La Damnation de Faust

La Damnation de Faust, opéra d’Hector Berlioz, mise en scène d’Alvis Hermanis.

566574b40000000000000000_BIG«Heureusement, je dirais, on a encore la musique !» s’exclamait un spectateur à l’entracte de l’avant-dernière représentation, et le public a applaudi avec chaleur les artistes au moment des saluts.
 Dans cette création, assemblage de dissonances, on trouve de tout; du très bon, les chœurs et l’orchestre de l’Opéra de Paris, dirigés avec fougue par Philippe Jordan; du bon, les trois solistes, Sophie Koch (Marguerite), Bryan Hymel (Faust) et Bryn Terfel, (Méphistophélès) ; du surprenant : Dominique Mercy, en fauteuil roulant, dans le rôle muet et dansé de Stephen Hawking, physicien et cosmologiste britannique bien connu pour ses travaux sur les trous noirs, dont quelques phrases sont projetées ; et du très discutable, le travail du metteur en scène lettonien Alvis Hermanis!
Son idée originale de transposer Faust dans le futur, une lourde scénographie et la chorégraphie d’Alla Sigalova ne suffisent pas à compenser l’absence de réelle direction d’acteurs. A la question : «Qui est le Faust de notre temps ?», projetée au début du spectacle, le metteur en scène répond, en proposant un voyage vers Mars pour sauver la planète à un groupe de jeune gens. Méphistophélès et ses acolytes coordonnent cette équipe; ils  abandonneront les blouses de médecins-contrôleurs de cette mission, pour revêtir, à la fin, une tenue de spationautes. Faust perdra son âme dans l’aventure…
 Des blocs de verre et d’acier, en permanence mobilisés sur scène, servent parfois de prison à ces jeunes cobayes humains, candidats astronautes. D’autres blocs, placés au-dessus, servent aux projections vidéo. Les images illustrent lourdement l’action, comme ces baleines accompagnant le chant d’amour de Marguerite. Ou témoignent d’une réelle esthétique, quand, par exemple, la surface d’un corps humain filmée au plus près, évoque le territoire inexploré de Mars. «Au nom du diable, on danse !» clame Méphistophélès; Alla Sigalova aurait dû l’entendre et nous entraîner dans une danse folle, entre luxure et terreur. Mais la chorégraphe a dû composer avec l’espace encombré du plateau, où on retrouve un mélange de styles : un peu de Mats Ek, un peu d’Angelin Prejlocaj, un peu de Maurice Béjart.
  Les jeunes danseurs, mis à rude épreuve, rampent au sol, s’agglutinent dans une cage en verre, se retrouvent statufiés, seuls ou en couple, enfilent des tenues de spationautes, ou portent des tutus  avec de petites ailes d’ange…
  Il faut souligner le travail de Christine Neumeister, directrice des costumes de l’Opéra de Paris, qui s’est adaptée aux multiples exigences  du metteur en scène. Malgré toutes ces réserves, nous n’oublierons pas le moment de grâce final (à l’initiative de la chorégraphe), où Dominique Mercy, aidé par les autres danseurs, quitte son fauteuil roulant et s’élève maladroitement vers le ciel.
 Quand, après avoir convaincu Faust, Méphistophélès dit :«Le charme opère, il est à nous», une partie du public séduit, se souviendra longtemps de ces images décalées et excessives…

Jean Couturier

 Le spectacle s’est joué à l’Opéra-Bastille, Paris jusqu’au 29 décembre.             


Archive pour décembre, 2015

Les Cahiers Jean Vilar

Livres et revues:

 Les Cahiers Jean Vilar hors série et n°121

   Il s’agit d’un numéro double, comme toujours d’une grande qualité de textes et de photos, qui regroupe d’abord en un seul volume hors série, la correspondance de Jean Vilar avec son épouse Andrée  Schlegel, peintre et poète. Ces lettres avaient déjà été publiées en 2012, dans les numéros 112 et 113 de la revue.
L’acteur et metteur en scène qui restera un des phares du théâtre de la seconde partie du XX ème siècle, parle, lui le jeune Sétois, de l’apprentissage de sa vie parisienne, en 1941, avec ses espoirs et ses coups de tristesse. Et, au fil du temps, dans ce choix de lettres (n’ont pas été publiées avec raison celles trop intimes) Jean Vilar nous livre aussi ses confidences sur la lutte acharnée qu’il a dû livrer pour  créer le théâtre national populaire dont il avait rêvé.
Comme l’écrit  Jacques Téphany dans son édito, “Il est plus que le théâtre, et sa passion d’artiste s’inscrit incessamment dans un dessein civique et son jugement sur ses contemporains est coupant comme une lame. Il n’était pas le lecteur assidu de Chamfort, Retz ou Saint-Simon pour rien. »
Ainsi, dans cette lettre de 1969, il exécute en dix  mots son vieil ennemi: “ Si tu  vas voir une pièce d’Anouilh, je divorce, prends garde!”

  Le second tome de la revue rend d’abord hommage à Roland Monod disparu cet été. Peu connu du grand public, l’homme avait des talents multiples: ancien normalien, connaissant bien les auteurs latins et grecs, il avait écrit autrefois un article resté célèbre dans Paris-Match sur le mythique T.N.P.
Il fut aussi comédien au cinéma dans, entre autres films, Le Condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson et, au théâtre le plus souvent , notamment en 1964 à l’Athénée, dans Le Dossier Oppenheimer,  une des dernières mises en scènes de Jean Vilar. Et tout à fait récemment dans le Ruy Blas de Chrsitian Schiaretti et dans Au Monde de Joël Pommerat.

