Un Fils de notre temps

 Un Fils de notre temps, d’après le roman d’Ödön von Horvath, traduction de Rémy Lambrechts, mise en scène, lumière et scénographie de Jean Bellorini

 

UN FILS - 027BISÖdön von Horvath (1901-1938), auteur dramatique d’origine austro-hongroise, écrit en une quinzaine d’années, dix-huit pièces dans un allemand à coloration dialectale, une véritable chronique dramatique de ces temps sombres de crise où rampe le fascisme.
Ses pièces, dites populaires, s’attachent à la critique sociale, entre réalisme et ironie, comédie et tragédie, loin des complaisants petits arrangements.
Inlassablement, le dramaturge dénonce la dégradation imposée par les nazis aux classes sociales, les plus fragiles de la société allemande, contraintes à un faux repli pour survivre.
Au départ, le héros rêvait d’être typographe mais le chômage – la catastrophe économico-sociale – l’a rattrapé.  Croyant échapper ainsi à la misère, il s’engage dans l’armée pour que le monde soit plus juste, sous la domination de son propre pays.
 Le statut même de soldat lui plaît : «Le matin, quand la gelée blanche couvre les prés, ou le soir, quand le brouillard débouche des bois, quand le blé ondoie et que la faux étincelle, qu’il pleuve, qu’il neige ou que le soleil rie, jour et nuit, je suis toujours heureux d’être dans les rangs.
 Ma vie a soudain retrouvé un sens ! Je désespérais de savoir ce que je pourrais faire de ma jeune existence. Le monde était tellement vide de perspective et l’avenir si mort.»
 L’homme perdu a, en même temps trouvé, un père valeureux en la personne du capitaine, remplaçant son vrai père, clopinant en garçon de café. Il a aussi trouvé une place dans la société, une identité, une dignité. Pourtant, chemin faisant, les épreuves de la guerre le poussent à penser que Dieu n’existe plus, et il accepte tout sans s’opposer à rien.
 Son capitaine, qu’il a voulu sauver dans un acte de courage qui lui a fait perdre  son  bras, ne croit plus ni en l’armée ni à la guerre. Où se réfugier ? Chez la jolie caissière du château hanté de la fête foraine de jadis (sa ligne  de perspective, symbole d’innocence et de pureté), même s’il l’a, à peine, connue ? Elle-même s’est égarée et il ne peut plus s’appuyer sur rien, incapable de prévoir les catastrophes à venir, dit ce soldat, démobilisé à cause de sa blessure au bras, qui revient à la vie civile par obligation. « Fils de notre temps» qui croyait sauver son avenir dans une indifférence au sort des autres… Esseulé, il ne peut que méditer sur la fatalité d’un destin tout tracé.
Dans la mise en scène de Jean Bellorini, quatre acteurs/musiciens malicieux mais sérieux, Clément Durand au clavier, Gérôme Ferchaud à la guitare, Antoine Raffalli au violon, et Matthieu Tune à la trompette prennent en charge la voix posée et analytique du narrateur, à la fois individuelle et collective.

Cette parole sociale «universelle» est portée potentiellement par tout un peuple. Les comédiens investissent l’espace, entre ombre et lumière, élevant dans l’air une parole claire et inquiète, et proposent au public de les suivre sur les sentiers labyrinthiques d’une pensée dialectique qui s’arrête, fait retour sur soi, puis reprend sa course.
Le tableau de ces drôles de temps ressemble étrangement aux nôtres. Pour éluder la noirceur de constats si amers, l’hiver n’en finit pas de faire tomber ses flocons de neige dans le vent d’hiver, où l’on n’entrevoit nulle lumière printanière. La mise en scène, prophétique, visualise les pièges où ne pas tomber.

 

Véronique Hotte

Théâtre Gérard Philipe/CDN Saint-Denis, du 25 novembre au 11 décembre. T: 01 48 13 70 00


Archive pour 3 décembre, 2015

Oblomov

 

