Festival des Boréales à Caen et dans sa région

 

Vingt-quatrième édition des Boréales.
 
C’est le plus important festival dédié à la culture des cinq pays scandinaves, des pays baltes, du Groenland et des îles Féroé. Fondées en 1992 par deux universitaires, Lena Christensen et Éric Eydoux, puis organisées par le Centre régional des Lettres de Basse-Normandie, Les Boréales ont, depuis longtemps maintenant, une riche programmation: pièces de théâtre, lectures, danse, cirque, performances, concerts, cinéma et vidéo, expositions, durant quinze jours à Caen, et dans la région de Basse-Normandie.
  Au programme de ce festival inauguré vendredi dernier, deux expositions dans la remarquable Abbaye aux dames, fondée au XI ème siècle par Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant qui, lui, fonda l’Abbaye aux Hommes. L’Abbaye aux dames (18ème siècle) abrite aujourd’hui le siège de la Région Basse-Normandie.

Exposition Normann Copenhagen

3610Group_Mormor_Blue_Blue_white.ashx_L’entreprise danoise emblématique du nouveau design scandinave, a été fondée en 1999 par Jan Andersen et Poul Madsen qui travaillent avec de jeunes designers, et qui propose mobiliers, tissus, éclairages, vaisselle, verrerie…
  Singularité : ces produits reprennent, avec une grande finesse, les codes bien connus du design scandinave haut de gamme: d’abord, selon une tradition déjà ancienne, une  fabrication conçue par des créateurs expérimentés dont les œuvres sont souvent et depuis longtemps entrées dans les musées, comme celles d’Alvar Aalto ou Borge Mogensen, des éditions en grand nombre et/ou voire très limitées, une fonctionnalité exceptionnelle, une connaissance du travail artisanal à la main et industriel avec une véritable expérience des matériaux, et un  minimalisme et une rigueur absolue (pas d’ornementation superflue, merci Martin Luther !).
Le design scandinave met aussi l’accent sur le respect de l’environnement (en principe),  avec des matériaux souvent naturels : coton, laine, bois blonds mais pas toujours car connotés Ikéa, comme le chêne, le frêne ou le hêtre, de provenance certifiée, huilés ou non mais rassurants, avec des lignes pures, des formes et couleurs douces proches de celle que l’on voit dans la nature au printemps ou en automne, associées au fer, à l’acier poli ou à des matières plastiques moulables (polymères et polyuréthanes), donc tout à fait contemporains.  Dans un équilibre parfois difficile à obtenir, compte-tenu des normes anti-feu imposées dans l’ameublement.

