Angels in America

Angels in America de Toni Kushner, traduction de Gérard Wajcman et Jacqueline Lichtenstein, mise en scène d’Aurélie Van Den Daele

   angels-in-america-marjolaine-moulin-1024x683Nous avions beaucoup apprécié Peggy Pickit voit la face de Dieu de Roland Schimmelpfennig (voir Le Théâtre du blog) mis en scène l’an passé par Aurélie Van Den Daele à l’Aquarium, un théâtre généreux qui prend le risque d’accueillir la jeune création.
Angels in America ne nous a pas autant convaincus, malgré son invention et l’intelligence de sa mise en scène. La pièce (1991), de par son écriture complexe et ses thématiques, ses références multiples, historiques et esthétiques, difficile à cerner, échappe à une unité stylistique et narrative.

 En deux parties, Le Millenium approche et Perestroika,  Angels in America aborde, à la manière d’une série en plusieurs saisons, les destins croisés de personnages pris dans le tourbillon d’une époque charnière. Comme dans un feuilleton, les scènes, courtes, se succèdent dans un habile tuilage. Nous sommes à New York, en 1985, sous la présidence de Ronald Reagan, à l’apogée du libéralisme républicain triomphant, quand apparaît le sida, un mal furtif qui sème la mort parmi les homosexuels. Dans ce contexte historique, pour rendre l’impression que «partout les choses s’effondrent» et que «l’univers est une tempête de sable », l’auteur fait appel au fantastique, avec l’irruption intempestive d’événements surnaturels dans le réel qui témoigne d’un monde chaotique, au bord de l’apocalypse. En préambule de Le Millenium approche, une oraison funèbre prononcée par un rabbin donne à ce premier volet une tonalité  sinistre. Dans les courtes scènes d’exposition qui suivent, on apprend que Prior Walter est atteint du VIH : «Kaposi, le baiser carmin de l’ange de la mort».

Son compagnon, Louis, juif et démocrate, l’abandonne lâchement, rongé par la culpabilité. Dans le même temps, l’avocat Joe Pitt, un mormon, se voit offrir une promotion par son mentor, Roy Cohn, avocat corrompu et tout puissant, artisan de la condamnation à mort des époux Rosenberg, au moment du maccarthysme. Joe Pitt hésite car son épouse Harper, dépressive, a sombré dans les vapeurs hallucinogènes du valium… Républicain et bien pensant, il révèle son homosexualité à son entourage,  et Roy Cohn, farouche pourfendeur des gays, apprend que le sida l’a frappé…  Belize, un infirmier noir, ex-amant de Prior, drag-queen à ses heures, fait la morale à Louis.  Sidney Ali Mehelleb joue aussi M. Lies, un agent de voyage qui envoie Harper dans un Antarctique fantasmé.

La pièce-fleuve de Tony Kushner, sous-titrée Fantaisie gay sur des thèmes nationaux, aborde l’hypocrisie et l’ubris d’une société en pleine décomposition, et décrit en même temps, à travers des personnages-types, les multiples postures face à l’homosexualité et aux questions du «genre ».  Les protagonistes de cette tragi-comédie baroque vivent hantés par leurs propres fantômes, anges ou démons. L’œuvre a connu de nombreuses adaptations : une série télévisée avec El Pacino en Roy Cohn et Meril Streep en fantôme d’Ethel Rosenberg ; un opéra, musique de Peter Eötvös mis scène par Philippe Calvario, et nombre de réalisations théâtrales dont celles de Krzysztof Warlikowsky et d’Armel Roussel…


C’est une véritable gageure de s’emparer de ce texte kaléidoscopique qui fait appel à tous les registres et moyens du théâtre. Aurélie Van Den Daele a choisi, elle, de situer les séquences dans un espace unique, délimité en fond de scène par un long rideau à lanières.  Avec des  aires de jeu aléatoires et non figurées par un décor.
Il appartient aux spectateurs d’imaginer, selon les répliques, qu’on se trouve dans un bureau, un appartement, à Central Park à New York… Les éclairages font la différence pour situer les moments supra-naturels.
Cette configuration permet une fluidité et  une chorégraphie des mouvements qui assurent le passage d’une scène à l’autre, voire la simultanéité des actions. Cependant, ce que l’on gagne en liberté spatio-temporelle et en rythme, se perd dans un certain flottement quant au jeu des acteurs, souvent désincarné, à l’exception d’Antoine Caubet qui campe un Roy Cohn, impressionnant de puissance. Mais son jeu monolithique laisse peu filtrer les failles de ce géant aux pieds d’argile. Emilie Cazenave (Harper), et Pascal Neyron (Joe), constituent un couple assez abstrait. Grégory Fernandes est un Louis pleutre et émouvant…

Cette galerie de portraits aux sorts mêlés, se laisse voir et, même s’il manque au spectacle, une certaine folie jubilatoire, on suit avec beaucoup d’intérêt cette saga de deux heures pour chaque volet que l’on peut  voir séparément ou en intégrale, soit quelque quatre heures et demi, car sa structure dramatique ménage un constant suspense. Si bien qu’à la fin de la première partie, on sort suffisamment motivé pour vouloir connaître la suite que nous n’avons pu voir mais dont vous rendra compte ici Julien Barsan.
Cette paranoïa millénariste, distanciée et teintée d’humour résonne à plein, et de manière salutaire, face aux récents fléaux qui frappent le monde occidental…

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes. T.: 01 43 74 99 61, jusqu’au 6 décembre. www.theatredelaquarium.net/

 

 

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