Il fonda aussi le Théâtre Quotidien de Marseille en 1956 avec Michel Fontayne et Antoine Vitez. Fin connaisseur du théâtre contemporain, il monte des pièces de Georges Schéadé, Paul Claudel, Jean Giraaudoux… Il fut aussi Inspecteur général pour l’enseignement du théâtre auprès de Robert Abirached. Brûlant d’une foi ardente, il voyait beaucoup de spectacles en compagnie de sa femme Hélène, et à la sortie, quand nous parlions ensemble de la mise en scène, il savait être souvent bienveillant mais nous étonnait par la lucidité et l’intransigeance d’un jugement toujours fondé, quand il n’était pas d’accord avec un travail approximatif. Roland Monod aura été, tout au long de sa vie, un excellent serviteur de la cause du théâtre français.
Ce numéro des Cahiers Jean Vilar, rend aussi hommage à Michel Corvin, disparu lui aussi cette  année ( voir Le Théâtre du Blog) Universitaire, auteur d’un Dictionnaire du Théâtre plusieurs fois réédité.
Il y a aussi un texte formidable, celui de la conférence qu’Edwy Plenel avait donnée au dernier festival d’Avignon à la Maison Jean Vilar.
Il parle, avec une grande intelligence, et comme peu l’ont fait avant lui, “de la question de notre pluralité au sein de notre peuple”, de l’actualité de la question écologique, et bien évidemment, des horribles attentats de janvier 2015.
Il rend ainsi hommage à la mémoire du gardien de la paix musulman Ahmed Berabet à l’enterrement duquel  aucun membre du gouvernement ni le Président de la république n’était présent, de cette policière martiniquaise lâchement assassinée, et salue le courage de ce héros, salué par Barak Obama, le  Malien sans papiers, Lassana Bathily qui joua un rôle primordial dans le sauvetage de plusieurs personnes lors du massacre de l’hyper-marché casher à Vincennes.
“Nous devons, nous les progressistes, dit Edwy Plenel, assumer cette idée que la particularité de la France en Europe, est liée à sa longue projection sur le monde où nous nous sommes invités, sans leur demander leur avis, chez de de nombreux peuples; c’est d’être une Amérique de l’Europe dans la constitution de notre peuple.”
Et il conclut par une défense, aussi généreuse et lucide qu’au début de sa conférence, de notre République dont il reconnaît et assume les erreurs et les contradictions: “Depuis trente ans, un imaginaire contraire gangrène, contamine la droite républicaine, et gagne même une partie de la gauche” (…) “Pour sortir de ce piège, il nous faut cet imaginaire politique qui réhabilite le levier du n’importe qui, et fait signe à tout le monde sans distinction d’origine, d’apparence ou de croyance”.

Enfin, signalons aussi un grand entretien avec Georges Lavaudant, notamment sur le Festival d’Avignon, et un texte collectif d’Eric Ruf et Jacques Téphany paru dans Le Monde du 14 novembre dernier pour l’Association Jean Vilar, d’Olivier Py et Paul Rondin pour le Festival d’Avignon, de Christian Schiaretti pour le T.N.P.-Villeurbanne, de Didier Deschamps pour le le Théâtre National de Chaillot, et d’Olivier Meyer pour le Théâtre Jean Vilar de Suresnes après l’attentat, la veille, du Bataclan et des cafés environnants.
Ils font bien de rappeler  la leçon politique de Jean Vilar qui avait osé monter Brecht l’auteur allemand juste après la guerre de 40, et nombre d’auteurs étrangers: « La culture, disait-il, est une arme qui vaut ce que  valent les mains qui la tiennent. »

 Philippe du Vignal

Cahiers Jean Vilar  Maison Jean Vilar 8 rue de Mons 84000 Avignon. En vente partout; 15 € le numéro double.

Signalons aussi  La Roche-Guyon Le Château invisible de notre amie du Théâtre du Blog Christine Friedel, avec des images de Pauline Fouché. « Ce guide rêveur, dit-elle, imaginatif, destiné à se superposer au guide touristique, devrait être comme une caresse au château, avec le trac et le tact qu’il faut: les fantômes sont délicats. »
Editions de l’Amandier, La bibliothèque fantôme. 16€

Bricolez

Bricolez, conception et mise en scène d’Etienne Grebot

  le gant. credit Marielle ArnouxSur scène, une cuisine « moderne”, c’est à dire déjà obsolète (on est toujours l’obsolète de quelqu’un d’autre) avec des carreaux noirs  et blancs hideux, un évier et un plan de travail mais où les placards sont seulement en deux dimensions,  et une porte sur le côté.
Pas très loin de la cuisine mythique de Lapin-Chasseur de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps (1989) au Théâtre National de Chaillot . Curieux endroit puisqu’il y a ici quelque chose d’une salon petit-bourgeois avec une bibliothèque et un tableau (forcément d’une laideur absolue!). Nous sommes chez Monsieur et madame Patin qui doivent présenter la célèbre Méthode Patin de bricolage, d’une efficacité absolue, que l’on soit adroit ou tout à fait manchot.
  Oui, mais voilà, M. Patin vient de se casser le bras… dans un magasin de bricolage; et c’est la cousine de madame Patin qui va le remplacer. Les deux femmes vont faire de leur mieux (qui est souvent, comme chacun sait, l’ennemi du bien) pour tenter de réaliser cette démonstration de bricolage malgré leur amateurisme et leur gaucherie totale, quand il s’agit pour elles d’utiliser un outil même le plus simple, ou absolument inadapté comme une tronçonneuse à la place d’une scie égoïne…
  Trois objectifs au programme de la séance: d’abord l’accrochage du tableau qui, malgré bien des efforts, reste toujours bancal. Plus difficile encore, la mise en place d’une bibliothèque accrochée au mur, dont on se demande comment elles arrivent à la faire rester en équilibre. Cela tient d’un miracle soigneusement orchestré.Vous avez dit truqué? Bien sûr, comme ce tableau foutraque qui s’obstine à ne pas vouloir adopter la position verticale!
Un régisseur invisible mais attentif derrière la cuisine veille à la bonne marche, c’est à dire au foutoir total que les deux femmes vont organiser  sur le plateau. Dernier épisode, la mise en place sur le mur d’un rouleau de papier peint, tout empesé de colle  qu’elles vont malgré tout réussir à faire tenir au mur. “ Nos références,dit Etienne Grebot, sont à la fois Tex Avery et Buster Keaton”.  Et on ajoutera aussi les gags de Laurel et Hardy cette fois au féminin, avec de nombreux moments silencieux. Avec une écriture presque cinématographique où l’action évolue plan par plan à plan,  et où un couple d’actrices-c’est assez rare chez les comiques-créent  des personnages en total décalage avec la vie réelle.

