Kabarets Kassés 1/2
Kabarets Kassés 1/2, de Bruno Edmond et Franca Cuomo
Ils le savent, eux aussi, qu’il faut interroger le passé pour comprendre le présent, et peut-être même, si l’on est un peu optimiste, pour protéger l’avenir. On se dit parfois qu’il n’y a plus rien à protéger, quand les déçus de la politique se réfugient dans la haine et se livrent pieds et poings liés au pire, pourvu que leur passion de revanche et de nuisance soit satisfaite…
Bon sang ! Nous ferions mieux d’être citoyens, et de prendre les choses en main, plutôt que de croire au père Noël et de lui en vouloir de cadeaux qui se paient cher ! Bref, le collectif Lamachinerie est revenu aux sources de l’histoire, avec la Grande guerre et la montée du nazisme.
Et ça fait mal. Ils ont choisi la forme la plus libre, la plus désespérée, la plus drôle aussi, celle que Karl Valentin et ses amis avaient trouvée pour tourner la censure. Ils lui ont donné le style qui s’impose, expressionniste, en hommage à Grosz, Otto Dix, et quelques autres qui partagent avec eux la force et la justesse du trait.
Capable d’un subtil « sprechgesang » (parlé/chanté), ils sont aussi rigoureux et saisissants musiciens qu’ils sont comédiens exacts, et historiens scrupuleux. Et surtout linguistes, car toute la politique est là, avec le sens donné aux mots, et dans celui qu’on leur ôte, subrepticement, pour mieux prendre le pouvoir sur les hommes, jusqu’à faire régner la barbarie.
Ils se sont nommés: Angst (Markus Fisher) et Zorn (Françoise-Franca Cuomo); ils jouent et chantent avec une précision infernale cette peur (Angst) et cette colère (Zorn), en nous regardant droit dans les yeux. Christiane Bopp, au trombone et Cyril Trochu, au piano et à l’accordéon, Sylvain Kassap, aux clarinettes, les « accompagnent » au sens plein du terme.
Il les soutiennent, dialoguent avec eux, apportent la note d’humour qui fait grincer et rire en même temps. À quoi tient le charme de ce cabaret anguleux ? À une nostalgie bien comprise, à un pessimisme joyeux, à leur amour inconditionnel de la musique, et à l’amitié qui passe, entre eux, et entre nous. C’est ainsi : la sorcière est dans la cuisine : nous savons que les contes pour enfants sont cruels, mais qu’ils ne trompent pas leur monde. Lamachinerie a déjà visité le monde pas si enfantin de Lewis Caroll : attendez-les au tournant, vous ne serez pas déçus.
Christine Friedel
Spectacle vu au château de la Roche-Guyon; tournée en Normandie et dans la région parisienne. T: 01 43 55 08 78