Asa Nisi Masa

Asa Nisi Masa chorégraphie, scénographie et conception vidéo de José Montalvo

 RTEmagicC_AsaNisiMasa_uneIncantation poétique, Asa Nisi Masa renvoie au film de Federico Fellini, Huit et demi, où Asa Nisi Masa, une formule magique lancée par une fillette, permet au jeune Guido de faire un plongeon onirique dans son enfance.
Au début du spectacle, le public est incité à la prononcer, suivant une gestuelle indiquée par les danseurs. Un rituel qu’ils répéteront sur scène, pour ponctuer les changements de tableaux. La pièce, destinée au jeune public, s’organise en rêves successifs, comme autant de contes où la danse, comme souvent chez le chorégraphe, flirte avec la vidéo. Les images, projetées sur grand écran en fond de scène, convoquent des animaux de toute taille, de tous poils et plumes, en peluche ou en chair et en os.

Volatiles graciles ou de poulailler, fauves bondissants, singes, tortues… se rejoindront sur une kora géante, voguant, telle l’arche de Noé. Le chorégraphe a l’art de démultiplier les échelles de grandeur : un énorme gorille regarde avec mépris la frêle danseuse qui, en bas de l’écran, dompte des oiseaux ; des éléphants viennent se percher sur la tête des interprètes.
Dans une deuxième partie, encore plus délirante, Don Quichotte et ses moulins à vent débarquent dans le métro parisien, station Asa Nisi Masa… En solo ou en tribu, les danseurs, eux aussi, de styles et d’apparences disparates, jouent avec les images, et vice et versa. Hip-hop, danse classique ou contemporaine, rythmes africains, flamenco, claquettes, figures acrobatiques coexistent, accentuant le caractère baroque de ces histoires à dormir debout (au bon sens du terme).

 » Sur un sujet aussi universel que l’enfance et l’animalité, toutes les danses se rassemblent, dialoguent et se mélangent, commente le maître d’œuvre. Finalement, cette pièce, je l’ai écrite d’abord pour moi, pour laisser encore résonner l’extravagance de mes émerveillements d’enfant. »
Asa Nisi Masa, créée la saison passée au Théâtre National de Chaillot, où José Montalvo est artiste permanent, subjugue petits et grands par la magie de ses images et l’alacrité de ses danseurs.

Le baroque de la pièce s’affirme grâce à une impeccable synchronisme entre les mouvements des uns et des autres, la conjugaison du virtuel et du réel, et la maîtrise extraordinaire d’un désordre organisé. Une petite fausse note : les costumes ne sont pas du meilleur goût, et c’est dommage…
La tournée ne fait que commencer, ne manquez pas ce spectacle s’il arrive dans votre région, surtout si vous avez des enfants.

 Mireille Davidovici

 Vu à  Bonlieu/Scène Nationale d’Annecy, le  21 novembre. Théâtre intercommunal Le Forum de Fréjus/Saint-Raphaël, les 29 et 30 novembre ; MA scène nationale-Pays de Montbéliard, les 2 et 3 décembre; Espace des Arts de Châlon-sur-Saône, les 10 et 11 décembre ; Théâtre du Vellein, (38) les 16 et 17 décembre ; Théâtre-Cinéma Paul Eluard de Choisy-le-Roi, les 19 et 20 décembre.
Maison de la Danse à Lyon, du 5 au 9 janvier ; Théâtre Jacques Prévert d’Aulnay-sous-Bois, les 15 et 16 janvier ; Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine, les 27 et 28 janvier; Le Rive Gauche, 76800 Saint-Étienne-du-Rouvray
les 28 et 29 février ; Théâtre municipal de Charleville-Mézières, les et 4 mars ;Théâtre de Bourg-en-Bresse, les 16 et 17 mars ; Le Carré Belle Feuille, Boulogne-Billancourt  les 3 et 4 avril ; Le Pin Galant, à Mérignac  les 3 et 4 mai ; Odyssud, à  Blagnac du 25 au 29 mai; Théâtre National de Chaillot, Paris du 11 au 20 mai ; Châteauvallon/C.N.C.D.C , le 7 juin.

 


Archive pour novembre, 2015

L’homme de décembre

L’Homme de décembre  de Colleen Murphy, mise en scène de Sarah Garton Stanley.

 bathrobeLe 6 décembre 1989, un  homme entre dans un amphithéâtre de l’École polytechnique à l’Université de Montréal, muni  d’un fusil d’assaut, un Ruger Mini-14. Les étudiants sont priés de quitter la salle.  Quelques instants plus tard, les corps de quatorze étudiantes  jonchent  le sol.  La nouvelle se répand rapidement  et le  Canada  tout entier est en  état de choc.  Selon les témoins, le tueur, Marc Lepine, souhaitait se venger de  ces «féministes», qui voulaient occuper les postes  traditionnellement réservés aux  hommes.
V
ingt-six ans après, le pays est encore hanté par ce drame et la question persiste.  Comment ne pas se poser des questions sur la manière d’aborder ce sujet-piège dont  les moindres détails de la tuerie tragique sont connus de tous, puisque l’événement fut décortiqué par la presse. Comment  construire un récit, cerner des  personnages, soutenir l’intérêt au-delà d’un voyeurisme réaliste  quand l’auteure refuse d’adopter une perspective historique, ou  d’approfondir la psychologie des acteurs d’un drame déjà trop connu?
  Cette dramaturgie nous laisse perplexe, puisque la situation est fondée sur la culpabilité profonde du  survivant, évoquée par l’auteure qui déplace nos regards sur les personnages  secondaires, mettant en relief  les répercussions de la tuerie sur un des étudiants, évacués au moment où le meurtrier éventuel demande aux mâles de  quitter l’amphithéâtre avant d’abattre les femmes.
La  chronologie des événements est inversée, et la pièce commence deux ans après  le massacre puis remonte au moment où il est annoncé à la télévision, et se termine quand le  jeune homme rentre à la maison après avec vécu le traumatisme avec ses camarades de classe.
Curieusement, dès le départ, le dialogue  nous permet de  deviner le sort du jeune homme et de sa famille, de sorte que la suite ne nous laisse plus rien à découvrir. Les références aux émotions exacerbées, à la paranoïa, à la dépression et aux conflits de classe de Marc Lepine, surtout par rapport à sa mère, se répètent en s’intensifiant.
Le texte finit par rester à la surface des choses, sans que l’auteure creuse les personnages et en cerne les nuances; en revanche, elle insiste sur une vision statique et essentiellement réaliste,  malgré le décor qui frôle un expressionnisme intéressant.     