Oblomov d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Dorian Rossel

  34-oblomovCe roman-phare de la littérature russe du XlX ème siècle, considéré par Tolstoï comme un chef-d’œuvre, présente un personnage devenu un type humain, à l’instar d’un Tartuffe ou d’un Don Juan. Aboulique ou paresseux, conservateur au point de ne rien pouvoir entreprendre, enfermé dans la perpétuelle nostalgie de son enfance, Oblomov va, de ratage en ratage, passer à côté de sa vie à force de ne pas vouloir la vivre autrement que dans son lit.  Malgré les encouragements de Stolz, son meilleur ami et l’amour d’Olga à la si belle voix. 
 Oblomov, aristocrate oisif, est dans la culture russe le prototype de l’homme paresseux et médiocre, qui a renoncé à ses ambitions pour une léthargie rêveuse, qu’il vit pourtant comme un drame, mais n’a pas que des défauts. Personnage ambigu, à la fois comique, et tragique, il renonce aussi au monde par honnêteté. Ce sont des deux aspects qu’ont essayé de traduire Dorian Rossel et sa dramaturge Carine Corajoud.
Le spectacle, mis à part une scène de fin plutôt mélo et malvenue, placée au début, suit scrupuleusement comme dans le roman, la dérive d’un protagoniste qui, lentement, s’enfonce dans son propre marasme. La farce n’est pas loin dans les scènes d’exposition qui, chorales, démultiplient le personnage central. Les comédiens tombent littéralement dans une léthargie irrépressible. L’aboulie d’Oblomov se communique, en particulier à son fidèle domestique, Zhakkar, espèce de double populaire et burlesque. Le tout dans un amas de couvertures et de tissus jonchant le sol.
Après ce début plutôt musclé, on entre dans une adaptation sans grand éclat qui fait une large part aux dialogues introduits par de brefs pans narratifs donnant des éléments biographiques. Cette structure privilégie l’aspect psychologique du cas Oblomov qui, très vite, nous ennuie à force d’inertie, de même que les simagrées de son serviteur.

Malgré une scénographie astucieuse : un grand miroir souple et semi-transparent en fond de scène qui laisse percevoir des actions hors-champ, la mise en scène peine à produire des images et du jeu.  Les acteurs sont plus à l’aise dans les parties chorales, soutenus par l’énergie collective, que dans les scènes où ils doivent endosser seuls  leur personnage.
On éprouve un regain d’intérêt pour la dernière partie, grâce à la belle présence de l’actrice qui interprète la veuve popote et casanière :  Oblomov peut s’étioler heureux auprès d’elle… Ses tourtes au poulet et aux champignons le comblent, et il va s’éteindre doucement, « comme une montre qu’on a oublié de remonter. »
Si le spectacle ne nous a pas entièrement convaincu, Oblomov continue du moins à nous interpeller par son ambivalence. À l’aune des temps présents, cet anti-héros serait, au pire, une sorte de rentier (ou de rmiste) profitant du système, ou un dépressif chronique ; au mieux, un poète, un contemplatif ou un apôtre de la décroissance, s’opposant à l’hyperactivité fébrile qui a saisi notre société…

 Mireille Davidovici

 Le Monfort  Paris XVème T. 01 56 08 33 88 jusqu’au 13 décembre www.lemonfort.fr
Le 8 janvier, CO2 Bulle (Suisse) ; le 26 janvier, La Garance/Scène nationale de Cavaillon, et le 2 février au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul.
On peut lire ce roman dans la traduction d’Arthur Adamov, vivement critiquée car elle ne met en évidence que le côté paresseux du héros et supprime une bonne partie de la fin (Folio Gallimard), ou dans une nouvelle traduction intégrale de Luva Jugenson (Editions l’Age d’homme, 1988). On peut aussi voir le somptueux film de Nikita Mikhalkov  Quelques jours dans le vie d’Oblomov, inspiré partiellement par l’œuvre d’Ivan Gontcharov.

 

Live choregraphy

Live choregraphy de Hans Van Manen, avec Diana Vishneva et Artur Shesterikov

IMG_4463Ce duo a été donné pour la soirée de clôture du festival CONtEXt qui réunissait, à Moscou, cinq jours durant, les chorégraphes et leurs compagnies de  plusieurs pays. Créé en 2013 par Diana Vishnieva, ce festival, maintenant reconnu, accueillait cette année, entre autres, la Martha Graham Dance Company et Itzik Galili.
Hans Van Manen, ancien danseur du Nederlans Dans Theater, est, à plus de 80 ans, le chorégraphe du Het National Ballet, aux Pays-Bas; Artur Shesterikov, lui, est danseur-étoile du Dutch National Ballet. Diana Vishneva, que nous avions vue comme soliste avec le Ballet du Bolshoi, dans Les Illusions perdues, à l’Opéra Garnier en 2013, a été nommée danseuse-étoile du Ballet du Mariinsky, à l’âge de vingt ans. Elle est aujourd’hui une étoile de l’American Ballet Theater à New York.
  Ce duo (en réalité un trio, tant la présence de Boris Klatser et de sa caméra est dominante), est le maître de jeu de cette partition. Même si la chorégraphie a pour point de départ le corps de l’interprète et ses fractures, Boris Klatser nous transmet en direct les images du ballet.
Le spectacle oscille en permanence entre sa vision subjective, relayée par les images projetées, et la présence réellement envoûtante de cette icône de la danse que la caméra va suivre partout : entre les gradins de l’orchestre qu’elle traverse, au milieu du public, jusque dans le foyer du théâtre, puis dans un studio où elle est rejointe par son partenaire, Artur Shesterikov,  et enfin, dehors, seule dans la nuit froide moscovite.
  La qualité technique des pas-de-deux est exceptionnelle, tout comme la star, accompagnée au piano par Olga Khoziainova, et dont l’image, est projetée en noir et blanc, en fond de scène. Mais nous avons trop vu des vidéos de ce type, souvent utilisées pour masquer un défaut de dramaturgie…
I
ci, en effet, nous apprécions un corps dansant, selon notre propre regard et nos propres sensations, qui dépendent de notre emplacement dans la salle, de notre humeur du moment, et de l’état physique et mental de l’artiste. La vidéo, elle, finit par desservir le spectacle en créant une distance inutile : notre vie est déjà assez occupée par les écrans numériques, pour ne pas les subir encore dans les théâtres!
 A la fin, les trois artistes ont reçu une ovation du public, et l’étoile, couverte de fleurs, a été rejointe par les danseurs de la Martha Graham Dance Company et par les organisateurs du festival.

