Nobody, d’après les textes de Falk Richter

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Nobody, d’après les textes de Falk Richter, mise en scène de Cyril Teste

  C’est une sorte de performance filmique, un spectacle en temps réel, immergé dans un dispositif où, récepteurs de la création, nous devenons complices et voyeurs malgré nous, en assistant à la fois, à la projection du film et à sa fabrication. Les  fragments  de textes politiques de Falk Richter : Sous la glace, Electronic City, Le Système et Ivresse, composent un matériau documentaire propice à la mise en relief d’un monde professionnel pour cette fiction.
Une donnée bien connue et à laquelle on n’oppose,  malgré tout, aucune alternative : les modes de vie mènent progressivement à la dépossession de soi. Et le cadre d’entreprise, «pris par ses responsabilités»,  se voit réduit à l’état de marionnette, manipulée par des forces économiques et médiatiques qui le dépassent.
Cyril Teste a élaboré un scénario entre théâtre et cinéma, sur le thème des dérives managériales et de la déshumanisation au travail. Jean Personne, cadre, perd ainsi pied avec lui-même et les autres : séparation avec son épouse, rencontres aléatoires avec sa maîtresse, et relations difficiles avec ses  collègues proches, ou moins proches. 
Personne, ce nouvel Ulysse, consultant aux mille tours en restructuration d’entreprises, est une caricature de jeune loup  comme  au cinéma…

Ici, les milieux  banquiers et financiers font rêver (est-ce encore possible !) à cause du fantasme de l’argent qui, dans ces territoires magiques, coule à flots!  Et Jean Personne se soumet aux lois du marché : comparer, étalonner, mesurer… et évaluer les autres dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. Ses collègues et  lui se notent, s’évincent avec cynisme mais n’ont pas le contrôle  de ce jeu où ils deviennent les acteurs de leur propre déchéance.
   Cyril Teste met en perspective le syndrome d’épuisement professionnel. Derrière une baie vitrée, des cadres vaquent à leurs affaires dans un espace à la fois, vaste et étroit… où  le metteur en scène traque chacun des personnages en solo, duo, ou plus, sans cesse poursuivi par une caméra; on découvre ainsi sur l’écran, un visage ou le haut d’un corps en plan rapproché.

Mais on voit aussi une sorte de fresque où les tensions relationnelles sont perceptibles : on sait ce que l’autre pense de lui-même, de son collègue ou de son supérieur hiérarchique. La  cadre qui officie aux évaluations personnelles, assise devant la personne convoquée, dans une proximité physique inversement proportionnelle à toute attention morale, demande à chacun s’il est satisfait de lui, voire même heureux.. La directrice, elle, traque ses victimes, arpentant l’espace et ses couloirs, harcelant l’un ou l’autre, mêlant vie privée et vie professionnelle, avec des griefs dévalorisants.
Narration, prises de parole, silences et déplacements fluides  de ces  jeunes gens aux beaux costumes qui ont «réussi» : l’oppression dénoncée n’en est que plus forte. Mais le tableau se révèle un peu trop beau : l’état des lieux, restitué ici sans hargne ni colère, nuit au sens et à la capacité de subversion de l’œuvre de  Frank Richter. Dommage !

Véronique Hotte

Le Monfort à Paris, jusqu’au 21 novembre.
Théâtre du Nord-Centre Dramatique National de Lille/
Exposition Panorama 17, du 28 novembre au 5 décembre. Le Centquatre-Paris/Festival Temps 
d’images, du 8 au 13 décembre. Bonlieu/Scène Nationale d’Annecy (74), les 16 et 17 décembre .Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/ Scène 
Nationale (78), le 5 janvier. Théâtre les Salins, Scène Nationale de Martigues 
(13) , le 22 janvier. Le Canal, Théâtre Intercommunal du Pays de
 Redon (35), le 28 janvier .TAP/Scène Nationale de Poitiers (86), les 3 et 4 février.

 

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