Benjamin Walter
Benjamin Walter, texte et mise en scène de Frédéric Sonntag
Qui est Benjamin Walter ? Un auteur talentueux mais secret, disparu en juin 2011, sans aucune explication, après avoir renoncé à écrire… Dernier geste d’écriture, ou œuvre ultime et caractéristique d’un écrivain de l’exil et de la disparition ? En 2013, Frédéric Sonntag décide alors d’enquêter sur son œuvre et sa mystérieuse disparition.
Sa pièce retranscrit une enquête policière qu’il mène, depuis la chambre d’hôtel d’Helsinki où se sont arrêtées les traces de Benjamin Walter, jusqu’à Copenhague, Hambourg, Prague, Sarajevo, Lisbonne, etc.
Cette quête ne fait sens que si elle s’associe librement à une dimension littéraire suivant en parallèle le chemin de créateurs appréciés par Benjamin Walter : Bertold Brecht, Aby Warburg, Franz Kafka, Robert Walser, Fernando Pessoa, Roberto Bolano, Enrique Vila-Matas, Gilles Deleuze, Charles Baudelaire, Walter Benjamin… Entre théâtre documentaire, roman policier et autofiction, il y a, ici, une tension philosophique mais aussi politique et pleine de poésie, un projet existentiel.
Comment renonce-t-on ? Comment disparaît-on ? Le théâtre s’inscrit dans une volonté de témoigner et de rendre compte de l’histoire vécue, contre les oublis de la mémoire. Frédéric Sonntag s’inspire ici du Livre des Passages de Walter Benjamin, l’arpenteur de la ville, et de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, historien de l’art allemand.
La belle scénographie de Marc Lainé décline une mise en abyme du théâtre dans le théâtre, de la fiction dans la fiction… entre témoignages véridiques et vidéos d’images récoltées. Dans ce spectacle vivant et attachant, l’équipe de comédiens s’interroge sur sa quête artistique et, par nécessité, change de projet, quand le producteur fantasque commande, question de budget, une pièce documentaire, une expérience dite réelle et vécue.
Le metteur en scène part alors enquêter, et, à Paris, les comédiens commencent à répéter des bribes de texte qu’il leur transmet régulièrement par mails. Peu à peu, ils prennent le rôle, chacun à son tour, du pèlerin parti sur les routes qui s’arrête dans un hôtel, évoque une ville européenne, ou rappelle la mise à sac, passée ou contemporaine, de bibliothèques de certaines régions du monde.
Dans une cuisine où Paul Levis joue une musique rock, ces jeunes gens goûtent un vrai plaisir de vivre et construisent un espace théâtral, propice à leurs déambulations personnelles et aléatoires dans les villes, dont que les vidéos de Thomas Rathier montrent les images. Celui que l’on voudrait rattraper, jamais ne se laisse saisir, et la quête se fait finalement objet d’études et projet de vie : une rencontre de soi avec l’autre.
Et pourtant la route est longue ! (il faudrait écourter cette représentation qui dure trois heures trente !) : obstacles, culs-de-sac et déceptions s’accumulent. L’entreprise se révèle en effet infructueuse : les traces du héros disparu sont si rares… Et à chaque fois, il faut recommencer et trouver l’énergie nécessaire pour aller vers d’autres horizons, avec le même enthousiasme initial. Toujours y croire, et aller de l’avant.
Les interprètes fulgurants de vérité, s’inscrivent dans le temps, et leurs personnages nous font part de leur expérience, indécis ou sûrs d’eux, souvent là où on ne les attend pas. Dans un voyage imaginaire, ce beau collectif de comédiens, avide d’en découdre (Simon Bellouard, Marc Berman, Amandine Dewasmes, Clovis Guerrin, Lisa Sans, Jérémie Sonntag, Fleur Sulmont et Emmanuel Vérité), parle du monde qui va mal en ce moment.
Véronique Hotte
Théâtre de Vanves (92), du 11 au 14 novembre. La Ferme du Buisson (77), les 21 et 22 novembre. Le Grand R (85), les 9 et 10 décembre. Le Prisme de Saint-Quentin-en-Yvelines (78) le 12 janvier. Théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi (94), le 15 janvier.