  Et cela donne quoi chez Norman Copenhaguen ? Entre autres, une table basse ronde à trois pieds, des chaises et tabourets de bar et de bons fauteuils aux pieds de chêne avec assise en matière plastique aux couleurs pastel,  et un gros canapé bleu pâle, aux formes rebondies et très douces à l’œil mais… curieusement moins confortable qu’il n’y semble à première vue.
 Des belles assiettes simples, rondes ou rectangulaires, boîtes cylindriques et tasses blanches, en porcelaine, avec quadrillage bleu en pointillé inspiré de nos toiles Vichy dont la particularité est de n’avoir ni endroit ni envers, avec trame et chaîne en bandes alternées bicolores pour rideaux, nappes, etc. Motif très ancien que l’on retrouve un peu partout en Europe du Nord.
 Mais aussi de beaux couverts de table en inox brossé, un peu lourds en main mais aux formes épurées, et un remarquable et beau casse-noix, constitué d’une seule bande, serrant la noix, sans doute efficace mais cher : 40 € ! Comme les pièces et mobiliers exposés ici, (on n’est pas ici du tout chez Ikéa et l’originalité, cela se paye).
  Les produits originaux de Norman Copenhaguen sont faits pour servir sans doute mais aussi pour être vus et pas partout (vous avez dit élitisme ?); c’est peut-être toute l’ambiguïté et le charme du design, toujours à cheval sur le passé et l’avenir, sur la fabrication hautement technologique et l’art, sur l’utilitaire et l’objet inutile mais séduisant… « Il y a, dit la théoricienne Anne Bony, obligation d’anticipation, le designer doit penser le devenir de ses produits. Le design est un métier de service, pas seulement un métier artistique ».
  Dans cette même Abbaye aux dames, On the ice, une série de photos de Ciril Jazbec, jeune  artiste slovène de  vingt-neuf ans, sur un village du Nord du Groenland et la vie de ses habitants, qui ressent déjà les effets du réchauffement climatique. Fortes images de cette population de quelques centaines d’habitants, qui voient la banquise restée moins longtemps chaque année. Il y a de belles photos, pas vraiment des portraits, d’ hommes au visages buriné, en bottes de fourrure, qui chassent encore le phoque, ont des traîneaux et des attelages de chiens comme depuis l’éternité, mais aussi des maisons, avec gros poèle cuisine avec hotte, et salon avec grand écran télé.
 Le village est visiblement très loin de tout, et les photos de ces immense étendues glacées en montrent  toute la solitude et la fragilité. Quand on regarde cette série d’une cinquantaine de photos souvent de grand format, loin de toute complaisance, on est frappé par ce mélange de modernité et d’outils et vêtements traditionnels,  et par l’extrême fragilité de toute une culture dont  la fin est sans doute proche.
Belle exposition mais aux légendes des plus limitées: nous aurons apprécié d’en savoir plus sur ces villageois à la fois si lointains, et si proches de nous par leur vie quotidienne domestique. Le réchauffement climatique est l’affaire de tous, et on aurait aimé que l’on n’offre pas au public papiers divers et cartes postales (utiles?) reproduisant les photos de Ciril Jazbec : il n’y a pas de petites économies d’énergie…
  Autre exposition que nous n’avons pas pu voir: celle de Per Kirkeby au Musée des Beaux-Arts; à la fois géologue, écrivain, sculpteur et graveur, il  a participé à plusieurs expéditions scientifiques dans le grand Nord.

  Du côté spectacle: trois chanteuses, d’abord, après le vernissage de ces deux expositions, sur un camion-scène d’orchestre rock, en plein air dans le jardin de l’Abbaye aux dames*, Hannah Schneider, jeune et belle danoise espiègle, au look très étudié, en mini-robe et chapeau noirs. Multi-instrumentiste, elle s’accompagne elle-même au synthé pour interpréter des chansons pop/folk souvent mélancoliques, en danois et en anglais. Pour accompagner ces mélodies, petits sablés et glog pour tous (c’est à dire vin chaud à la cannelle comme dans les pays nordiques).
  Au théâtre d’Hérouville-Saint-Clair cette fois, un concert avec Eglé Sirvydyté,  chanteuse lituanienne qui interprète de belles compositions, riches en harmonies et en rythmes, en s’accompagnant elle-même au piano. La balance est parfois assez limite entre la voix qu’on aimerait parfois plus présente, et le piano.
 En seconde partie, son amie, Alina Orlova, lituanienne elle aussi, est déjà venue par deux fois aux  Boréales. A vingt-sept ans ans, elle  a déjà un sacré parcours dans son pays et s’est fait connaître aussi en Angleterre, et dans le reste de l’Europe. Elle s’accompagne au piano (elle a une excellente pratique de l’instrument), interprète ses chansons pop-folk qu’elle a en partie composées elles-mêmes, et chante en anglais, russe ou lituanien.
“Les chansons, dit-elle, me viennent indistinctement dans l’une des ces trois langues. Le russe est ma langue maternelle, celle que je parle à la maison avec mes parents. Le lituanien est ma seconde langue, celle que j’ai apprise à l’école et que je parle dans la rue.”  Avec des morceaux courts (à peine deux à trois minutes) mais très intenses, et sans accompagnement sophistiqué. Elle chante souvent de façon mélancolique, comme avec une certaine distance mais aussi une sincérité absolue. Cela se sent tout de suite, même si on ne comprend et (encore) que les chansons en anglais.
Ce qui fascine aussi chez elle, c’est cette incroyable gestualité, quand elle est assise au piano, rythmant du pied, bougeant sans cesse sur son tabouret, passant vingt fois la main dans ses longs cheveux roux tout bouclés, pour remettre en place une mèche rebelle, regardant sans arrêt le public auquel elle s’adresse, en commentant en anglais ses chansons ! Aucun doute, elle chante magnifiquement et possède une sacrée présence en scène.