La fin est exemplaire de loufoquerie, et avec une chute d’objets  rappelle celle des spectacles de  Jérôme Deschamps : la bibliothèque, tout d’un coup, s’effondre sur un placard qui va taper sur l’aquarium placé  en hauteur sur une planche, lequel aquarium glisse le long de l’étagère, puis déverse ses livres sur le deuxième placard qui s’ouvre et fait tomber des lentilles sur une balance, qui, par le poids des dites lentilles, se déséquilibrer et fait lever la bouteille qui est posée. Bouteille qui va venir redresser le tableau et le mettre ainsi de niveau.
 Bref, les deux femmes se retrouvent piégées par les objets et les outils dont elle ne maîtrisent plus du tout l’autonomie qu’ils se sont permis d’acquérir. Mais, comme chez Buster Keaton, les gags sont réglés  avec une grande précision, et on ne sait jamais trop ce qui va arriver sur le plateau. C’est finalement une leçon portative de philosophie en 55 minutes qui nous est assénée ici. L’objet devient ici dans Bricolez une sorte de sujet inscrit dans la vie sociale: un tableau, une suite de livres et un rouleau de papier peint et qui va très vite acquérir vu l’incompétence de l’humain, une sorte d’autonomie.
Vous avez suivi ? Peu importe : c’est bien mis en scène, efficace, et souvent brillant: le public d’enfants est réjoui, malgré quelques temps morts. Laure Seguette et Frédérique Moreau de Bellaing jouent les idiotes de service avec un naturel tout à fait remarquable,c’est à dire qu’elle mettent toute leur intelligence  d’actrices pour  que cette catastrophe  prenne vie sur le plateau.

  Le spectacle a au encore peu de représentations et a déjà pris une bonne vitesse de croisière dans le genre comique visuel et gestuel. Mais on pressent qu’Etienne Grebot et ses comédiennes peuvent encore aller beaucoup plus loin.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre d’Aubervilliers en décembre. Et en tournée dans la région de Dijon.

À tort et à raison

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À tort et à raison, de Ronald Harwood, traduction de Dominique Hollier, mise en scène de Georges Werler

 L’art du chef d’orchestre Wilhem Furtwängler (1886-1954) évoque le grand répertoire romantique allemand, avec une prédilection pour Ludwig van Beethoven, Richard Wagner et Richard Strauss. Mais son sens dramatique sert aussi l’œuvre de Wolfgang Amedeus Mozart, en révélant la belle profondeur de Don Giovanni et de La Flûte enchantée.  Nommé chef à vie de l’Orchestre Philarmonique de Berlin et, de 1922 à sa mort, il  ouvrira son répertoire à la musique contemporaine, en créant des œuvres d’Arnold Schönberg,  Serge Prokofiev, et Paul Hindemith, qu’il défendra, quand Hitler et Göring interdisent les représentations de Mathis le peintre à l’Opéra de Berlin, dont  le compositeur tirera une symphonie en 1934.
En décembre de la même année, Wilhem Furtwängler se démet de toutes ses fonctions pour protester contre l’antisémitisme et l’intrusion du pouvoir dans le domaine artistique.

Après plusieurs mois de négociations, il reprend ses activités à l’Orchestre Philarmonique de Berlin dont il reste le directeur musical mais il refuse de participer à diverses manifestations de propagande, ce qui lui vaut l’hostilité de Goebbels et une surveillance soupçonneuse  d’Himmler.
Pendant cette période nazie, il aidera les musiciens juifs à quitter l’Allemagne. En février 1945, il s’exile en Suisse où il se consacre à la composition. Les Alliés lui interdisent de diriger et il devra attendre le 17 décembre 1946 pour être blanchi de tout reproche d’activités nazies, notamment grâce à Yehudi Menuhin et Ernest Ansermet.
Wilhem Furtwängler a inspiré la démarche artistique des générations de chefs, de Daniel Barenboïm à Simon Rattle. Il sait diriger, avec un mystère qui n’appartient qu’à lui, en particulier les instruments à cordes, dont il obtient des sonorités moelleuses et généreuses,  et il  possède une excellent art de la communication.

