2 bras 2 jambes

2 bras 2 jambes, de Françoise Dasque, mise en scène de Zarina Khan

  Confortablement installé dans de larges fauteuils, le public est surpris  par une voix féminine: « Every little cell in my body is happy, every little cell in my body is well. I’m so glad, every little cell, in my body is happy and well. Cet air sonne comme un appel joyeux au public. Comme pour venir partager cette traversée pédestre et solitaire à travers le monde : France, Italie, Grèce, Turquie, Géorgie, Arménie, Iran, Inde, Thaïlande, Laos, Chine et pour finir, le Japon.
Françoise Dasque, comédienne et auteure, a mis en scène cette expérience vécue, singulière et combien théâtrale !  C’est en effet la raison artistique et poétique de cette création, entre récit, comédie, et épopée.Début novembre 2010, elle emprunte à pied le sentier qui descend de son village en Ardèche, vers la vallée. Direction : l’Est. Elle ne fera pas demi-tour, l’expédition  commence, avec un énorme sac au dos et des bâtons de marche. But de la promenade : aller jusqu’en Chine !
  Pendant 1h30, le public reste émerveillé, interrogateur, étonné par sa pugnacité et son énergie, tout au long de cette aventure. Mais, contre toute attente, ce spectacle, au rythme du récit, nous emmène beaucoup plus loin encore. Ce voyage, n’a jamais été envisagé pour Françoise Dasque, comme une fuite ou un défi.
 Sur le ton de la comédie, elle interroge entre autres, le rôle et ses conséquences du langage, cette faculté si précieuse de l’être humain.  Dans la galerie de portraits qu’elle nous propose,  tous ces visages  sont comme le reflet « vivant» de ces rencontres humaines avec  «l’autre», au croisement des chemins : « Méfiants Italiens, squelettes grecs, miracles turcs, voleurs laotiens, foules indiennes suffocantes à y perdre la vie … »
  Cette marche résonne avec gaîté, enchantement. Dans une mise en scène vivante, toute en gestes et une scénographie sobre, toutes deux de Zarina Khan, laissant une large part à l’imagination,  le spectacle invite grands et petits à la table de l’ailleurs, et du différent.
   Le public constate que l’être humain, quelle que soit son origine ethnique, religieuse etc. reste, dans ses désirs, très semblable. Ce qui, mystérieusement, provoque sa joie, sa tristesse, sa peur, sa confiance, son besoin de l’autre et de liberté, et cela quelque soit l’influence des formes culturelles propre  à chaque civilisation.
2 bras 2 jambes est une comédie poétique, et politique, loin du sensationnel. En en ces jours de peur, de chagrin, ce spectacle nous mène à nouveau vers une envie d’ouvrir grands les yeux et les oreilles à la  rencontre d’un monde humain, très humain. 
  Un regard, une parole sur notre planète, bien loin de ceux transmis quotidiennement,  par nos systèmes d’information. Le spectateur en sortant de la salle, n’est sans doute pas loin de penser qu’Avec 2 bras 2 jambes, tout est possible, de la ballade bucolique à la traversée de la terre…  !  

 Elisabeth Naud

 Ciné XIII Théâtre, 1 avenue Junot 75018 Paris. T: 01 42 54 15 12  jusqu’au 9 janvier.

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Archive pour 25 novembre, 2015

Farben

 

Farben de Mathieu Bertholet, mise en scène de Véronique Bellegarde

   farben_1Farben, en français: «couleurs». Ce titre minimaliste ne manque pas de poésie, de mystère. La pièce de l’auteur suisse évoque l’histoire vraie d’un couple de chimistes, Clara et Fritz Haber qui se rencontrent en 1890, à Breslau.
Ils se perdent de vue puis se retrouvent, s’épousent et vivent à Berlin-Dahlem, dans une époque marquée par le progrès, les grandes découvertes mais aussi par l’horreur jamais atteinte dans l’histoire de l’humanité. On songe à un autre couple mythique de chercheurs, Pierre et Marie Curie: la passion amoureuse, et celle de la recherche scientifique sont ici réunies pour le meilleur et pour le pire.