  whs_lahto_1-950x634Lähtö (départ), écriture collective de la compagnie WHS, direction: Kalle Nio

   C’était samedi dernier, jour de deuil mais la salle du Théâtre d’Hérouville était quand même presque pleine. Marcial di Fonzo Bo, le nouveau directeur de la Comédie de Caen, a salué la mémoire des victimes du carnage de la veille : “Nous voulons associer notre douleur et notre colère aux familles et amis des victimes des attentats de la nuit dernière, et partager avec vous un court extrait de l’article d’Edwy Plenel paru hier dans la presse : «Vendredi 13 novembre, toute une société fut la cible du terrorisme : notre société, notre France, faite de diversité et de pluralité, de rencontres et de mélanges. C’est cette société ouverte que la terreur voudrait fermer ; la faire taire par la peur, la faire disparaître sous l’horreur. Et c’est elle qu’il nous faut défendre car elle est notre plus sûre et plus durable protection.
  Parce qu’ils ne visaient pas des lieux manifestement symboliques, comme lors des attentats de janvier, il s’est dit que les terroristes auteurs des carnages parisiens n’avaient pas de cible. C’est faux : armés par une idéologie totalitaire, dont le discours religieux sert d’argument pour tuer toute pluralité, effacer toute diversité, nier toute individualité, ils avaient pour mission d’effrayer une société qui incarne la promesse inverse.
  Aussi douloureux qu’il soit, il nous faut faire l’effort de saisir la part de rationalité du terrorisme. Pour mieux le combattre, pour ne pas tomber dans son piège, pour ne jamais lui donner raison, par inconscience ou par aveuglement.La société que les tueurs voudraient fermer, nous en défendons l’ouverture, plus que jamais. La programmation d’aujourd’hui, et tout au long de la saison la Comédie de Caen, défend cette ouverture.
Nous vous remercions de votre présence qui confirme cette ouverture et cette pluralité. Au nom de tout l’équipe de la Comédie de Caen. Merci ».
Sur le plateau, rien d’autre qu’un grand rideau gris qui enveloppe aussi une table où sont assis une femme et un homme, dont on comprend vite qu’ils ont une relation compliquée.  Dans un silence total, lui pique des morceaux d’aliment dans une assiette blanche, et elle,  sert du vin mais la bouteille est vide et on n’entend seulement que le vin qui coule. Il lui jette rageusement les clés sur la table. et elle sort de table pour aller voir la mer dont on aperçoit les vagues sur la plage dans une ouverture du rideau… La scène se répète huit fois de façon identique.

 « Les sentiments, dit Kalle Nio, et les pensées sont exprimés à travers le mouvement de leurs corps et des vêtements, qui ont une vie qui leur est propre. La pièce reprend des thèmes abordés dans les films de Michelangelo Antonioni et les histoires courtes d’Hanif Kureishi, et questionne les possibilités de considérer une personne encore et toujours comme un étranger. L’absurdité et les malentendus dans les relations sont mis en avant, les acteurs communiquent à travers les transformations des vêtements ».
Avec de la magie dans l’air, comme ce manteau qu’il enfile mais le magicien Kalle Hakkarainen a quatre bras et mains..  Ce qui ne va pas lui faciliter pas les choses. Il y a aussi un moment fabuleux où il tente en vain de repasser une chemise qui se révolte constamment comme un objet indomptable, ou encore un jeu incompréhensible de grandes plaques de verre volant en l’air et que fait virevolter la danseuse Vera Selene Tegelman…
Ces mouvements, aussi magnifiques que poétiques, des vêtements et objets, sont obtenus avec des techniques de magie traditionnelle, mais aussi grâce à des capteurs électroniques et des créations vidéo, comme ces rideaux très plissés, à la fois filmés et réels qui se déplient sans cesse. Avec une interrogation chez le spectateur sur le virtuel et la réalité, accompagnée par une musique onirique de Samuli Kosminen.
  C’est fascinant aux meilleurs moments mais voilà : même si le spectacle ne dure que soixante-cinq minutes, il est, disons, précis mais bien mal foutu, avec de nombreuses longueurs inutiles. «Aujourd’hui, dit Kalle Nio, on fait du neuf en utilisant toutes les possibilités que nous offrent la scène et les équipements de théâtre pour créer des illusions qui parlent de la vie et qui replacent la magie à la pointe des arts scéniques. La magie nouvelle, c’est tout ce qui fait de la magie une forme d’expression pertinente et contemporaine».
Sans doute, le théâtre et la magie ont souvent fait bon ménage mais le scénario de Lähtö piétine et peine à s’imposer, ce qui finit par plomber le spectacle. Dommage…