Ronald Harwood, scénariste du film Le Pianiste, place les personnages d’À tort et à raison à Berlin, lors la défaite des nazis en 1946.  Michel Bouquet reprend le rôle de l’énigmatique Wilhem Furtwängler, accusé de compromission avec le régime nazi, parce qu’il avait accepté de diriger son orchestre pour l’anniversaire d’Hitler, refusant d’abord de céder sa place au jeune Hubert von Karajan.
Le commandant américain, Steve Arnold, interprété par Francis Lombrail, sorte d’inspecteur Colombo sympathique, plus grand mais à la même voix éraillée, personnage brut et fier de son inculture, face à ce qu’il considère comme l’arrogance de l’art européen. Il mène ainsi l’interrogatoire avec rudesse, bien décidé à prouver la culpabilité de ce musicien, heureux élu  des arts, sûr de son talent et dévoué à son œuvre.
 L’accusé reconnaît pourtant que, contrairement à ce qu’il croyait, l’art et la politique restent intimement liés, lui qui plaçait avec une certaine naïveté, la musique au-dessus de tout.
La transcendance musicale -un au-delà, un refuge et un rêve-profondément vrai et juste, n’accorde à l’être un sentiment existentiel, que s’il est d’abord inscrit sur le plan politique et social dans le monde.
Wilhem Furtwängler aurait-il dû quitter l’Allemagne? Sans aucun doute, reconnaît-il lui-même. Pour ne pas soutenir, aussi peu soit-il, un régime inique, cruel et barbare.
Avec autour de lui, Juliette Carré, Didier Brice, Margaux Van Den Plas et Damien Zanoly, le maître Michel Bouquet soutient à merveille l’équivoque du personnage, perdu dans ses pensées, réfléchi, garant de la musique qui l’habite et d’un beau sentiment d’humanité.

 Véronique Hotte

 Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris.  T : 01 43 87 23 23

 

Déesses et Démones

Déesses & Démones chorégraphie de Blanca Li

IMG_7337Voilà un challenge important relevé par Maria Alexandrova, danseuse-étoile du Bolchoï qui s’est engagée dans une aventure chorégraphique atypique, sur un concept de Blanca Li, autour de la place des femmes dans les mythes antiques. Ceci prouve, une fois de plus, la faculté d’adaptation des interprètes de cette institution russe. Après deux mois et demi de répétitions fragmentées entre Paris et Moscou, elle danse ici en duo avec Bianca Li qui poursuit ici son exploration des nouvelles technologies au service de la scène, après Robot, joué avec succès en 2013, dans ce même théâtre.     
  Avec les arrangements de Tao Gutierrez de musiques célèbres comme La Danse Macabre de Camille Saint-Saëns ou Le Concerto pour piano n°1 de Frédéric Chopin, avec les costumes d’Azzedine Alaïa ou de Jean-Paul Gaultier (entre autres) et le concours de John Nollet, star de la coiffure, la chorégraphe  a voulu construire un spectacle ouvert au grand public et destiné à une diffusion internationale.
  Elle entend ainsi mettre en valeur l’esthétique et la technique des  interprètes qui, adoptant alternativement des styles opposés ou similaires, se croisent et dont parfois les silhouettes se reflètent en fond de scène. Un tulle, qui permet aussi des projections, les sépare du public, et rend malheureusement, leur présence irréelle, impalpable.
  Ici, scénographie et technique ont tendance à masquer la précision des mouvements. Vu la sophistication des effets visuels, chaque tableau demande des conduites lumière, vidéo et son très précises, et le rythme du spectacle s’en ressent…
Certaines séquences sont d’une belle esthétique, comme celle en noir et blanc, sur les notes de Chopin, avec une gestuelle en miroir;  l’apparition des interprètes, de profil, à la manière des frises murales d’Antoine Bourdelle représentant Isadora Duncan et Vaslav Nijinski ;  ou encore le tournoiement des amples robes multicolores dont l’ombre au sol se trouve projetée en fond de scène pour démultiplier les corps des danseuses. 
Le titre de la pièce pourrait être celui d’une exposition, tant le sujet est vaste.  Le public est libre d’interpréter, à sa manière, le sens des images produites, mais le spectacle doit encore mûrir et trouver son rythme, entre contraintes techniques et réalité du geste dansé, pour que nous puissions apprécier, à sa juste mesure, le talent de ces interprètes fascinantes, chacune dans son style : contemporain ou classique.

Jean Couturier

Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 3 janvier.
blancali.com    

Entretien avec Myriam Marzouki

Entretien avec Myriam Marzouki

   myriam 7La metteuse en scène inscrit son prochain spectacle, Ce qui nous regarde dans la continuité d’un travail d’exploration des imaginaires contemporains. Avec des thèmes cristallisés sur un objet à la fois polémique et polysémique: les femmes voilées dans les sociétés occidentales qui sont pour le regard une image singulièrement visible et sensible, et qui provoquent peur, fascination, rejet, curiosité et incompréhension.
Porter le voile en Occident, c’est à la fois montrer qu’on se cache, et devenir l’icône d’une religion aniconique, puisque l’Islam n’exclut ni ne recommande la création d’images. Paradoxe que l’historien de l’art Bruno N. Aboudrar explique ainsi : «Le voile est un argument visuel dans la lutte mondiale pour le partage du visible».
Ce qui nous regarde sera créé au festival Théâtre en Mai 2016 au Théâtre Dijon-Bourgogne Centre Dramatique National que dirige Benoît Lambert.

 -Comment en êtes-vous venue à la question du port du voile ?