 Hélas, c’est vers le pire que va s’acheminer ce couple, avec les découvertes en chimie de Fritz Haber sur de nombreux gaz. La synthèse directe de l’ammoniac, cette prouesse scientifique, dont vont bénéficier les rendements agricoles, contribue aussi, au développement, entre autres, du gaz moutarde (expérimenté dans les tranchées de la première guerre mondiale) jusqu’au Zyklon B!
Fritz Habler est loin d’imaginer que, vingt-cinq ans plus tard, des millions de juifs mourront à la suite de sa découverte, dans les chambres à gaz.  Juif, récompensé par le jury du prix Nobel en 1920, pour qui  «la science travaille pour l’humanité en temps de paix, pour la Patrie en temps de guerre», il veut montrer qu’un juif peut-être aussi un bon allemand.
   La question majeure posée ici, est bien celle du rapport entre recherche, pouvoir et éthique, au début du XXème siècle. Clara (née Immerwahr), passionnée par la recherche, première femme docteur en chimie en Allemagne, ne connaîtra pas la même réussite ! Les liens du mariage et  la responsabilité de mère font rarement bon ménage avec l’épanouissement professionnel d’une épouse dans les années 1900, et au delà !
Elle s’oppose rapidement à la nature des travaux scientifiques de son mari et finit par se donner la mort, le 1er mai 1915.  Le spectacle s’ouvre sur la scène du suicide :«… Mon sang s’infiltre sur la terre/ Sans doute/Lorsque vous m’aurez emportée/il restera de moi quelque chose ici./Dans le gazon/Devant ta maison…
L’attention du public est aussitôt mise sous tension et progressivement, une atmosphère étrange envahit la salle. La mise en scène et la scénographie, inventives, de Véronique Bellegarde donnent au spectacle une part importante au visuel. Les couleurs du décor font écho, à des toiles expressionnistes, mais aussi aux émotions intimes de Clara et à la classification des gaz par couleur (jaune vif, vert acide, bleu ciel et rouge sang).
Ce jeu de correspondances avec les couleurs et un mouvement «fluide et en métamorphose continue » dans la mise en scène, établissent un lien entre l’espace intime des personnages, et les espaces publics et historiques. Toutes ces éléments, les effets spéciaux comme un miroir liquide, les chants et les musiques, emportent l’imaginaire du spectateur, à travers ce drame/documentaire, dans une dimension onirique, presque fantastique. Mais le foisonnement esthétique et les trouvailles scéniques, le rythme fragmenté les séquences  des quatre actes qui n’est pas toujours maîtrisé) brouillent l’entendement.
Plus le spectacle avance, plus on se sent un peu perdu dans cette tragédie complexe et historique, dont la représentation reste très belle par moments, et riche d’informations politico-sociales, parfois saisissantes d’actualité.
Clara, (belle interprétation d’Odja Llorca) est un emblème bouleversant de la condition féminine en ce début de siècle. Ce personnage resplendissant d’idéal, de droiture, libre, qui, au nom de ses convictions et engagements, nous montre qu’une femme de ce temps, pouvait être plus qu’une mère et une épouse au service de son mari. Son tempérament passionné et intègre (étonnant, son nom de jeune fille,  immerwahr : « toujours vrai » en allemand!), la mènera au suicide.
Félicitations aussi à Hélène Delavault, tour à tour comédienne et cantatrice en robe longue de velours frappé rouge dans les rôles de Frau Rechtsanwalt van Anken, et de Frau Wölher en chaise roulante, et à Olivier Balazuc (Fritz Haber).
Une pièce, par bien des aspects, encore très actuelle…

 Elisabeth Naud

 Théâtre de la Tempête, jusqu’au 13 décembre. T : 01 43 28 36 36.
Le texte de la pièce est édité chez Actes-Sud-Papiers

 

 

Ödipus der tyrann

Ödipus der Tyrann de Friederich Hölderlin, d’après Sophocle, (spectacle en allemand, surtitré en français)

  Quand Hölderlin traduit la tragédie de Sophocle en 1804,  il met sans doute l’accent sur la violence et sur la responsabilité d’Œdipe, et sur son pouvoir despotique. Cela dit, le mot « tyran » a des connotations péjoratives en français contemporain, qu’il n’a pas en grec ancien.
Cet  Oedipe serait alors proche d’un héros tragique moderne. Il est «considéré comme mauvais par Hölderlin, dit Romeo Castellucci : parce qu’il veut utiliser la Raison comme lumière, alors que c’est un péché. Le péché d’Œdipe, selon Hölderlin, n’est pas l’inceste, pas du tout mais sa façon de raisonner, et c’est une autre invention extraordinaire ».