  Signalons d’autres spectacles, dont nous vous rendrons aussi compte, comme Horror de Jakop Ahltom et aussi Andréas d’après August Strindberg de Jonathan Châtel (voir Le Théâtre du Blog), Le Front pop/Poprintama, issu d’un laboratoire de création du Théâtre Kom finlandais, dans la mise en scène par Guy Delamotte du Panta-Théâtre de Caen, et aussi La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène du remarquable metteur en scène lituanien Oskaras Koršunovas du 25 au 27 novembre.
Enfin pour les amateurs de littérature scandinave, une rencontre avec  la romancière finlandaise bein connue chez nous, Sofi Oksanen à l’IMEC, Abbaye d’Ardenne à Saint-Germain-La blanche herbe, et  deux journées sur le polar nordique face à la mondialisation et sur le polar au féminin, le dimanche 22 novembre à 14h et à 15h 30 au Musée des Beaux-Arts de Caen.

Philippe du Vignal

Les Boréales. T : 02 31 15 36 40.

*Visite guidée gratuite de l’Abbaye aux dames (une heure), tous les jours à 14h 30 et 16 h. (En français ou en anglais).

 

 


Archive pour 18 novembre, 2015

Trissotin ou Les Femmes savantes

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Trissotin ou Les Femmes savantes de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff

 

Philaminte, une de ses deux filles, Armande, et sa belle-sœur Bélise, admirent Trissotin, mauvais poète et cousin de Tartuffe qui, en fait, lorgne l’argent de cette famille bourgeoise. Mais le mari de Philaminte, Chrysale, son frère Ariste, Henriette, la sœur cadette d’Armande, sont eux, plus lucides mais assez lâches, comme impuissants, devant cet étrange personnage qui les fascine. Et Chrysale a bien du mal à contredire Philaminte qui veut lui offrir sa fille. Trois contre trois! Qui va gagner?

 Le beau Clitandre en a pincé longtemps pour Armande, mais, comme elle admirait Trissotin, il est alors devenu amoureux d’Henriette, et ils veulent se marier… Chrysale et Ariste y sont favorables, mais Philaminte, éblouie  comme Bélise par le personnage, veut qu’Henriette épouse Trissotin, mais aussi, comme, et plus curieusement, l’intelligente Armande qui est, elle, jalouse de voir sa sœur s’envoler avec son son ancien amoureux, et semble ainsi régler ses comptes.  Le mariage d’Henriette et Clitandre est donc compromis, même s’ils luttent contre ce Trissotin auquel ils tentent de s’opposer, avec l’aide cette fois de Chrysale, devenu enfin plus ferme. Mais, heureusement, Ariste, le frère de Chrysale, avec l’aide de Martine, la servante renvoyée par Philaminte (car elle ne respectait pas les règles de la grammaire !) et réengagée par Chrysale, arrivera à prouver, grâce à de faux documents, la duplicité de Trissotin qui sera ainsi mis en échec. Henriette pourra donc épouser son cher Clitandre…

