Visage de feu
Visage de feu, de Marius von Mayenburg, mise en scène de Martin Legros.
Les apparences ne trompent pas longtemps, ou du moins la normale n’est pas ce que l’on croit. Visage de feu nous présente une famille normale de la fin du vingtième siècle : père ingénieur, lisant les faits-divers pour se détendre le soir, mère au foyer taisant son amertume, fille, et fils adolescent, le garçon étant particulièrement tourmenté par sa puberté.
Le dérapage commencera avec le trouble provoqué par les mystères du corps féminin, le sang des règles sur la faïence blanche des toilettes. L’arrivée de Paul et de sa moto –le type du garçon sans problème- dans la vie d’Olga exaspèrent les tentations incestueuses de son frère. « Nous sommes une famille » ? Kurt, le garçon, l’entend ainsi : ma sœur est à moi, et pas à ce type qui se comporte déjà comme papa. Feu partout : il se brûle, entraîne sa sœur dans son épopée pyromane, jusqu’à la pire violence.
Marius von Mayenburg suggère que cette violence est tout aussi présente chez le père, avec son appétit pour les récits de meurtre, mais bridée, contrainte, là où elle est sans limite chez les enfants. Pour le dramaturge allemand, cette absence de limites est la marque du tournant du siècle (la pièce date de 1998) : pas de “valeurs“, rien n’est transmis, sinon un mode de vie que les enfants rejettent parce qu’on ne leur donne aucune raison, aucun motif de l’accepter, et qu’eux-mêmes n’ont aucun désir sinon celui de l’immédiat.
Il développe jusqu’au bout la logique d’une violence à l’état pur, comme il le fait dans Martyr, que l’on a pu voir la saison dernière mise en scène par Matthieu Roy. La pureté elle-même, dans les deux pièces, est une terrible et extrême tentation : du côté du nihilisme dans Visage de feu et du côté de l’intégrisme religieux (chrétien, mais on comprend que cela vaut pour tous) dans Martyr.
La pièce est jouée au Montfort dans un décor blanc, impeccable, qui fait d’autant mieux ressortir les souillures de la violence. Le jeu des comédiens, de même, est épuré, stylisé, parfaitement maîtrisé, y compris dans la représentation de l’excès.
Le collectif Cohue, né en 2009 à Caen, réunit les générations, comme il se doit en famille, entre débutants et comédiens expérimentés (qui sont souvent allés voir ailleurs, et du côté des plus novateurs), avec la même exigence formelle, la même qualité de travail.
Pourtant, on reste assez extérieur à ce spectacle d’excellente qualité. Mais les lycéens présents ce soir-là, ont retenu leur souffle tout au long de la représentation, et se sont défoulés ensuite par le rire : eux, au moins ont reçu le spectacle dans toute sa force.
Christine Friedel
Montfort Théâtre. T : 01 56 08 33 88, jusqu’au 18 novembre