-Myriam Marzouki : L’histoire fait débat depuis plus de vingt-cinq ans, quand deux collégiennes de Creil décidèrent en 1989 de le porter, provoquant polémiques, crispations et agacements collectifs.
Je ne suis ni voilée, ni musulmane, ni croyante, mais je me sens néanmoins concernée, en tant que femme de gauche et féministe, de double culture et nationalité, française et tunisienne; je ne porte pas ma laïcité-mot polémique et dévoyé-comme un étendard. Le théâtre politique que je défends avec ma compagnie du Dernier soir, ne consiste pas à rejouer sur scène le débat médiatique de savoir si l’on est pour, ou contre le voile. Il consiste plutôt à trouver les axes possibles qui traitent du sujet, en évitant la position frontale du débat politique télévisé.

 -Quels matériaux avez-vous utilisé  pour « faire théâtre » ?

-M. M. : Je me suis mise à travailler sur ceux qui portent, non pas sur la question du voile, mais  sur celle de l’image qui produit une réaction affective. Regarder une femme voilée suscite l’affect : incompréhension, colère ou fascination.
L’angle de questionnement choisi revient, non pas à se demander pourquoi les femmes le portent mais comment, nous, société française, nous regardons cette image…

 -Que voit-on ? Qui voit-on ? Qu’y voit-on ?

-M. M. : Quelle que soit l’image qu’on regarde, on la regarde toujours avec une mémoire. Sur la question du voile, se conjuguent une histoire longue et une histoire plus récente. Cette longue histoire remonte au début des religions monothéistes : il a été chrétien et juif, avant d’être musulman.
Quant à l’histoire récente de la référence à la laïcité, elle pose la question coloniale, de façon particulièrement crispée en France, beaucoup plus qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne.

 -Le spectacle a donc pour objet le regard et la perception  que l’on en a.

-M. M. : Le spectacle ne cible pas l’ailleurs : il ne traite pas du voile en Iran ou en Turquie, il ne parle pas des pays où les femmes sont contraintes de le porter. Pourquoi ces femmes françaises portent-elles aujourd’hui une image de l’altérité ? De quelle rencontre s’agit-il ?

 -Comment concevez-vous la mise en scène de Ce qui nous regarde ?

-M.M : Comme un «théâtre des apparitions», qui traverse des imaginaires associés au voile. Ce qui nous regarde est un voyage, ni logique ni chronologique, qui procède par montage, associations, sauts dans le temps. Les trois comédiens et un musicien, incarnent la diversité des regards qui peuvent se poser sur cette image du voile.
Il y a dans le spectacle une dimension de théâtre documentaire car la dramaturgie mobilise différentes formes d’archives mais mises en scène dans un parcours intime et poétique. Le travail sensible des images permet de traiter des enjeux politiques du thème, en faisant un pas de côté, vers les imaginaires, la mémoire, les sentiments.

 -Que racontent les matériaux de l’ouvrage/du spectacle ?

-M. M. : La dramaturgie est celle d’une écriture de montage. Des extraits d’œuvres très différentes constituent la trame du récit que nous faisons sur scène; j’ai cherché à réunir des textes qui permettent de faire varier points de vue, positions, et époques. De faire entendre la complexité du problème. Non pas donner raison à tout le monde, mais incarner des nuances, des contradictions, des impasses, rendre les questions, sensibles.
Avec un extrait de L’Epître aux Corinthiens de Saint-Paul, un texte de Pasolini, La Rage (La Rabbia), script d’un film qu’il a réalisé en 1963 et qui évoque le rapport à la norme bourgeoise et à  la question de l’après-guerre, du colonialisme, des références à la fois datées et qui résonnent fort, aujourd’hui.
Il y a aussi des matériaux très contemporains : Prendre dates, de l’historien Patrick Boucheron et du poète Mathieu Riboulet, publié après les événements de Charlie Hebdo et qui traduit l’état de confusion, d’inquiétude et de danger dans notre société, un livre délicat qui essaie de nommer ce qui nous arrive aujourd’hui collectivement.
 Nous avons aussi choisi plusieurs extraits du dernier roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex, paru en 2015 et que j’ai lu avec une grande jubilation, et je suis très heureuse d’en faire exister trois personnages dans mon spectacle.

 -Apportez-vous une part personnelle à l’ensemble ?

- M. M: J’ai construit avec les acteurs une narration qui commence par un prologue personnel qui montre des archives familiales. Par le biais de ces images, je me sens liée, sans être intimement concernée, au débat sur le voile.

 -Le spectacle n’est pas militant, dites-vous, mais défend une position.

 -M. M. : Pour essayer de comprendre la complexité de l’image de la femme voilée, je me suis inspirée de la pensée de Walter Benjamin pour qui un objet a une aura, quand il déclenche d’autres associations d’images intensément fortes. Le voile déploie aujourd’hui cette aura : dès qu’on le regarde plus ou moins consciemment, on est traversé par des imaginaires divers qui se sont sédimentés avec le temps.

 -L’intention du spectacle consiste à les déployer ?

 -M. M. : Ce qui nous regarde propose une traversée dans l’imaginaire du voile, tout en essayant de démontrer que cet objet, qui a une histoire, est multiple et beaucoup plus complexe que ce qu’on pourrait croire.
 Le spectacle procède par glissements et associations, en croisant la dimension du temps historique. Des matériaux divers participent à la fabrication d’images scéniques inattendues, avec des références iconographiques, des jeux de lumière et une chorégraphie.
Si l’on considère les photos de mode et les femmes du cinéma hollywoodien des années 60, porter le foulard pour Sophia Loren, Audrey Hepburn ou Grace Kelly correspond à un signe d’ultime coquetterie, une allégorie de la féminité.
Or aujourd’hui, certaines femmes musulmanes le portent, constitué de la même quantité de tissu, et pourtant l’objet n’a plus la même signification, ni pour elles, ni pour ceux qui regardent !