 Cette comédie écrite par Molière en 1672, donc un an avant sa mort, a quelque chose d’assez amer et est surtout une satire de ses contemporains et  dénonce le pédantisme dans une société corsetée où le grand dramaturge met aussi habilement le doigt où cela fait mal: la misogynie, les méandres de la sexualité mais aussi l’évidence de la libido chez la célibataire endurcie et érotomane de tata Bélise, tout cela sur fond de dot et placements d’argent.  Dépassée, vieillotte cette histoire ? Que nenni ! Cela rappelle l’histoire de ce Thierry Tilly qui dut répondre de séquestration, de violences volontaires sur personne vulnérable et d’abus frauduleux. Il était arrivé à déposséder de son argent et de son château, il y a une dizaine d’années, une riche famille bordelaise où il s’était introduit…

 Molière montre ici le délire d’une mère et de sa fille, sous l’influence d’un gourou faux intello, séducteur ridicule mais aussi dangereux stratège qui vise aussi la dot d’une des filles pour arriver à ses fins et profiter cyniquement d’un confort bourgeois : « Pourvu que je vous aie, il n’importe comment ». Cela a au moins le mérite de la clarté! Cela nous rappelle étrangement la phrase d’un vague copain que nous citaient nos parents:  » L’une ou l’autre, qu’importe, c’est la maison qui m’intéresse. » Le célèbre dramaturge parle aussi d’une nécessaire émancipation des femmes, et a écrit une pièce, aussi souvent comique que pathétique, où règnent dans cette famille, le mensonge, les petites stratégies amoureuses ou pseudo-amoureuses, les manipulations, l’incapacité du père à prendre ses responsabilités. La critique sociale est virulente quand il montre cette maisonnée où tout part en vrille, et où on est parfois proche de la folie pure et d’un désastre final avec une jeune et belle Henriette, sacrifiée à Trissotin.

Macha Makeïeff a composé une sorte de galerie de personnages, à la fois pittoresques, ridicules et parfois touchants. Et il y faudra, comme dans Tartuffe, un coup de théâtre, l’astucieuse manipulation d’Ariste pour rétablir l’ordre social… «Toquée» comme elle dit, de Molière,  la metteuse en scène avoue être  fascinée par cette langue «si forte, puissante et difficile, inventive et musicale, écrite en alexandrins sonores». Et elle a parfaitement réussi à faire entendre cette «pièce immense». En mettant l’accent sur le personnage de Trissotin et en montrant comment ces femmes intelligentes sont soumises, l’une aux délices d’un certain pédantisme, les autres: au sexe, à la puissance maternelle, à la jalousie, à la volonté de se faire une place dans un monde d’hommes…

Tout cela est bien vu et finement interprété avec une impeccable diction. Macha Makeïeff  a eu raison de faire appel à Valérie Bezançon dont il faut saluer le remarquable travail qui permet d’entendre, comme rarement, ce texte fabuleux.  La metteuse en scène bouscule les repères traditionnels et a situé les choses avec une certaine distance, plutôt du côté de la farce, dans les années 1960, avec des costumes déjantés et des gag en série séries, comme ce téléphone mural qui ne fonctionne pas, et une scénographie qui rappelle celles des spectacles qu’elle avait conçus et mis en scène avec Jérôme Deschamps. Avec, entre autres, des portes battantes comme celles de leur fameux Lapin-Chasseur.

Sur le plateau, dans le genre gaguesque et très second degré, une vingtaine de chaises, fauteuils et banquettes disparates (c’est très à la mode en ce moment, voir dans Le Théâtre du blog, La Volupté de l’Honneur) et souvent d’une rare laideur  comme ces  sièges en vinyl noir ou de couleur criarde. Il y aussi une sorte de laboratoire vitré où Philaminte et Bélise se livrent à des expériences de chimie. Bélise notamment verse un liquide transparent dans une éprouvette, qui, en se transformant en fumée blanche, prend la forme d’un phallus !