Heureusement, grâce au jeu raffiné du comédien qui interprète le père, et aux débordements intenses du fils souffrant,  nous sommes  parfois émus  mais, de  manière générale, la pièce répète les réactions sans faire évoluer la nature de cette angoisse. Le mouvement général provoque une lassitude et un  gêne, surtout,  lorsque l’écrivaine tente de  stimuler notre intérêt avec un humour racoleur  et inapproprié. Le personnage de la mère, dont la brutalité et la faible affection  qu’elle a pour son fils, est à la limite de la caricature.   
Le choix d’une musique électronique, bruyante et violente, qui signale les transitions dans un paysage frappé par la mort,  est très efficace et l’excellent décor, aux graffitis violents et sculpté par l’éclairage, donne à  cet espace trouble l’allure d’une prison dotée d’une neutralité froide. Une curieuse rencontre de distanciation et d’affectivité ! On a l’impression que l’auteure  fait tout pour esquiver l’essentiel…

Alvina Ruprecht

Théâtre anglais du Centre national des Arts, Ottawa, du 16 au 28 novembre.

Au nom du père et du fils de JM Weston

Au nom du père et du fils et de JM Weston,  texte et mise en scène de Julien Mabiala Bissila

 

PhotoPVE_2878Où était l’église, le barrage, la station à essence. Où a explosé le bus ? Contre le mur ou  le poteau électrique ? Deux frères, Criss et Cross, habillés avec recherche, reviennent sur les lieux de leur enfance ; ils se chamaillent et n’arrivent pas à se mettre d’accord sur  » Où est où? » car « le Sud de la ville est désormais à l’Est et le Nord est au centre. »
  Ils fouillent dans les ruines encore fumantes laissées par la guerre civile,  et essayent de retrouver les endroits familiers, la maison de leur mère, la tombe de leur père, les souvenirs de la belle Madame Mado, et une paire de leurs précieuses chaussures, de marque JM Weston. Le must pour ces deux sapeurs.
« Pourquoi tant de cravates au milieu de tant de cadavres? Pourquoi des chaussures JM Weston ? » se demande le mari de Mado, surgi des décombres, et qui leur raconte, avec un humour glaçant, les exploits des soldats sadiques et sanguinaires à l’encontre de sa famille.
Dans un décor sobre, monochrome, Julien Mabiala Bissila joue Cross aux côtés de Criss Niangouna (Criss) et de Marcel Mankita ( le vieil oncle), et a mis en scène ces trois personnages qu’il a vêtus des couleurs vives chères aux rois de la sap.
« Les costumes de Marta Rossi reprennent les formes de l’élégance dandy, avec des matériaux de récupération : une bâche pour un pantalon, une canette découpée pour un nœud papillon, un sac de riz pour confectionner une veste… avec des matériaux synthétiques, seuls survivants des feux et  des bombardements.»
Cette explosion colorée va de pair avec la tonalité burlesque. Pas le moindre pathos pour décrire les horreurs de la guerre, dans cette comédie à la langue copieuse, conçue pour conjurer les terreurs.  Au nom du père et du fils et de J.M. Weston alimente le cocasse des situations, la faconde des protagonistes avec une écriture luxuriante, inventive, truffée de formules savoureuses, de belles fulgurances, et portée par des interprètes exubérants mais toujours justes, en particulier Marcel Mankita, qui compose un vieillard à la mémoire en vrac.
Profondément marqué par la guerre à Brazzaville, où il a perdu des amis chers et des membres de sa famille, l’auteur refait ce parcours cruel vers son enfance, à travers les mots: « J’arrive à crier ma colère, ma rage, mon impuissance autrement, dit-il. Ma vie a trouvé d’autres issues… La guerre est loin maintenant, j’en ris…  » L’humour est pour lui « un gilet pare-balles ».

Pour ce faire, il prend ici la sape comme point de départ, qui lui donne le titre de sa pièce, et symbolise l’appétit de vivre malgré envers et contre tout : « Le Congolais est un bon viveur, un ambianceur, voire un flambeur. Il aborde l’Histoire par l’anecdotique, le dérisoire ».
« C’est fou comme les détails vestimentaires et physiques sont importants, car, en fait, ces trucs te raccrochent à la vie. La vie réelle… », remarquait une rescapée du Bataclan qui, dans la bousculade, avait perdu ses baskets…
Criss et Cross à la recherche de leurs chaussures JM Weston, ont quelque chose de Vladimir et Estragon d’En attendant Godot, version dandy et logorrhéique.

Malgré quelques passages à vide où la pièce semble tomber en panne, il faut voir ce spectacle, ne serait-ce que pour y prendre des leçons de vie, et entendre la folle énergie de cette langue théâtrale exceptionnelle.

