Un premier travail avec marionnettes et musique, en collaboration avec l’ensemble Carpe Diem, avait été entrepris dès 2012 au cours d’un stage avec une dizaine de jeunes professionnels de l’Atelier Arketal de Cannes. Pour ces premiers essais, la compagnie avait utilisé une série de marionnettes neutres à gaine. Et, en 2013, l’Ensemble Carpe Diem avait permis une confrontation des sources musicales possibles pour cet opéra.
« Orphée nous redit le mythe grec de celui qui est descendu jusque dans les enfers pour retrouver son amour perdu : Eurydice. La musique d’Orphée, dit le metteur en scène, berce et endort Charon l’épouvantable passeur des âmes. Il profite de son sommeil pour lui voler sa barque et… c’est une des plus belles histoires de l’humanité. La musique, l’amour, la mort, l’espoir… Les marionnettes, figures animées, sont de la matière magique. Elles portent en elles et colportent les contes et les grands mythes depuis la nuit des temps. »
Dans la petite salle du Théâtre aux Mains Nues, un public d’une cinquantaine d’enfants. Devant un castelet bariolé, un clarinettiste lance les premières notes, esquisse la terrible histoire de la perte d’Eurydice piquée par un serpent, et la quête d’Orphée pour la retrouver dans les enfers. Mais il va la perdre car il s’est retourné pour la voir… Les marionnettes ont une tête figurée par un simple cercle jaune, mais elles vivent sur des trapèzes  se déployant dans l’espace, grâce à la musique de Jean-Pierre Arnaud  et à la parole des manipulateurs.
C’est un spectacle très prometteur mais encore en devenir.

Edith Rappoport

Le spectacle a été présenté au Théâtre aux Mains Nues, Paris,  du 9 au 11 octobre.

Quoi, mise en scène de Marc Vittecoq et du collectif La vie brève

Quoi, mise en scène de Marc Vittecoq et du collectif La Vie brève: Margot Alexandre, Jean-Baptiste Azéma, Caroline Darchen, Raphaël Defour, Nans Laborde-Jourdàa, Tamaï Torlasco

 

quoi-hd01marc-vittecoqAssis sur l’un des premiers rangs du public installé sur un plateau tri-frontal, un homme jeune en débardeur, se lève, muscles apparents et bras levés, et lance sa belle amertume contre la dureté du monde. Pendant Quoi (rien à voir avec la pièce de Samuel Beckett), on comprend que celui qui vient de s’exprimer si violemment, en sortant et en claquant la porte, est l’éboueur désigné dans le texte de présentation. Au milieu des spectateurs, les autres comédiens se lèvent, discrètement comme dans un cours de théâtre  pour aller faire son impro,.
Une professeure des écoles s’attendrit sur la spontanéité de sa classe mais s’émeut quand certains jeunes élèves s’inventent des auto-agressions pour se distraire, tandis que le partenaire de la dame l’écoute en s’étonnant plus ou moins.  Une comédienne raconte à une amie, après avoir joué avec elle une scène mouvementée de meurtres en série, ses week-ends comme coach professionnel pour des jeux de rôles et fictions d’un jour ou deux pour cadres. Mais tout cela a l’allure de comédie charmante un peu mièvre.
Noyau du spectacle, le récit sur l’histoire d’un père et patron en train de mourir; la succession de l’entreprise revient au fils aîné, à moins que l’on ne tienne compte des dernières paroles du père accordant sa préférence au cadet, selon les dires non vérifiables de ce dernier à son grand frère.
Il est aussi question encore de relations entre patron et employés, et de menaces de licenciement pour quatre-vingts d’entre eux ; le futur ex-salarié signifie sa différence d’avec le directeur, en lui rappelant que, s’il peut lui arriver, à lui, l’employé, de venir tailler la haie de son jardin, l’inverse reste improbable: jamais le patron ne taillera sa haie. Sur la sellette donc: précarité du travail et argent dont on a besoin pour vivre, relations socio-économiques de pouvoir et d’exploitation, mais aussi, et heureusement, amour et sentiments.
Les acteurs jouent à merveille les rencontres hasardeuses, la tendresse qui peut circuler et se déployer, de l’un à l’autre, devant les toiles d’un musée. Hésitations diverses et réciproques, naissance ineffable du trouble et impossibilité à le contrôler, peur de perdre son identité et son quant-à-soi, difficulté de s’inscrire dans l’existence, font le miel du jeu subtil des interprètes.
Le collectif La Vie Brève est talentueux quand il fait surgir aux yeux du monde les mouvements intérieurs et éternels qui bouleversent les jeunes êtres en herbe.
Mais le spectacle est un peu trop léger, en dépit du travail fourni, et tourne en rond comme un miroir que les acteurs se tendraient à eux-mêmes et entre eux, sans jamais s’extraire de la protection de leur cocon initial.
Ce collectif, sincère et efficace, prendrait de la graine et aurait plus confiance en lui, s’il se confrontait pour écrire, à une matière plus solide.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Cité Internationale, jusqu’au 24 octobre. T : 01 43 13 50 50.