 On pardonnera à Macha Makeïeff certaines approximations de mise en scène. Il faudrait qu’elle revoie le début de la pièce lente à démarrer sans doute et qui, ici, a du mal à prendre son rythme. Et on se demande bien pourquoi Martine nettoie les vitres très en hauteur debout sur une échelle, pourquoi un domestique trimballe sans raison des valises, ou enfin pourquoi une étagère toute en hauteur  et chargée de livres se décroche  comme dans la plus pure tradition des Deschiens. Ce n’est pas méchant mais ne sert à rien, et pollue visuellement un travail de grande qualité. Elle a su en effet choisir et diriger ses comédiens comme, entre autres, Marie-Armelle Deguy, remarquable  (comme toujours) en Philaminte,  Geoffroy Rondeau (Trissotin) qui a une formidable présence, Karyll Elgrichi  qui réussit à imposer le personnage secondaire de Martine), Vanessa Fonte qui crée un belle et fragile Henriette,  Thomas Morris, comédien et chanteur lyrique qui fait de Bélise une sorte de Castafiore bedonnante et trop maquillée,Vincent Winterhaller  (Chrysale).
Mais tous sont absolument crédibles et attachants, même quand ils sont ridicules comme Vadius, dès qu’il entrent sur le plateau, et le plus petit rôle est bien tenu, avec une belle unité de jeu et de solides arrangements musicaux de Jean Bellorini.

Le soir de la première à Saint-Denis, la salle était remplie de collégiens qui n’ont pas boudé leur plaisir à voir, deux heures durant, ces personnages venus d’un tout autre monde que le leur à Saint-Denis, où se passe au moment où on écrit ces mots, une tragique affaire en lien avec les attentats. Trois siècles plus tard, la pièce reste d’une rare intelligence… Macha Makeïeff n’a pas triché, comme le font souvent les metteurs en scène quand ils essayent de monter des classiques. On sent qu’elle aime vraiment Molière, et elle aura réussi son pari : nous faire rire (ce n’est pas un luxe en ce moment !) et entendre cette langue française formidable qui nous appartient à tous, comme un trésor vivant, avec jeux de mots savoureux à la clé: «Quand on se fait entendre, on parle toujours bien, dit Martine à Bélise qui réplique: « Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ? » Ce à quoi, Martine lui répond : «Qui parle d’offenser grand’mère, ni grand’père ? » Et Chrysale avoue :«Je vis de bonne soupe, et non de beau langage ».

C’est cela aussi la civilisation : aller librement dans un lieu de spectacle entendre notre langue, et non lire le franglais des affiches publicitaires du métro qu’on nous impose et que Fleur Pellerin, ministre de la Culture, trouve tout à fait légitime, parce que, dit-elle, « il y a beaucoup de touristes à Paris. » (sic) Sans commentaires.

Philippe du Vignal

Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis jusqu’au 11 novembre, et en tournée.

 

La France en deuil

 

 La France est en deuil, et toute l’équipe du Théâtre du Blog s’associe à la douleur des familles des victimes; nous pensons en particulier à Anne Silvestre qui a perdu son petit-fils au Bataclan.
Nous tenons aussi à manifester notre solidarité avec tous ceux qui vont continuer à travailler dans les nombreux théâtres à Paris.

Jour après jour, et tous ensemble, sans exception, il nous faudra résister à cette cruauté inadmissible qui a touché des innocents qui regardaient un spectacle, buvaient un verre à la terrasse d’un café, ou se baladaient à vélo tout près du restaurant Le petit Cambodge, où une de nos consœurs journalistes était assise une heure avant la fusillade.
C’est dire que nous sommes tous concernés. Mais n
ous continuerons à aller au théâtre et à vous rendre compte quotidiennement de l’actualité du spectacle. « Nous avons des nuits plus belles que vos jours » écrivait Jean Racine à un ami en 1662 et « Il nous faut, disait Wladimir Maïakowski, arracher la joie aux jours qui filent. »
Malgré le cortège d’horreurs qui nous a frappés ces derniers jours, restons tous debout.

Ph. du V.

le 18 décembre.

Hier, vendredi 21, le Théâtre de la Ville rouvrait ses portes et il n’y avait pas un seule place de libre pour le spectacle de la troupe de la Schaubühne berlinoise qui avait décidé de venir jouer. Quelles meilleures réponses à ces actes de barbarie qui nous ont frappé il y a juste une semaine…

 

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