Au nom du père et du fils de JM Weston
Au nom du père et du fils et de JM Weston, texte et mise en scène de Julien Mabiala Bissila
Où était l’église, le barrage, la station à essence. Où a explosé le bus ? Contre le mur ou le poteau électrique ? Deux frères, Criss et Cross, habillés avec recherche, reviennent sur les lieux de leur enfance ; ils se chamaillent et n’arrivent pas à se mettre d’accord sur » Où est où? » car « le Sud de la ville est désormais à l’Est et le Nord est au centre. »
Ils fouillent dans les ruines encore fumantes laissées par la guerre civile, et essayent de retrouver les endroits familiers, la maison de leur mère, la tombe de leur père, les souvenirs de la belle Madame Mado, et une paire de leurs précieuses chaussures, de marque JM Weston. Le must pour ces deux sapeurs.
« Pourquoi tant de cravates au milieu de tant de cadavres? Pourquoi des chaussures JM Weston ? » se demande le mari de Mado, surgi des décombres, et qui leur raconte, avec un humour glaçant, les exploits des soldats sadiques et sanguinaires à l’encontre de sa famille.
Dans un décor sobre, monochrome, Julien Mabiala Bissila joue Cross aux côtés de Criss Niangouna (Criss) et de Marcel Mankita ( le vieil oncle), et a mis en scène ces trois personnages qu’il a vêtus des couleurs vives chères aux rois de la sap. « Les costumes de Marta Rossi reprennent les formes de l’élégance dandy, avec des matériaux de récupération : une bâche pour un pantalon, une canette découpée pour un nœud papillon, un sac de riz pour confectionner une veste… avec des matériaux synthétiques, seuls survivants des feux et des bombardements.»
Cette explosion colorée va de pair avec la tonalité burlesque. Pas le moindre pathos pour décrire les horreurs de la guerre, dans cette comédie à la langue copieuse, conçue pour conjurer les terreurs. Au nom du père et du fils et de J.M. Weston alimente le cocasse des situations, la faconde des protagonistes avec une écriture luxuriante, inventive, truffée de formules savoureuses, de belles fulgurances, et portée par des interprètes exubérants mais toujours justes, en particulier Marcel Mankita, qui compose un vieillard à la mémoire en vrac.
Profondément marqué par la guerre à Brazzaville, où il a perdu des amis chers et des membres de sa famille, l’auteur refait ce parcours cruel vers son enfance, à travers les mots: « J’arrive à crier ma colère, ma rage, mon impuissance autrement, dit-il. Ma vie a trouvé d’autres issues… La guerre est loin maintenant, j’en ris… » L’humour est pour lui « un gilet pare-balles ».
Pour ce faire, il prend ici la sape comme point de départ, qui lui donne le titre de sa pièce, et symbolise l’appétit de vivre malgré envers et contre tout : « Le Congolais est un bon viveur, un ambianceur, voire un flambeur. Il aborde l’Histoire par l’anecdotique, le dérisoire ».
« C’est fou comme les détails vestimentaires et physiques sont importants, car, en fait, ces trucs te raccrochent à la vie. La vie réelle… », remarquait une rescapée du Bataclan qui, dans la bousculade, avait perdu ses baskets…
Criss et Cross à la recherche de leurs chaussures JM Weston, ont quelque chose de Vladimir et Estragon d’En attendant Godot, version dandy et logorrhéique.
Malgré quelques passages à vide où la pièce semble tomber en panne, il faut voir ce spectacle, ne serait-ce que pour y prendre des leçons de vie, et entendre la folle énergie de cette langue théâtrale exceptionnelle.
Mireille Davidovici
Le Tarmac, Paris. T. 01 40 31 20 96 , jusqu’au 4 décembre.
Tropiques Atrium/Martinique, les 21 et 22 janvier, et tournée dans le réseau ATP en 2016. L’Atrium de Dax le 6 février. Théâtre municipal de Roanne le 9 février. Théâtre Na Loba, Pennautier le 13 février.
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence les 7 et 8 mars ; salle polyvalente d’Uzès le 10 mars; 12 mars, La Chartreuse, Villeneuve-les-Avignon le 12 mars; salle Georges Brassens de Lunel, le 18 mars.
T.G.P. d’Orléans le 23 mars; Odéon de Nîmes, le 30 mars. Théâtre municipal de Villefranche-de-Rouergue le 1er mars. La Louvière, Epinal, le 26 avril; Théâtre de la Maison du peuple, Millau le 3 mai.
Au nom du père,du fils et de JM Weston est publié aux éditions Accoria.