Tsumori Chisato, un défilé de mode original

Tsumori Chisato, un défilé de mode original.

imageLa créatrice de mode japonaise a décidé, pour la présentation de sa nouvelle collection de prêt-à-porter, d’embarquer les spectateurs dans un voyage sous-marin, et a choisi un lieu symbolique : Elephantpaname, un centre d’art de 500 m2, près de l’Opéra Garnier, ouvert à des cours de danse, à des expositions temporaires et parfois à des spectacles.
Cet hôtel particulier, érigé sous Napoléon III et surmonté d’une voûte étoilée, est un espace rêvé pour accueillir la collection printemps-été 2016 présentée par les huit mannequins de Tsumori Chisato.
Une vidéo explicative nous montre un petit homme, en tenue de plongée, qui part à la recherche de la femme idéale à travers les méandres des motifs de tissus colorés. On le retrouvera aussi sur les premières robes du défilé. Les mannequins se succèdent sur de petits podiums, chacun éclairé par une douche de lumière, le reste de la salle étant plongé dans l’obscurité. Une musique originale de Mode-F nous emporte dans les abysses, avec, comme seul élément de vie joyeuse, les teintes vives et les dessins parfois naïfs des vêtements qui se suivent à un rythme harmonieux.
  C’est  une autre façon d’apprécier la beauté de ces créations de mode et les mannequins, pour une fois, ne passent pas rapidement, comme c’est souvent le cas dans les défilés traditionnels. Les paupières des jeunes femmes, couvertes de feuilles d’or, répondent aux étoiles de la coupole.
Tsumori Chisato n’a jamais travaillé pour la scène, et pourtant ses coupes et dessins pourraient aisément illustrer La Flûte enchantée ou les pièces fantastiques de Maurice Maeterlinck. «Quand je me regarde dans le miroir, dit-elle, je suis toujours surprise de ne pas voir une enfant.»  

 Le public est sorti heureux de ce calme voyage dans la beauté. Une façon décalée d’apprécier l’univers de la mode, empreint, d’habitude, d’une certaine hystérie.

Jean Couturier

www.elephantpaname.com  www.tsumorichisato.com      

Angelo, tyran de Padoue

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Angelo, tyran de Padoue, adaptation de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Cécile Arthus

 

OC_Angelo_092015_photo_Arthur_Pequin_MG_9715Victor Hugo écrit Angelo en 1834, à trente-deux ans. Pour nous, c’est presque encore l’adolescence mais  à son époque, c’est la maturité. Pourtant la pièce a l’élan, l’impatience, la révolte, l’intransigeance et, il faut bien le dire, le simplisme de la jeunesse, que, du reste, Victor Hugo semble n’avoir jamais perdue. Binaire, tranchant, il ne remet pas en question la double image de la femme que son temps lui impose, et dont il reste quelque chose aujourd’hui : l’ange et la femme perdue. Mais il leur donnera à toutes les deux le courage, la solidarité. Il veut « enseigner à quelles épreuves résiste la vertu de l’une, à quelles larmes se lave la souillure de l’autre. Rendre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde ».   
  Toujours binaire, on le voit, et un peu naïf, lui qui se vante tranquillement d’avoir «relevé» Juliette Drouet, «tombée» avec le sculpteur Pradier,  en  faisant d’elle son esclave littéraire éternellement reconnaissante et consentante.
Angelo, tyran de Padoue est un drame en prose, à peu de personnages, et le langage en est justement prosaïque. Ce qui permet quand même un peu de contradiction.  Le fameux tyran (Vincent Chatraix) tremble lui-même devant le mystérieux Conseil des Dix de Venise, et devant la courtisane Tisbé, mais ne craint pas d’exécuter sa femme sur un soupçon.