 Mireille Davidovici

 Le Tarmac, Paris. T. 01 40 31 20 96 , jusqu’au 4 décembre.
Tropiques Atrium/Martinique, les 21 et 22 janvier, et  tournée dans le réseau ATP en 2016. L’Atrium de Dax le 6 février. Théâtre municipal de Roanne le 9 février. Théâtre Na Loba, Pennautier le 13 février.
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence les 7 et 8 mars ; salle polyvalente d’Uzès le 10 mars; 12 mars, La Chartreuse, Villeneuve-les-Avignon le 12 mars; salle Georges Brassens de Lunel,  le 18 mars.
T.G.P. d’Orléans le 23 mars; Odéon de Nîmes, le 30 mars. Théâtre municipal de Villefranche-de-Rouergue le 1er mars. La Louvière, Epinal, le 26 avril; Théâtre de la Maison du peuple, Millau le 3 mai.

 Au nom du père,du fils et de JM Weston est publié aux éditions Accoria.

 

L’Histoire du soldat

L’Histoire du soldat, de Charles-Ferdinand Ramuz, musique d’Igor Stravinsky, mise en scène d’Omar Porras, avec L’Ensemble 2e2m, sous la direction de Benoît Willmann

photo 1C’est l’histoire d’un pauvre soldat qui rentre au pays. Il  marche sans cesse en s’accompagnant au violon. Son chemin croise celui du Malin qui lui fait miroiter une fortune, s’il échange son instrument. Le soldat vend alors son âme au diable.
Mais quand l’argent lui devient facile, il prend conscience qu’il manque l’essentiel, et il parvient à reprendre le violon au diable, avec lequel il charme une languissante princesse.
 Devenu prince, mais toujours insatisfait, il veut revoir son village natal. Mais « un bonheur est tout le bonheur, deux, c’est comme s’ils n’existaient pas ». Le pauvre soldat perd tout. Triomphe du diable.  Tendance au hiératisme, solennité et grandeur, l’œuvre de Stravinsky se manifeste aussi par une attirance marquée pour le sacré, dans l’incarnation du rituel ou du culte, mais aussi dans les œuvres profanes, un sacré  avec des icônes simples   mais aussi une distanciation, un goût pour l’ordre et pour l’incantation,  comme dans L’Histoire du soldat. Le  thème et la musique d’Igor Stravinsky ont  exercé un attrait inouï en 1917 puisque l’anecdote touche à l’universel grâce à la convention du fabliau.
Charles-Ferdinand Ramuz et Igor Stravinsky retiennent du recueil de contes d’Afanassiev (1826-1871), Le soldat déserteur et le diable, l’histoire d’un recrutement forcé pour vingt ans, lors de la guerre turco-russe sous le Tsar Nicolas II.
Dépouillé de tout signe russe trop affirmé, le conte parle de la guerre qui sévit en 1917, et le retour du soldat, transposé en Suisse,  tient d’une miniature pour spectacle miniature  pour quelques acteurs et petit ensemble instrumental. L’œuvre est comparée à une suite – une fusion de scènes parlées, mimées, chantées et dansées avec des parties de musique.  Comme une sorte de lanterne magique animée…
  Le magicien aux mille tours de la scène Omar Porras  s’amuse de l’effet de surprise de couleurs vives et empourprées, des échappées lumineuses d’un feu enchanteur, et de la terre rougeoyante d’où naît la brûlure, des éblouissements secs enfin des flammes et des flammèches, au sens propre et au sens figuré.  Avec des effets spéciaux et des accessoires  de Laurent Boulanger. Le narrateur (Philippe Gouin) se déplace sur la scène comme un maître de danse, de même le soldat (Joan Mompart) ne ménage pas ses efforts pour suivre sa route ardue, le diable (Omar Porras) n’en fait évidemment qu’à sa tête et la princesse (Maëlla Jan) s’en laisse subtilement conter.  Et il y aussi le digne curé (Alexandre Ethève). Dès qu’un scintillement surgit – merveille des yeux et effroi du cœur -, on se doute que le Malin n’est pas loin et se joue avec malice de tous, des personnages du conte, comme des spectateurs assis non loin du territoire de magie et de musique.
  Des formes et des couleurs, dessinent une toile aux images inventives dont l’onirisme ondoyant ne cesse à la fois de se renouveler et de varier. Papillons qui volètent, violon enfantin et précieux, masques (Fredy Porras) des comédiens facétieux et goguenards, tous danseurs élégants et aériens : la scène est un émerveillement plein de délicatesse, un songe qu’on aimerait voir perdurer, quand s’arrête la musique de l’Ensemble 2e2m, sous la direction de Benoît Willmann qui nous donne un bon coup de fouet pour régénérer l’imaginaire des petits et des grands, et affronter ces temps cruels.