 C’est ce glissement des sens, cette manière dont une image fait signe de ceci ou de cela,  qui me semble très riche à travailler sur scène, avec les corps de manière ambiguë et ouverte, en posant des questions à notre regard.

 -S’il y a un message à transmettre, c’est celui de savoir comment on regarde.

-M. M. : En féministe, je prône la tolérance en laissant les femmes se comporter comme bon leur semble.

 -Se comportent-elles comme elles le veulent ou sont-elles manipulées?

 -M. M. : Quand quelqu’un donne le signe de son émancipation. Comment celle-ci est-elle visible ? Comment peut-on la prouver ? L’émancipation équivaut-elle à un dévoilement et à un dénuement ? Le débat est passionnant, tel qu’on l’a construit en Occident.
Toutes les postures féministes qui consistaient à occuper l’espace public et à raccourcir sa jupe en signe d’une liberté choisie, sont dévoyées aujourd’hui par la récupération libérale et capitaliste de la publicité.
Les femmes se sont battues pour montrer d’elles ce qu’elles veulent bien, alors que, de manière paradoxale, la nudité contemporaine correspond désormais en grande partie à la promotion de la femme-objet utilisée pour vendre jus de fruits, yaourts ou voitures. Montrer son corps est une posture excessive à travers cette instrumentalisation.

 -«Tout montrer» correspond-il à la liberté, selon l’héritage du féminisme ?

 -M. M. : Les normes de monstration et de visibilité des femmes ne s’imposent pas  de la même façon aux hommes. Et, finalement, les jeunes filles qui portent le voile posent aussi la question de cette façon-là. La solution n’est pas de se cacher, mais se montrer est devenu quelque chose d’ambigu, car la posture de la visibilité absolue du corps a été récupérée par les magazines féminins, les pubs de porno chic. Peut-on se reconnaître comme femme émancipée dans ces photos ?

 -Le spectacle interroge ainsi ces possibles dans une double intention, à travers la question du corps féminin qui ne peut se réduire à l’équation :«tout montrer correspond à être libre», et à travers la nécessité de poser calmement en France la question de la tolérance.

 -M. M. : On va s’employer à réaliser un spectacle nuancé qui tente de nommer les choses- images et textes-avec drôlerie et beauté. Les positions sont si crispées qu’on se doit de créer des passerelles entre la pluralité des points de vue et les individus.

 Propos recueillis par Véronique Hotte

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Alice et autres merveilles, d’après Lewis Carroll

Alice et autres merveilles, d’après Lewis Carroll, texte de Fabrice Melquiot, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Motta

 

Capture d’écran 2015-12-29 à 21.55.58Frêle silhouette en blouson jaune fluo, telle une petite fée bondissante, Alice, émergeant parmi les spectateurs, atterrit dans l’immensité du plateau nu, de l’autre côté du miroir. Elle se présente comme une figure mythique qu’elle s’empresse de désacraliser  : « Qu’est ce qu’un mythe ? Un gros trou dans un vêtement ».
 Et aussi vite que la musique, la petite fille nous entraîne dans un monde vertigineux et illogique, à la rencontre des créatures irrationnelles qui peuplent l’univers souterrain des rêves. De séquence en séquence, nous retrouvons avec plaisir les célèbres figures imaginées il y a cent-cinquante ans, par un jeune professeur anglais, pour Alice Liddel, âgée de sept ans.
Fabrice Melquiot s’inspire largement de Lewis Carroll, dans cette pièce éditée en 2007, mais l’ouvre à d’autres merveilles. L’affiche montre une enfant d’aujourd’hui, égarée dans une contrée étrange et vaguement effrayante. La neige et la forêt évoquent d’autres histoires, comme celle du Petit Chaperon Rouge, personnage qu’elle croisera en chemin, ou  Pinocchio, le Grand Méchant Loup et, petit détour par le monde contemporain,  la Poupée Barbie.
Le va-et-vient entre l’ici et maintenant de la représentation-la comédienne s’adressant directement au public-et l’intemporalité des contes, constitue la théâtralité de cette Alice aux pays des merveilles,  le temps est un moteur essentiel. Depuis Le Lapin blanc aux yeux rouges, toujours pressé, jusqu’aux personnages du Thé chez les fous englués dans une sorte d’éternité : « Alice : On perd son temps ici. /Le Chapelier : Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, tu n’en parlerais pas comme d’une chose qu’on perd. Le Temps est une personne. (…) !  »

 De plus, notre héroïne, brûlant les étapes de la vie, fait des allers-et-retours entre différents stades de sa croissance, et devient minuscule ou gigantesque, selon ce qu’elle boit ou mange. Oppositions et métamorphoses marquées par des alternances de rythme. L’étrange et le fantasmagorique abondent: autant de défis relevés par Emmanuel Demarcy-Mota et la troupe du Théâtre de la Ville.
   La scénographie épurée d’Yves Collet, privilégie, d’un tableau à l’autre, les changements d’échelle, et joue sur la profondeur du plateau avec des effets de rideaux et de tulles ; sur le haut et le bas, avec des envolées dans les cintres et des chutes à pic de la comédienne. Un plan d’eau-les larmes d’Alice-sera la pataugeoire d’une faune burlesque : Le Dodo, La Souris, Le Canard, L’Aiglon… La Chenille,elle,  y voguera sur une feuille de nénuphar. Le Chat de Cheshire apparaîtra et disparaîtra en plusieurs exemplaires au-dessus de ce miroir aquatique…  Et de multiples lapins blancs courent dans tous les coins du théâtre.
Les éclairages d’Yves Collet et Christophe Lemaire renforcent ces effets d’optique par des jeux d’ombres et des projections. La richesse et l’inventivité des costumes de Fanny Brouste, les masques d’Anne Leray contribuent à créer une imagerie fabuleuse.