  Dans le théâtre de la Ville absolument plein, Emmanuel Demarcy-Motta a, chaleureusement et avec une certaine émotion, remercié le public et la troupe de la Schaubühne d’avoir tenu à venir, malgré les événements tragiques du 13  novembre.
A ensuite commencé ce spectacle, joué uniquement  par des comédiennes, à l’exception d’Arias Porras (Tirésias), avec la grande Angela Winckler en chef de chœur. En référence, dit Romeo Castellucci, à une communauté fermée, comme dans ses précédents spectacles, La Mort d’Empédocle, ou The Four seasons (voir Le Théâtre du Blog). «Je me suis rendu compte, dit Romeo Csatellucci, qu’il y avait une communauté féminine enfermée dans un système. Elle forme comme une enclave, une synecdoque de la communauté humaine.» Avec aussi une référence « à l’écriture féminine « de Hölderlin. «Pour moi, la puissance et la grâce sont des femmes, parce qu’il y a un rapport au corps différent (…) La grâce prime dans la manière de porter la parole ».
Oedipe__religieuses_arno_declairBon, on veut bien, et le créateur italien nous a habitué avec sa Socìetas Raffaello Sanzio à des spectacles où les expressions du corps, les images plastiques très réussies, et un univers musical et sonore sont, au moins aussi importants, sinon plus, que le texte. Romeo Castellucci a été longtemps élève d’académies de Beaux-Arts et cela se voit. dans toutes réalisations.. pour le meilleur mais aussi pour le pire.
  Ici, on a d’abord droit, dans un silence total, pendant une quinzaine de minutes et derrière un écran de tulle gris, aux déambulations de religieuses. Puis une des leurs, en chemise de nuit blanche, agonise en proie à une toux violente. Dans un mouvement de rideaux noirs qui ne cessent de circuler, comme par magie.
   On retrouve ces sœurs autour d’une table pour un repas que l’on devine frugal. Il y a ensuite un long cortège, quand elles vont enterrer leur compagne. Dans la petite cellule de la défunte sœur, l’une d’elles découvre, sous son lit, un petit livre (le hasard fait quand même bien les choses!)  Ödipus der tyrann… Si, si c’est vrai!
  Ces images, souvent proches de celles d’un film,  sont d’une remarquable beauté: on pense évidemment aux clairs-obscurs du Caravage, de Rembrandt, Georges de la Tour, etc.. On pense aussi à Philippe de Champaigne, quand il peint les relieuses de Port-Royal.
Cela, Romeo  Castellucci sait faire, et bien faire, comme dans Four seasons (voir Le Théâtre du Blog).  Et depuis, le très beau Bucchettino, spectacle pour enfants, il nous a montré  comment on pouvait aussi faire un théâtre qui appartienne davantage à l’image qu’à la parole, et où le corps, lourdement habillé comme ici, ou demi-nu, voire nu comme dans la suite du spectacle, sous l’évidente  influence d’Antonin Artaud, devient le matériau d’une nouvelle écriture scénique.
Et toute cette remarquable première partie, pourrait, un peu plus développée, faire l’objet d’une performance dans un musée d’art contemporain. Il y a peu de metteurs en scène  et artistes qui font preuve d’un tel sens de l’image (mis à part, bien entendu, Bob Wilson, lui aussi, issu d’une école d’art). Oui, mais après?
  Après, les choses se gâtent sérieusement! Le spectacle de Romeo Castelluci, malgré une apparente rigueur, révèle une  certaine confusion. Sa scénographie (il a aussi signé les costumes) rappelle des œuvres plastiques contemporaines entre autres: Don Judd et le courant minimaliste américain avec Donald Judd, Sol Lewitt, et antiques comme les sculptures de Phidias sur le fronton Est du Parthénon, ou le tympan de la cathédrale de Conques avec Sainte-Foy prosternée, la sculpture de personnages étant ici soumise à la forme du fronton ou du tympan) par exemple, quand il place un défilé des choristes dans deux  escaliers bas et étroits de chaque côté en fond de scène.
La  tragédie grecque, revue ou non par un grand écrivain comme Hölderlin, semble servir ici de support esthétique, comme il le dit lui-même: “La tragédie est le fondement de l’esthétique occidentale et de son sillon dont elle ne peut pas s’écarter”. Autrement dit, vous allez voir ce que vous allez voir, quand moi, Romeo Castellucci, je m’empare d’un thème comme celui d’Oedipe, notamment en le faisant jouer par des femmes. Et il en remet une petite louche pour étayer sa théorie, en évoquant »l’écriture féminine « d’Hölderlin.