Véronique Hotte

Théâtre 71 – Scène Nationale de Malakoff, du 17 au 27 novembre. T: 01 55 48 91 00. Comédie de Caen, les 2 et 3 décembre. T : 02 31 46 27 27. Théâtre du Nord, Lille. T : 03 20 14 24 24

 

Benjamin Walter

Benjamin Walter, texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

21965763204_bbeed315d0_oQui est Benjamin Walter ? Un auteur talentueux mais secret, disparu en juin 2011, sans aucune explication, après avoir renoncé à écrire… Dernier geste d’écriture, ou œuvre ultime et caractéristique d’un écrivain de l’exil et de la disparition ?  En 2013, Frédéric Sonntag décide alors d’enquêter sur son œuvre et sa mystérieuse disparition.
Sa pièce retranscrit une enquête policière qu’il mène, depuis la chambre d’hôtel d’Helsinki où se sont arrêtées les traces de Benjamin Walter,  jusqu’à Copenhague, Hambourg, Prague, Sarajevo, Lisbonne, etc.
Cette quête ne fait sens que si elle s’associe librement à une dimension littéraire suivant en parallèle le chemin de créateurs appréciés par Benjamin Walter : Bertold Brecht, Aby Warburg, Franz Kafka, Robert Walser, Fernando Pessoa, Roberto Bolano, Enrique Vila-Matas, Gilles Deleuze, Charles Baudelaire, Walter Benjamin… Entre théâtre documentaire, roman policier et autofiction, il y a, ici, une tension philosophique mais aussi politique et pleine de poésie, un projet existentiel.
Comment renonce-t-on ? Comment disparaît-on ? Le théâtre s’inscrit dans une volonté de témoigner et de rendre compte de l’histoire vécue, contre les oublis de la mémoire. Frédéric Sonntag s’inspire ici du Livre des Passages de Walter Benjamin, l’arpenteur de la ville, et de l’Atlas Mnémosyne dAby Warburg, historien de l’art allemand.

La belle scénographie de Marc Lainé décline une mise en abyme du théâtre dans le théâtre, de la fiction dans la fiction… entre témoignages véridiques et vidéos d’images récoltées. Dans ce spectacle vivant et attachant, l’équipe de comédiens s’interroge sur sa quête artistique et, par nécessité, change de projet, quand le producteur fantasque commande, question de budget, une pièce documentaire, une expérience dite réelle et vécue.
  Le metteur en scène part alors enquêter, et, à Paris, les comédiens commencent à répéter des bribes de texte qu’il leur transmet régulièrement par mails. Peu à peu,  ils  prennent le rôle, chacun à son tour, du pèlerin parti sur les routes qui s’arrête dans un hôtel, évoque une ville européenne, ou rappelle la mise à sac, passée ou contemporaine, de bibliothèques de certaines régions du monde.
  Dans une cuisine où Paul Levis joue une musique rock, ces jeunes gens goûtent un vrai plaisir de vivre et construisent un espace théâtral, propice à leurs déambulations personnelles et aléatoires dans les villes,  dont que les vidéos de Thomas Rathier montrent les images. Celui que l’on voudrait rattraper, jamais ne se laisse saisir, et la quête se fait finalement objet d’études et projet de vie : une rencontre de soi avec l’autre.
 Et pourtant la route est longue ! (il faudrait écourter cette représentation qui dure trois heures trente !) : obstacles, culs-de-sac et déceptions s’accumulent. L’entreprise se révèle en effet infructueuse : les traces du héros disparu sont si rares… Et à chaque fois, il faut recommencer et trouver l’énergie nécessaire pour aller vers d’autres horizons, avec le même enthousiasme initial. Toujours y croire, et aller de l’avant.
Les interprètes fulgurants de vérité, s’inscrivent dans le temps, et leurs personnages nous font part de leur expérience, indécis ou sûrs d’eux, souvent là où on ne les attend pas.  Dans un voyage imaginaire, ce beau collectif de comédiens, avide d’en découdre (Simon Bellouard, Marc Berman, Amandine Dewasmes, Clovis Guerrin, Lisa Sans, Jérémie Sonntag, Fleur Sulmont et Emmanuel Vérité), parle du monde qui va mal en ce moment.

Véronique Hotte

Théâtre de Vanves (92), du 11 au 14 novembre. La Ferme du Buisson (77), les 21 et 22 novembre. Le Grand R (85), les 9 et 10 décembre. Le Prisme de Saint-Quentin-en-Yvelines (78) le 12 janvier. Théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi (94), le 15 janvier.

The Ventriloquists convention

The Ventriloquists convention, conception, mise en scène et scénographie de Gisèle Vienne, texte de Dennis Cooper, en collaboration avec les interprètes.

 

 TheVentriloquistsConvention_photo1_EstelleHanania-740x1024 Quand le public entre,  les acteurs, déjà sur scène, fument, vont et viennent, parlent entre eux dans une salle de conférences avec plusieurs rangées de chaises orientées face à nous.
Seul, un homme, en costume sombre, s’est assis avec une marionnette sur les genoux. Il joue avec elle et ils se murmurent des blagues, ricanent mais finissent par se fâcher et se taper dessus violemment, avant de retomber dans une sorte d’apathie. D’autres marionnettes attendent, seules, sur des chaises. Dans cet univers enfantin et inquiétant à la fois, la musique, jouée en boucles, accentue le malaise.
Soudain, dans une entrée triomphale, le maître de cérémonie arrive, accueilli par les applaudissements enthousiastes des participants. Il ressemble à un homme d’affaires à l’impeccable costume trois pièces;  avec  mot pour chacun, il a la plaisanterie et le rire faciles. Faisant le «show», à l’américaine, parlant fort et sans pudeur, il va mener la soirée, établir les hiérarchies dans cette assemblée hétéroclite, et distribuer ou retirer brutalement la parole à chacun des participants qui présente un numéro de ventriloquie à l’appréciation des autres.