 Quant aux acteurs, vigoureusement emmenés par Suzanne Aubert, remarquable en Alice obstinée, ils endossent plusieurs personnages dans une belle harmonie. Rejoints par un chœur d’enfants, pour quelques chansons qui relancent l’action…
Chacun trouve sa place dans l’itinéraire initiatique d’Alice qui subit de nombreux tourments causés par ces êtres bizarres, puis finit par se révolter contre une reine inique.  « Vous n’êtes qu’un jeu de cartes! » lance-t-elle à la face de ces tigres en papier, se posant ainsi en figure féminine pugnace.
Mais on peut se demander alors ce que viennent faire les protagonistes d’autres contes, dans une histoire déjà bien assez riche et cohérente. Ces incursions, même habilement écrites et très bien mises en scène et drôles par leurs anachronismes, semblent superflues.
Avec cette brillante création grand format, premier épisode d’un triptyque, le Théâtre de la Ville ouvre pour la première fois sa salle au jeune public, dans le cadre de la cinquième édition d’un Parcours enfance et jeunesse.

« Notre travail ne peut en aucun cas être «en dessous» parce qu’il est «pour enfant», dit Emmanuel Demarcy-Mota. Le niveau doit être «surélevé», au regard des capacités créatrices et  inventives de l’enfant.» Pari tenu! Le spectacle ne se donne que deux semaines. N’hésitez pas à y assister, avec ou sans enfants, et à guetter sa reprise.

 Mireille Davidovici

Théâtre de la Ville T. 01 42 74 22 77  jusqu’au 9 janvier. theatredeleville-paris.com

Le texte de la pièce est publié aux éditions de L’Arche

Dindon malgré lui

Dindon malgré lui, d’après Molière et Feydeau, mise en scène de Loïc Fieffé et Laurence Causse

 

 vz-99b0fdba-a891-4902-bfe6-f12c6d704055 Ce spectacle avait déjà été joué à Paris il y a deux ans: c’est une sorte de patchwork assez  habile de scènes, entre autres, du Médecin malgré lui, des Femmes savantes, de Georges Dandin mais aussi de La Dame de chez Maxim, du Fil à la patte, et de La Main passe… Scènes d’anthologie sur le thème du couple, du mariage et de ses sorties de route, que Laurence Causse a soigneusement cousues entre elles, avec un bon rythme, et en y associant la fameuse chanson composée par Cole Porter (1953), et que chantent Luis Mariano et Dario Moreno mais aussi Ella Fitzgerald. Et qui revient comme une scie dans le spectacle: “C’est  magnifique. La vie est là  Qui vous prend par le bras Oh la la la C’est magnifique ! Des jours tous bleus Des baisers lumineux.”
Ce contre-point (bien vu) apporte un décalage assez réjouissant… Sur le très petit  plateau, deux portants tendus de toile blanche comme coulisses et un porte-manteaux pour les différents costumes, et  des chaises. Bref, un théâtre aux mains nues  avec le strict minimum, et quelques costumes …

  Et  cela donne quoi? Côté mise en scène, cela ne manque pas de rigueur et de savoir-faire; côté direction d’acteurs, Hélène Morgen  a une excellente diction (ce qui est plutôt rare par les temps qui courent) et une belle présence. Mais la jeune comédienne semble souvent peu rassurée, et sans doute, (par peur de ne pas se faire entendre?) articule comme une damnée, et, au début, parle trop fort, (bis: ce qui est plutôt rare par les temps qui courent!) et elle surjoue, en particulier dans Feydeau. C’est dommage mais corrigible: elle arrive ensuite à camper avec humour et en quelques minutes, un personnage difficile comme celui de la Môme Crevette, avec déjà un sacré métier…
 Patrick Chayrigues, moins convaincant, lui, se débrouille comme il peut. Pari difficile: ni l’un ni l’autre de ces comédiens n’a beaucoup de temps pour imposer un de ses onze personnages, et passer dans les mini-coulisses pour changer de costume. Mais, de toute façon, les conditions de travail ici sont loin d’être idéales: une seule représentation par semaine, et à 21h30!, (donc un manque d’entraînement évident), un espace scénique coincé entre deux gros piliers de pierre, pas de coulisses, et des loges sommaires.
  Par ailleurs,  les metteurs en scène auraient pu nous épargner les petites scènes de liaison genre théâtre dans le théâtre : “Excusez-nous pour le retard, mais mon camarade n’a pas réussi à garer sa voiture, il arrive”. Pénible, pesant et pas crédible un instant: ils auraient intérêt à vite supprimer ces scories…
Donc, un spectacle qui ne manque pas d’intérêt, souvent drôle et piquant, mais encore brut de décoffrage, qu’il faudrait affiner et jouer sur un véritable plateau. Hélas les petites scènes d’autrefois sont devenues chères à louer, et donc peu accessibles aux compagnies qui débutent!

Merci de ne pas déranger madame Fleur Pellerin, ministre de la Culture, pour ce genre de broutilles…

Philippe du Vignal

Théâtre Essaïon 6 rue Pierre au Lard 75004 Paris  chaque mercredi à 21h 30.

