L’Histoire du soldat
L’Histoire du soldat, de Charles-Ferdinand Ramuz, musique d’Igor Stravinsky, mise en scène d’Omar Porras, avec L’Ensemble 2e2m, sous la direction de Benoît Willmann
C’est l’histoire d’un pauvre soldat qui rentre au pays. Il marche sans cesse en s’accompagnant au violon. Son chemin croise celui du Malin qui lui fait miroiter une fortune, s’il échange son instrument. Le soldat vend alors son âme au diable.
Mais quand l’argent lui devient facile, il prend conscience qu’il manque l’essentiel, et il parvient à reprendre le violon au diable, avec lequel il charme une languissante princesse.
Devenu prince, mais toujours insatisfait, il veut revoir son village natal. Mais « un bonheur est tout le bonheur, deux, c’est comme s’ils n’existaient pas ». Le pauvre soldat perd tout. Triomphe du diable. Tendance au hiératisme, solennité et grandeur, l’œuvre de Stravinsky se manifeste aussi par une attirance marquée pour le sacré, dans l’incarnation du rituel ou du culte, mais aussi dans les œuvres profanes, un sacré avec des icônes simples mais aussi une distanciation, un goût pour l’ordre et pour l’incantation, comme dans L’Histoire du soldat. Le thème et la musique d’Igor Stravinsky ont exercé un attrait inouï en 1917 puisque l’anecdote touche à l’universel grâce à la convention du fabliau.
Charles-Ferdinand Ramuz et Igor Stravinsky retiennent du recueil de contes d’Afanassiev (1826-1871), Le soldat déserteur et le diable, l’histoire d’un recrutement forcé pour vingt ans, lors de la guerre turco-russe sous le Tsar Nicolas II.
Dépouillé de tout signe russe trop affirmé, le conte parle de la guerre qui sévit en 1917, et le retour du soldat, transposé en Suisse, tient d’une miniature pour spectacle miniature pour quelques acteurs et petit ensemble instrumental. L’œuvre est comparée à une suite – une fusion de scènes parlées, mimées, chantées et dansées avec des parties de musique. Comme une sorte de lanterne magique animée…
Le magicien aux mille tours de la scène Omar Porras s’amuse de l’effet de surprise de couleurs vives et empourprées, des échappées lumineuses d’un feu enchanteur, et de la terre rougeoyante d’où naît la brûlure, des éblouissements secs enfin des flammes et des flammèches, au sens propre et au sens figuré. Avec des effets spéciaux et des accessoires de Laurent Boulanger. Le narrateur (Philippe Gouin) se déplace sur la scène comme un maître de danse, de même le soldat (Joan Mompart) ne ménage pas ses efforts pour suivre sa route ardue, le diable (Omar Porras) n’en fait évidemment qu’à sa tête et la princesse (Maëlla Jan) s’en laisse subtilement conter. Et il y aussi le digne curé (Alexandre Ethève). Dès qu’un scintillement surgit – merveille des yeux et effroi du cœur -, on se doute que le Malin n’est pas loin et se joue avec malice de tous, des personnages du conte, comme des spectateurs assis non loin du territoire de magie et de musique.
Des formes et des couleurs, dessinent une toile aux images inventives dont l’onirisme ondoyant ne cesse à la fois de se renouveler et de varier. Papillons qui volètent, violon enfantin et précieux, masques (Fredy Porras) des comédiens facétieux et goguenards, tous danseurs élégants et aériens : la scène est un émerveillement plein de délicatesse, un songe qu’on aimerait voir perdurer, quand s’arrête la musique de l’Ensemble 2e2m, sous la direction de Benoît Willmann qui nous donne un bon coup de fouet pour régénérer l’imaginaire des petits et des grands, et affronter ces temps cruels.
Véronique Hotte
Théâtre 71 – Scène Nationale de Malakoff, du 17 au 27 novembre. T: 01 55 48 91 00. Comédie de Caen, les 2 et 3 décembre. T : 02 31 46 27 27. Théâtre du Nord, Lille. T : 03 20 14 24 24