 C’est une convention aux allures de foire aux monstres, où on évoque souvent des traumatismes d’enfance tourmentée, bafouée. Dans une fusion totale entre les marionnettes et leur géniteurs.. Mais on parle trop ici de la question de l’identité de sorte que le spectacle sombre dans un pathos contre-productif. Il y a pourtant de très beaux moments, comme dans  cette scène étonnante, toute en sous-entendus tendres et sensuels,  où la marionnette du chanteur Kurt Cobain dialogue avec un coussin, ou, comme dans ce numéro, hilarant et terrifiant à la fois,  quand l’homme en costume sombre du début, avec Olson, sa marionnette, fait du chantage au suicide avec une agrafeuse !
Les acteurs, très impressionnants, ne sont pas des ventriloques professionnels mais ont suivi pour l’occasion une formation. Cette convention existe bien aux États-Unis où la metteuse en scène s’est rendue pour en rapporter du matériau documentaire. On retrouve ici le travail de confrontation entre corps et texte, de la chorégraphe et plasticienne Gisèle Vienne, formée à l’École Supérieure des Arts de la Marionnette. Mais elle ne semble pas toujours bien maîtriser son projet et regarde évoluer ses acteurs sans vraiment les orienter. Est-ce à cause de la prédominance de l’écriture de Dennis Cooper ?

  Elle tente une nouvelle approche du théâtre dans une veine burlesque, et il faut sans doute lui laisser le temps de s’affranchir de certaines appréhensions…

Gérard Cherqui

 Spectacle vu au Centre Georges Pompidou.
Théâtre de Nanterre-Amandiers /Centre dramatique national dans le cadre du Festival d’Automne du 27 novembre au 4 décembre.

Nobody, d’après les textes de Falk Richter

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Nobody, d’après les textes de Falk Richter, mise en scène de Cyril Teste

  C’est une sorte de performance filmique, un spectacle en temps réel, immergé dans un dispositif où, récepteurs de la création, nous devenons complices et voyeurs malgré nous, en assistant à la fois, à la projection du film et à sa fabrication. Les  fragments  de textes politiques de Falk Richter : Sous la glace, Electronic City, Le Système et Ivresse, composent un matériau documentaire propice à la mise en relief d’un monde professionnel pour cette fiction.
Une donnée bien connue et à laquelle on n’oppose,  malgré tout, aucune alternative : les modes de vie mènent progressivement à la dépossession de soi. Et le cadre d’entreprise, «pris par ses responsabilités»,  se voit réduit à l’état de marionnette, manipulée par des forces économiques et médiatiques qui le dépassent.
Cyril Teste a élaboré un scénario entre théâtre et cinéma, sur le thème des dérives managériales et de la déshumanisation au travail. Jean Personne, cadre, perd ainsi pied avec lui-même et les autres : séparation avec son épouse, rencontres aléatoires avec sa maîtresse, et relations difficiles avec ses  collègues proches, ou moins proches. 
Personne, ce nouvel Ulysse, consultant aux mille tours en restructuration d’entreprises, est une caricature de jeune loup  comme  au cinéma…

Ici, les milieux  banquiers et financiers font rêver (est-ce encore possible !) à cause du fantasme de l’argent qui, dans ces territoires magiques, coule à flots!  Et Jean Personne se soumet aux lois du marché : comparer, étalonner, mesurer… et évaluer les autres dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. Ses collègues et  lui se notent, s’évincent avec cynisme mais n’ont pas le contrôle  de ce jeu où ils deviennent les acteurs de leur propre déchéance.
   Cyril Teste met en perspective le syndrome d’épuisement professionnel. Derrière une baie vitrée, des cadres vaquent à leurs affaires dans un espace à la fois, vaste et étroit… où  le metteur en scène traque chacun des personnages en solo, duo, ou plus, sans cesse poursuivi par une caméra; on découvre ainsi sur l’écran, un visage ou le haut d’un corps en plan rapproché.

Mais on voit aussi une sorte de fresque où les tensions relationnelles sont perceptibles : on sait ce que l’autre pense de lui-même, de son collègue ou de son supérieur hiérarchique. La  cadre qui officie aux évaluations personnelles, assise devant la personne convoquée, dans une proximité physique inversement proportionnelle à toute attention morale, demande à chacun s’il est satisfait de lui, voire même heureux.. La directrice, elle, traque ses victimes, arpentant l’espace et ses couloirs, harcelant l’un ou l’autre, mêlant vie privée et vie professionnelle, avec des griefs dévalorisants.
Narration, prises de parole, silences et déplacements fluides  de ces  jeunes gens aux beaux costumes qui ont «réussi» : l’oppression dénoncée n’en est que plus forte. Mais le tableau se révèle un peu trop beau : l’état des lieux, restitué ici sans hargne ni colère, nuit au sens et à la capacité de subversion de l’œuvre de  Frank Richter. Dommage !

Véronique Hotte

Le Monfort à Paris, jusqu’au 21 novembre.
Théâtre du Nord-Centre Dramatique National de Lille/
Exposition Panorama 17, du 28 novembre au 5 décembre. Le Centquatre-Paris/Festival Temps 
d’images, du 8 au 13 décembre. Bonlieu/Scène Nationale d’Annecy (74), les 16 et 17 décembre .Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/ Scène 
Nationale (78), le 5 janvier. Théâtre les Salins, Scène Nationale de Martigues 
(13) , le 22 janvier. Le Canal, Théâtre Intercommunal du Pays de
 Redon (35), le 28 janvier .TAP/Scène Nationale de Poitiers (86), les 3 et 4 février.