Tisbé  (Estelle Meyer), fille du peuple, volcanique, orpheline condamnée au théâtre et à la galanterie-c’est la même chose à l’époque), est vraiment une allégorie des opprimés puisant dans le malheur, la force de défier les puissants, et le rire de celui qui n’a rien à perdre.
 En face d’elle, sa rivale Catarina (Eugénie Anselin), l’épouse du tyran, fragile aristocrate vendue par mariage, puisera sa propre force dans leur duel. Car elles sont rivales, pour un jeune premier (l’excellent Lazare Herson Macarel) qui ne vaut pas plus que le Prince : une femme pour le plaisir, l’autre pour l’amour vrai et pur, et peu enclin à faire confiance aux femmes…
Et puis il y a un traître, l’indispensable Iago qui s’appelle ici Homodei (Fabien Marais), l’envieux qui a «souillé» la princesse de son désir, et qui se venge. Yann Bertholot joue Plus un sbire, dans la fonction de bouffon (Ordelofo), qui fait rater le crime : il faut bien que le théâtre console…
Le spectacle est avant tout populaire. Les émotions, les tourments, pourraient être ceux d’une cour de collège où deux filles s’écharpent pour un garçon, où un garçon fait une (mauvaise) réputation à une fille.
Et cela sans trahir jamais le texte de Victor Hugo dont la prose est celle de la vie même, et des sentiments crus. Ce que l’adaptation a ajouté, c’est une narratrice (Heidi Brouzeng, aussi musicienne et metteur en scène), un peu (trop ?) pédagogue, qui fait le lien entre la scène et le public.
C’est drôle et c’est juste : quand elle critique le sacrifice final de la «mauvaise fille» ainsi sanctifiée, elle le fait avec le cœur. Le cœur est alors la vraie raison, la source des principes. Et cela, c’est tout Victor Hugo.
La fête vénitienne est jouée dans une boîte de nuit plutôt minable, mais qui suggère très efficacement l’enfermement imposé par le tyran, paillettes et baudruches renvoyant le faste à sa vanité et à ses mensonges.
Même modestie, mais plus militante, dans les costumes : tout le monde est en jupe et collants de couleurs, l’idée étant d’inventer un neutre au féminin, pour changer, avec toute la liberté et la gaîté en couleurs pop que cela donne.
On a déjà vu Angelo mis en scène en costumes contemporains : cette fois, loin de la référence à l’opéra (La Gioconda  est inspiré par la pièce), on est dans la joie simple du déguisement. Joie qui électrise les comédiens : ils vont au bout des émotions de leurs personnages, les portent vaillamment, avec amour, laissant la distance critique à la narratrice qui  ne manque pas de cœur, on l’a vu, pour s’indigner, s’il le faut, contre Hugo lui-même.
Voilà un authentique mélo avec «croix de ma mère», un vrai spectacle populaire, intelligent et drôle, droit devant.
À guetter et à ne pas manquer dès qu’il sera repris.

 

Christine Friedel

 

Spectacle vu au NEST de  Thionville.

7 au 11 octobre 15  NEST – CDN Thionville-Lorraine
14, 15, 16 janvier 16  Théâtre ici et là, Mancieulles
20, 21, 22 janvier 16  CCAM, Vandoeuvre-lès-Nancy
23 et 24 mars 16  Comédie de l’Est, Colmar
29 mars 16 ( 2 représentations)  Scènes Vosges, Epinal
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