 

 
 

 

Spring Awakening, d’après Frank Wedekind

Spring Awakening (L’Eveil du Printemps), d’après Frank Wedekind, comédie musicale, en anglais et en langue des signes, direction de Michael Arden 

109267 Broadway a accueilli cet automne une comédie musicale atypique, chantée en anglais et jouée dans sa totalité en langue des signes américaine (ASL) par tous les artistes. Ce n’est pas la première fois que le Deaf West Theatre de Los-Angeles, qui a vingt-cinq ans d’existence, présente à Broadway une adaptation de ce genre, comme  Big River, tiré de The Adventures of Huckleberry Finn.
Michael Arden établit un parallèle entre l’interdiction de L’Eveil du printemps de Wedekind (1908), et les décisions prises en 1880, au troisième congrès de Milan pour l’amélioration du sort des sourds-muets. Ce  congrès a privilégié, en Europe, la méthode orale, au détriment de la langue des signes que les pays anglo-saxons ont pourtant continué à  défendre.
L’adaptation de L’Eveil du Printemps est d’une qualité d’écriture exceptionnelle, avec un décor d’une pension pour adolescents en Allemagne, en 1891, qui correspond parfaitement à l’intérieur du Brooks Atkinson Theatre, construit en 1926 et rénové il y a peu. Les deux heures quarante-cinq du spectacle s’écoulent dans une belle fluidité, grâce à la chorégraphie de Spencer Liff et à l’énergie des artistes qui interprètent les rôles principaux, Wenla, Moritz, Martha, Otto, Melitta et Ernst, en langue des signes; dialogues et chansons étant doublés. Les autres acteurs mixent les deux langages.

  La pièce évoque l’éveil des sens, ce passage à l’âge adulte où les adolescents mutent corps et âme. Dans le texte d’origine, l’auteur s’en prend aux interdits qui frappent les jeunes. Mais ici, la langue des signes souligne son propos. Toutes les fractures de l’être, les révoltes et perversions naissantes sont exprimées gestuellement, et en langue des signes qui devient ici un vecteur de liberté des corps. A Broadway, on ne voit jamais des doigts d’honneur, un accouplement sur une table, ou un jeune acteur masturbé par ses partenaires féminines sous un drap!
La référence au théâtre reste constante : des portants pour costumes à cour, et une servante, à jardin. La musique de Duncan Sheik, jouée en direct par les acteurs, polyvalents, comme souvent dans les comédies musicales, magnifie ces jeunes gens et donne à cette création un côté jubilatoire. Une belle réponse aux vœux de Frank Wedekind: «Je serais étonné, disait-il, si je vois le jour où on prendra enfin cette œuvre, comme je l’ai écrite, voici vingt ans, pour une peinture ensoleillée de la vie où j’ai cherché à fournir à chaque scène, autant d’humour insouciant qu’on en pouvait faire, d’une façon ou d’une autre».

Jean Couturier

Spectacle vu le 5 décembre au Brooks Atkinson Theatre, New York

www.deafwest.org 

www.springawakeningthemusical.com

Les Immobiles

Les Immobiles de Guillaume Cayet, mise en scène du collectif Le Désordre des Choses 

IMMOBILES2  »Ce collectif a été créé pour monter cette pièce. Lauréate des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre, en novembre 2014, elle fut, à ce titre, publiée aux éditions Théâtrales. Elle sera mise en ondes pour France-Culture courant 2016. Une belle aventure pour ce texte écrit par un jeune homme visiblement doué, issu de l’E.N.S.A.T.T.
Ces «immobiles» habitent un village où un couple de jeunes citadins pense trouver paix et  bonheur, loin de l’anonymat de la ville. En réalité, il leur faudra abandonner liberté et projet de vie commune, pour s’adapter et être adoptés par cette communauté de chasseurs/conteurs, où tout est réglé selon des lois ancestrales que chacun doit accepter, s’il veut y vivre : «Les enfants jouent sur les crêtes, et les vieillards au cimetière». On chasse  le dimanche, on y chante un hymne appris, et on ne prend aucune initiative avant d’en référer à la collectivité.

  Elle, sensible, amoureuse, certes névrosée mais fidèle à ses engagements, pressent le danger d’un fascisme ordinaire qui se cache derrière une soi-disant bienveillance, les démonstrations d’une amitié imposée,  et une norme sociale, légère au début mais insoutenable ensuite.
 Lui, trouve aussitôt un équilibre et même un avenir car il y fait sa place. Le couple, bien entendu, se délite, et elle devient l’ennemie de l’ordre établi, celle qu’il faut chasser à tous les sens du terme, voire exterminer.  C’est une fable sur la norme qui régit les sociétés, sur le droit à la différence, sur la tolérance.
  La mise en scène a le mérite, dans l’espace exigu du plateau, de montrer avec clarté comment le couple se fait écraser sous les apparentes bonnes intentions des villageois. Les comédiens se sont emparés avec beaucoup de naturel et d’enthousiasme de cette pièce jouée dans le cadre de Scène/Découvertes, au théâtre de l’Elysée, une petite salle lyonnaise, autrefois cinéma de quartier, qui permet à bien des auteurs et metteurs en scène de présenter leur travail.
Une sorte de pépinière, un lieu de découvertes,  très vivant, avec un public jeune, curieux et enthousiaste qui laisse à penser que le théâtre a un bel avenir !

Elyane Gérôme

 Spectacle vu au Théâtre  de l’Elysée, 14 rue Basse Combalot 69007 Lyon.  theatre@elysee.com
Riom, Forum Rexy, le 1er mars; Lyon, Lavoir-Public, du 7 au 10 mars. Lunéville, La Méridienne, le 1er avril.

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