 

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Udo complètement à l’Est

UdoUdo complètement à l’Est, texte et mise en scène de Métilde Weyergans et Samuel Hercule, création musicale de Mathieu Ogier

 Blanche-Neige est un conte allemand dont la version la plus connue est celle de Jacob et Wilhem Grimm (1812) dont on ne compte plus les adaptations pour la scène, la BD  et bien sûr le  cinéma qui ont commencé il y a un siècle  avec le film muet, en noir et blanc de J. Searle Dawley.
 Une reine, malheureuse de ne pas avoir d’enfant, se pique le doigt en cousant : quelques gouttes de sang tombent sur la neige. «Si j’avais, dit-elle, un enfant, au teint blanc comme la neige, aux lèvres rouges comme le sang et aux cheveux noirs comme le bois d’ébène !». Et peu après, elle meurt, en accouchant d’une petite fille. Le roi se remarie avec une femme  jolie mais méchante et jalouse de Blanche-Neige. Son miroir magique lui répète qu’elle est la plus belle du royaume mais reconnaît un jour que  Blanche-Neige  est devenue plus belle.
 La reine demande alors à un chasseur de la tuer et de lui en rapporter le cœur, mais il n’obéit pas et l’abandonne Blanche-Neige dans les bois, qui, seule, découvre une  petite maison abritant sept nains qui ont pitié d’elle, la cachent et l’emploient comme servante. La reine, apprend, toujours grâce à son miroir qu’elle vit toujours, et  elle essaye trois fois de la faire mourir. Déguisée en paysanne, elle lui fait croquer une pomme empoisonnée à Blanche-Neige qui  tombe comme morte.
Les nains, accablés de tristesse, la mettent dans un cercueil de verre pour que tous puissent l’admirer.Un prince en tombe amoureux et obtient leur permission d’emporter le cercueil, mais, en route, le morceau de pomme coincé dans la gorge de Blanche-Neige se dégage, et elle se réveille. Le prince la demande en mariage; invitée à la fête, la reine est condamnée à danser avec des chaussures de fer chauffées au rouge…
 Un psychanalyste comme Bruno Bettelheim s’était beaucoup intéressé aux contes de fées, «miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité ». Et sur le petit plateau, Mathieu Ogier qui a sans doute aussi lu Bruno Bettelheim, sait nous parler de cette Blanche-Neige mais d’une autre façon:  « Vous connaissez l’histoire ? Mais je peux vous le dire, moi : ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Pas du tout.Dans ce livre, on parle d’un roi. Une seule fois, à la première page, après plus rien. Tout le monde s’en fout complètement du père de Blanche-Neige. Et ce père, ce roi, c’est moi. Udo, je m’appelle Udo, mais dans l’histoire, on dit juste «le roi». Mais il est où, ce «roi» pendant tout ce temps où sa petite fille est en danger? C’est bizarre, non ? Et il fait quoi ? Il s’est sans doute passé quelque chose dans sa vie pour qu’il soit si transparent… Comme un fantôme. Peut-être qu’il faudrait lui poser la question, au roi… Vous voulez que je vous raconte mon histoire? ».
 Ainsi commence  ce court (quarante-cinq minutes) mais très beau et poétique spectacle pour enfants.  Matthieu Ogier, seul à un pupitre, raconte d’abord cette histoire merveilleuse et cruelle, en tournant les pages d’un livre illustré, puis en joue le prolongement imaginé par Métilde Weyergans et Samuel Hercule.On le voit ainsi mimant Udo dans le train qui l’emmène très loin de son royaume, un ensemble de hautes tours de H.L.M. !. Avec des moyens très simples, les metteurs en scène suggèrent une situation, un lieu comme la vitre embuée d’un wagon (photo plus haut). Ce  fameux roi, en réalité, un pauvre trapéziste au chômage, reçoit une proposition de travail dans un cirque… installé tout au bout du Transsibérien.
Il va donc quitter donc femme et fille pour un long voyage dans une Russie neigeuse et glacée que l’on voit, comme les autres personnages de cette épopée, sur un écran, comme par magie grâce à de minuscules projecteurs, mais les flocons  de neige sont  soufflés  à vue par un ventilateur.

Tout va donc bien pour le trapéziste qui a retrouvé du travail, mais le dernier jour du sixième mois de son contrat, il rate le filet et fait une grave chute, ici métaphoriquement figurée par l’écroulement d’une trentaine de grosses boîtes de conserve blanches et rouges. Il s’en sortira mais deviendra amnésique pendant huit ans, ce qui rappelle évidemment la mort supposée de Blanche-Neige.
Il
finit par retrouver sa fille mais c’est maintenant une jolie jeune femme qu’il ne reconnaît pas vraiment…  Udo travaille toujours dans un cirque  où… faute de mieux, il vend à l’entracte des pommes d’amour! Vous savez : celles enrobées de caramel rouge qui font rêver les enfants, à l’inverse de la fameuse pomme empoisonnée, croquée par Blanche-Neige. C’est une  triste fin  mais moins cruelle que celle du conte  traditionnel!
Mathieu Ogier nous raconte l’histoire de cet Udo, avec beaucoup d’intelligence, de simplicité et une excellente diction. Quentin, son frère, à la console, apporte bruitages en direct et musique qui servent d’appui aux images  illustrant cet
impeccable et beau spectacle, mis en scène avec une grande rigueur par leurs auteurs sur la petite scène du café des Œillets où il a été chaleureusement applaudi par les adultes…
Nous souhaitons vraiment aussi que les groupes d’enfants puissent le voir, dès que cela sera à nouveau possible.

Philippe du Vignal

Café des Oeillets au Théâtre de la Ville, 2 place du Châtelet, Paris (4ème). Les représentations sont bien maintenues jusqu’au 28 novembre, et ensuite jusqu’au 20 février (dès huit ans). T: 01.42.74.22.

