Kyoto forever 2
Kyoto forever 2, une comédie fatale de Frédéric Ferrer
Verra-t-on, en 2050, cent cinquante millions de réfugiés climatiques ? Cela risque d’arriver, si la température augmente de trois degrés, comme c’est probable, et si on ne s’en tient pas sagement au degré et demi qui permettrait à la planète et à ses habitants de survivre. Attaquer de front la question du climat, au niveau des États et des organisations internationales, c’est entrer dans un labyrinthe apocalyptique.
Le temps n’est plus celui des scientifiques : maintenant, on sait. On est arrivé à celui des politiques, et au moment des choix. Moment est le terme exact venant du momentum latin évoquant le mouvement minuscule déclenché par un petit grain de sable ou une plume déposée sur un des plateaux de la balance et qui la fait pencher. Mais ce choix, trop sérieux pour être laissé à chacun, est donc confié aux mains expertes de professionnels de la négociation internationale.
Pas de quoi rire, ni faire rire, et pourtant Frédéric Ferrer et sa compagnie Vertical Détour y arrivent. Après toute une série de conférences-spectacles sur le climat, dont le premier Kyoto forever et le savoureux et stimulant À la recherche des canards perdus (sur la fonte des glaciers du pôle), ce Kyoto forever 2 vient heureusement questionner la COP 21, enfermée par mesure de sécurité, loin des manifestations de l’opinion.
Nous voici donc invités à la COP 28, en passant vite par-dessus les COP successives, les réussies, les décevantes, les bloquées, les remises à plus tard, les oubliées… La séance commence par une étourdissante avalanche de remerciements polyglottes (comme le sont les comédiens). Et l’on a beau ne rien savoir de la diplomatie onusienne, on reconnaît aussitôt sa magnifique langue de bois, bois précieux, en effet.
Le suspense de l’affaire est le suivant : arriverions-nous, en cinq jours, à un texte commun ? La réponse est: oui, bien sûr, il le faut. Les COP doivent en effet produire et ratifier un texte. D’où un travail acharné sur les virgules, les parenthèses, les crochets, bref sur les «modalisateurs» de précaution. D’où l’inévitable stupeur des participants voyant qu’en deux jours, sur les cinq prévus (mais on jouera les prolongations), on en est encore à la moitié du premier paragraphe!
D’où ensuite une galopade pour survoler le reste, allez hop ! Tout le monde est d’accord, surtout si le président n’écoute pas tout le monde. Derrière la très efficace comédie diplomatique, et les mises au point de plus en plus déjantées de Frédéric Ferrer au fil des interruptions de séance, sont ici posées de vraies questions de géopolitique. Par exemple : pourquoi traiter le problème des émissions de gaz à effet de serre, gravement responsables du réchauffement climatique, en bout de tuyauterie, et non à la source, autrement dit, en préférant laisser les combustibles fossiles là où ils sont, dans le sol ? Par exemple : l’écologie et le sauvetage de la planète sont-ils compatibles avec le capitalisme, tel que nous le connaissons ?
La Maison des Métallos a organisé toute une série d’actions autour de ces points (à voir sur son site), pendant toute la durée de la COP 21. Pourtant, ici, jamais ces questions urgentes ne nous “prennent la tête“ : Frédéric Ferrer pratique un pessimisme joyeux, avec une belle virtuosité. Techniciens précis, jeunes comédiens impressionnants en femmes et hommes de pouvoir-c’est la COP 28, et la diplomatie s’est donc féminisé- humour, rythme soutenu : il y a, avec ce Kyoto forever 2 quelque chose de précieux qui n’est pas en voie de disparition, c’est le plaisir du spectateur…
Christine Friedel
Maison des Métallos. T : 01 47 00 25 20, jusqu’au 6 décembre.