  Derrière des tulles gris, (de façon à ce que l’on ne voit pas grand-chose, même au septième rang?) sur lesquels s’imprime trop vite le sous-titrage, peu visible, d’un texte bizarrement traduit, souvent à connotation moyenâgeuse du genre: villennie, pouliches…).  Ici, guère de choix possible: ou on essaye de lire les phrases, ou on regarde les images, ce qui n’arrange pas les choses!
  Les sœurs catholiques, l’espace d’un moment, sont devenues les femmes d’un chœur, toujours en habit de religieuse mais cette fois blanc, comme le décor. Ursina Lardi qui joue Oedipe, est placée dans un sorte de niche, en haut du double escalier latéral, en robe-tunique blanche, un sein nu à demi-couvert d’un tissu doré comme sa main droite. Tirésias, lui, est juste couvert d’une peau, un agneau dans les bras, et porte comme Saint-Jean Baptiste, un  roseau avec,  à son extrémité, une petite croix du Christ.
Bien entendu, Romeo Castellucci fait ici référence aux nombreux Saint-Jean Baptiste au désert, peints, entre autres par Raphaël, Léonard de Vinci etc. Jocaste, elle, c’est carrément la vierge Marie au voile bleu des livres de messe de notre enfance. Tout ce petit monde, reste très statique, face public la plupart du temps… Et on oubliait, une jeune femme nue que l’on voit de dos descend des cintres une fleur coincée dans ses doigts de pied pendant une minute, pas plus. Le destin, l’amour ou simplement une belle image pour se faire plaisir, même si de nombreux spectateurs, peut-être un peu ensommeillés, ne l’ont pas vue
Désolé, mais tout cela, même très bien réalisé, avec de gros moyens (La Schaubühne dispose d’une importante équipe technique et artistique) participe d’un exercice de style d’une sécheresse absolue.

  Ce n’est pas la première fois que le metteur en scène (qui, on le sait, adore la provocation, fait coïncider les figures de la tragédie grecque et celles des Evangiles; ici, Oedipe est pour lui “comme un sorte de virus qui entre dans la communauté, dans un contexte très codé qui est celui de la religion catholique. Il s’installe et ne sort plus. Il contamine le système symbolique chrétien, la rencontre est impossible. Une fois que la tragédie entre, elle est capable de détruire l’apparence humaine, c’est à dire de tuer Dieu”..
“Il n’y a pas, ajoute-t-il, de dieu dans la tragédie grecque, mieux encore, il a disparu…  Rien que cela! “La tragédie, disait la formidable Jacqueline de Romilly, pouvait donc tirer des données épiques un effet plus immédiat et une leçon plus solennelle. Cela s’accordait à merveille avec sa double fonction, religieuse et nationale : les données épiques ne trouvaient accès au théâtre de Dionysos que liées à la présence des dieux (souligné par nous), et au souci de la collectivité, plus intenses, plus saisissantes, plus chargées de force et de sens”.

 Comprenne donc qui pourra au dernier travail de cet enfant chéri du Festival d’automne. Méfions-nous toujours des artistes officiels qui, avec une certaine complaisance et de gros moyens, s’autofélicitent de l’urgence et de la nécessité absolue qu’il y a, pour eux, à délivrer un message. Les acteurs de la Schaubühne méritent mieux que cela,  et le public français aussi.
Désolé, mais cette suite d’images prétentieuses (qui se voudrait d’avant-garde, mais pour qui?)  ne nous concerne en rien, et devient vite  d’un ennui pesant, même si la plaisanterie ne dure qu’une heure et quarante cinq minutes. Sans doute, pour nous réveiller, Romeo Castellucci s’amuse, une fois de plus, à nous envoyer des basses insupportables à l’oreille.
En revanche, peu de désertions,  au contraire de Four seasons sur cette même scène mais les applaudissements ne furent pas des plus généreux!  Il y  eut même quelques sifflets.
 Cela fait tout de même du bien de voir que le public garde une certaine lucidité et n’est quand même pas dupe de cette construction artificielle!
Nous aurons vu, la semaine dernière, la mythique Schaubühne et ses remarquables acteurs, mais, que ce soit pour la mauvaise piécette de Yasmina Reza, ou pour cette production d’images complaisante, le compte n’y est pas!
On aura connu Thomas Ostermeyer, directeur de la Schaubühne, et Emmanuel Demarcy-Motta directeur du Théâtre de la Ville mais aussi du festival d’Automne,  plus isnpirés… On attend la mise en scène de L’Orestie par Romeo Castelluci, dans quelques jours à l’Odéon; nous vous reparlerons, bien entendu.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 20 au 24 novembre au Théâtre de la Ville.
 

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