 

Kyoto forever 2

kyoto-forever-2_3Kyoto forever 2, une comédie fatale de Frédéric Ferrer

 

 Verra-t-on, en 2050, cent cinquante millions de réfugiés climatiques ? Cela risque d’arriver, si la température augmente de trois degrés, comme c’est probable, et si on ne s’en tient pas sagement au degré et demi qui permettrait à la planète et à ses habitants de survivre. Attaquer de front la question du climat, au niveau des États et des organisations internationales, c’est entrer dans un labyrinthe apocalyptique.
 Le temps n’est plus celui des scientifiques : maintenant, on sait. On est arrivé à celui des politiques, et au moment des choix. Moment est le terme exact venant du momentum  latin évoquant le mouvement minuscule déclenché par un petit grain de sable ou une plume  déposée sur un des plateaux de la balance et qui la fait pencher. Mais ce choix, trop sérieux pour être laissé à chacun, est donc confié aux mains expertes de professionnels de la négociation internationale.
Pas de quoi rire, ni faire rire, et pourtant Frédéric Ferrer et sa compagnie Vertical Détour y arrivent. Après toute une série de conférences-spectacles sur le climat, dont le premier Kyoto forever et le savoureux et stimulant À la recherche des canards perdus (sur la fonte des glaciers du pôle), ce Kyoto forever 2 vient heureusement questionner la COP 21, enfermée par mesure de sécurité, loin des manifestations de l’opinion.

Nous voici donc invités à la COP 28, en passant vite par-dessus les COP successives, les réussies, les décevantes, les bloquées, les remises à plus tard, les oubliées… La séance commence par une étourdissante avalanche de remerciements polyglottes (comme le sont les comédiens). Et l’on a beau ne rien savoir de la diplomatie onusienne, on reconnaît aussitôt sa magnifique langue de bois, bois précieux, en effet.
  Le suspense de l’affaire est le suivant : arriverions-nous, en cinq jours, à un texte commun ? La réponse est: oui, bien sûr, il le faut. Les COP doivent en effet produire et ratifier un texte. D’où un travail acharné sur les virgules, les parenthèses, les crochets, bref sur les «modalisateurs» de précaution. D’où l’inévitable stupeur des participants voyant qu’en deux jours, sur les cinq prévus (mais on jouera les prolongations), on en est encore à la moitié du premier paragraphe!
 D’où ensuite une galopade pour survoler le reste, allez hop ! Tout le monde est d’accord, surtout si le président n’écoute pas tout le monde. Derrière la très efficace comédie diplomatique, et les mises au point de plus en plus déjantées de Frédéric Ferrer au fil des interruptions de séance, sont ici posées de vraies questions de géopolitique. Par exemple : pourquoi traiter le problème des émissions de gaz à effet de serre, gravement responsables du réchauffement climatique, en bout de tuyauterie, et non à la source, autrement dit, en préférant laisser les combustibles fossiles là où ils sont, dans le sol ? Par exemple : l’écologie et le sauvetage de la planète sont-ils compatibles avec le capitalisme, tel que nous le connaissons ?
La Maison des Métallos a organisé toute une série d’actions autour de ces points (à voir sur son site), pendant toute la durée de la COP 21. Pourtant, ici, jamais ces questions urgentes ne nous “prennent la tête“ : Frédéric Ferrer pratique un pessimisme joyeux, avec une belle virtuosité. Techniciens précis, jeunes comédiens impressionnants en femmes et hommes de pouvoir-c’est la COP 28, et la diplomatie s’est donc féminisé- humour, rythme soutenu : il y a, avec ce Kyoto forever 2 quelque chose de précieux qui n’est pas en voie de disparition, c’est le plaisir du spectateur…

 Christine Friedel

 Maison des Métallos. T : 01 47 00 25 20, jusqu’au 6 décembre.

 

Bella Figura

Bella-Figura

Bella Figura de Yasmina Reza, traduction de Thomas Ostermeier et Florian Borchmeyer, mise en scène de Thomas Ostermeier (en allemand surtitré)

 Yasmina Reza s’était fait connaître avec Conversations après un enterrement, il y a presque trente ans à Paris, puis avec Art en 1994, et ses pièces sont jouées aussi par le Royal Shakespeare Theatre, le Berliner Ensemble, la Schaubühne (comme  Bella Figura, le Burgtheater de Vienne ou le Théâtre dramatique royal de Stockholm. On a eu aussi droit à La Traversée de l’hiver, L’Homme du hasard, Trois versions de la vie, Une pièce espagnole, Le Dieu du carnage qu’elle a mise elle-même en scène et, l’an passé, Comment vous racontez la partie au Théâtre du Rond-Point (voir Le Théâtre du Blog).
Yasmina Reza a obtenu deux Laurence Olivier Award, et deux Tony Award pour Art et pour Le Dieu du Carnage. Et cette auteure de théâtre mais aussi de quelques romans et essais, est solidement installée dans le théâtre français: nombre d’excellents acteurs en France comme Jean-Paul Roussillon, Isabelle Huppert, André Marcon, André Dussolier… comme à l’étranger, ont joué ses pièces.

 Et Bella Figura créée à Berlin, cela donne quoi ? Sur le parc de stationnement d’un restaurant, une petite voiture noire Peugeot, d’où descendent Andréa, très séductrice, en mini-robe et chemisier blanc, mère célibataire d’une petite fille de neuf ans, et qui travaille comme préparatrice dans une pharmacie. Lui, Boris, son amant depuis quelques années, est marié à Patricia que l’on ne verra jamais mais dont on parle souvent.
 Boris dirige une entreprise de miroiterie qu’il a récemment orientée vers la construction de vérandas. Mais sans succès, et il est tout proche du dépôt de bilan suivi d’un plan de redressement. Ambiance ! La soirée commence par une belle gaffe d’Andréa qui précise qu’il a choisi ce restaurant sur les conseils de son épouse. Il récidivera plus tard en faisant remarquer à André que le repas qu’il lui offre dans ce restaurant est cher ! Puis Boris, au volant de sa voiture, renverse légèrement Yvonne, la mère très âgée d’Eric Blum, venue fêter là son anniversaire avec son fils et sa femme Françoise.
 Boris connaît Françoise (une amie de sa femme Patricia!) et Eric qui lui donne quelques conseils solides pour essayer de sauver son entreprise. Mais Françoise ne supporte pas la présence de la belle Andréa, et le lui fait savoir. Yvonne, obsédée en permanence par le vol possible de son sac à main, sympathise avec elle, et lui demande conseil sur plusieurs de ses médicaments.
Boris semble en avoir assez de cette soirée qui semble bien mal tourner. Ce qui ne l’empêchera pas de rejoindre Andréa aux toilettes où il lui fera l’amour. Scène que verra Yvonne, assez abasourdie, qui fait tomber dans la cuvette des dites toilettes, son précieux carnet couvert de peau d’autruche. Carnet que récupère et fait sécher la belle Andréa. Vous avez dit passionnant ?
  Puis les deux couples et la vieille dame se retrouveront sur les canapés du salon du restaurant. Mais Françoise est de plus en plus agacée par Andréa dont, pourtant, elle finira par se rapprocher. Yvonne, elle, est toujours obsédée par le risque de perdre son sac, et recommence à demander conseil à Andréa sur les médicaments qu’elle doit prendre. Bref, la soirée part en quenouille. Andréa et Boris semblent encore amoureux, malgré comme vous l’aurez bien compris, ces épreuves insoutenables !!!  Comme la coexistence forcée, le temps d’une soirée, avec l’autre couple, (Eric drague sans scrupules une Andréa déjà assez imbibée et lui propose une ballade en hélicoptère). Et la la vieille dame finit par exaspérer son fils qui va quand même l’entraîner avec Françoise vers son dîner d’anniversaire!  Tout cela a évidemment un petit goût d’amertume pour André et Boris.
 C’est Thomas Ostermeier qui a passé commande (on se demande pourquoi !) de ce chef-d’œuvre à notre grande dramaturge et qui le met en scène  de façon assez curieuse. Avec son plateau tournant fétiche mais dont on voit mal ici la nécessité, avec aussi de la vapeur d’eau généreusement dispensée, sans doute pour montrer comme le dit Yasmina Reza, que «la pièce se déroule presque entièrement à ciel ouvert dans un jour déclinant», avec  enfin des intermèdes/vidéos d’oiseaux blancs sur fond noir, puis de sauterelles en gros, voire très gros plan obscène au sens étymologique du terme, pendant que les accessoiristes changent (souvent) les éléments de décor cités plus haut…
 Tout se passe en fait comme si on assistait à une parodie d’une mise en scène de Thomas Ostermeier. Et quand on lui demande pourquoi il  monté ce texte, il répond laconiquement: « Pourquoi pas? ». Donc on n’en saura pas plus! Il y a bien quelques courts moments où on a l’impression que la pièce va enfin décoller mais non rien à faire ! Ces petites scènes entre quarantenaires qui s’ennuient, continuent à faire du sur-place. Yasmina Reza a bien du sang russe mais pas celui d’Anton Tchekhov, et c’est nous qui commençons à nous ennuyer sec…
  Que peut-on sauver de cette toute petite histoire qui dure quand même presque deux heures, (on a l’impression que Yasmina Reza va souvent à la ligne!) et que l’on oubliera très vite ! Pas grand chose, sinon la direction de Thomas Ostermeier, et ses acteurs tous remarquables, dès qu’ils entrent en scène: Nina Hoos surtout, et Mark Wasschke  (Andréa et Boris), Stéphanie Eidt et Renato Schuch (François et Eric), et Lore Stafanek qui campe une incroyable et pittoresque Yvonne. C’est grâce à ces interprètes que cette piécette arrive quand même-mais par très courts moments-à prendre vie…
  Nous ne pouvons que nous répéter: même si les notes d‘intention la concernant nous  disent souvent:  « Les œuvres théâtrales de Yasmina Reza sont adaptées dans plus de trente-cinq langues… et jouées à travers le monde », elles  nous intéressent peu, et cette Bella Figura ne nous fera pas changer d’avis… En fait, tout se passe comme si le nouveau boulevard était arrivé, un peu drôle mais quand même dans la noirceur (il faut bien faire illusion!). Yasmina Reza nous convie, une fois de plus, à voir de très bons comédiens interpréter un semblant de texte, plein de stéréotypes à effet-miroir où un certain public peut se reconnaître, comme la belle-mère que l’on supporte mal, les histoires de couples, l’entreprise qu’on a du mal à sauver, la difficulté à gérer  uen situation de cris, etc.).
Ses dialogues, à la pseudo-élégance française, avec quelques mots d’auteur, ont quelque chose d’une sorte de sous Sacha Guitry qui restent décidément inodores et sans saveur.
Donc, à vous de décider mais on n’a guère de raisons de vous faire aller jusqu’à Sceaux. A moins de n’être vraiment pas difficile, ou d’avoir envie de voir comment les formidables comédiens allemands de la Schaubühne, très applaudis, arrivent quand même à rendre crédibles leurs personnages, ce n’est pas la peine de perdre une soirée… Les temps sont déjà assez rudes comme cela.

Philippe du Vignal

Les Gémeaux/Scène nationale de  Sceaux. T: 01 46 60 05 64 jusqu’au 29 novembre.

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