Jean Couturier

Théâtre du Mossoviet,  le 28 novembre. Dianavishneva.com

  

Fleur de cactus

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Fleur de cactus de Pierre Barillet et Jean-Pierre Gredy, mise en scène de Michel Fau

Dans les années 40, Pierre Barillet commença par écrire des drames noirs, puis des adaptations de romans pour la radio et, en 1950, avec son copain de fac de droit, Jean-Pierre Gredy, Le Don d’Adèle, une comédie mise en scène par Jacques Charon qui fut encensée par Louis Aragon (si, si c’est vrai) et jouée plus de mille fois.
Parmi les succès de ces deux auteurs, (92 et  95 ans), il y eut L’Or et la paille, (1956) repris par Jeanne Herry en 2015 avec bonheur (voir Le Théâtre du Blog), Quarante carats (1967), adaptée au cinéma avec Ingrid Bergman et Gene Kelly (si, si, c’est encore vrai !), et, avec Jacqueline Maillan, Folle Amanda (1971), Potiche (1980) récemment adapté au cinéma par François Ozon, et Lily et Lily  (1984).
C’est dire qu’il sont été longtemps abonnés à la célébrité dans le genre: comédie aux multiples ficelles et rebondissements dans la tradition d’Eugène Labiche, mais sans la noirceur, la méchanceté… et le génie du grand dramaturge.
Fleur de cactus créée en 1964 avec Sophie Desmarets et Jean poiret au >Théâtre des Bouffes-Parisiens connut ainsi un grand succès pendant trois ans, et fut même jouée à Broadway par Lauren Bacall, et au cinéma par Ingrid Bergman, encore!
Cinquante ans après, Michel Fau s’en empare avec, dans le rôle principal, une vedette (convention obligatoire du genre!) en l’occurrence Catherine Frot, bien connue du public surtout grâce au cinéma,  et lui-même. Et cela donne quoi? Nous y allions en traînant les pieds malgré les tonnes de compliments déversés depuis cette reprise, et nous en sommes sortis, plus que déçus!

 Le scénario, dont nous vous épargnerons tous les méandres, est fondé sur l’histoire de Julien Desforges, chirurgien-dentiste renommé qui soigne toute la grande bourgeoisie (Michel Fau) et qui a, depuis un moment, une liaison avec la jeune et magnifique Antonia ((Mathilde Bisson). Mais, comme il tient à son indépendance, il ne cesse  de lui mentir, et lui  fait croire qu’il est marié et qu’il a trois enfants, tout en lui jurant le grand amour et en lui promettant le mariage. Mais Antonia pose comme condition la rencontre avec sa femme!
Heureusement, pour se sortir de ce traquenard, il a une secrétaire-assistante, Stéphane (Catherine Frot), toute dévouée à son patron et célibataire endurcie qui vit avec sa mère et son chien. Elle admire beaucoup Julien Desforges dont elle est, bien entendu, amoureuse en secret,  même quand il la rudoie souvent au point de la faire pleurer. Et il va même lui demander sans aucun scrupule, de jouer le rôle de son épouse. Les choses, évidemment, ne se passeront pas comme prévu…
Elle reste malgré tout d’une soumission exemplaire mais, dans un petit coup de révolte « féministe », accepte de sortir pour une soirée Champagne avec  un ancien officier, patient du dentiste à qui cela ne fait pas plaisir. Mais elle finira par passer la nuit avec un beau jeune homme, devenu l’amant de son Antonia, etc., etc. Cela finira évidemment (qui l’aurait deviné ?) par un départ en vacances du dentiste et de sa très chère secrétaire dans sa vieille deux Chevaux.

Barillet et Gredy, très à leur aise dans des scènes courtes, ne nous épargnent rien et accumulent mots d’auteurs, et réparties faciles pour donner du corps à ces malentendus, mensonges, scènes de jalousie, situations téléguidées, etc. de  cette Fleur de cactus. Cela pendant presque deux heures, et c’est bien long…
L’Or et la paille est une pièce plus fine, mieux construite aussi que cette suite de petites scènes dont on se lasse vite. Michel Fau, metteur en scène, joue volontiers le second degré (cela marche parfois). Mais il aurait pu enlever ou abréger nombre de moments qui ne servent pas à grand chose… Rien à faire, Barillet et Gredy sont d’incorrigibles bavards, et la pièce n’en finit pas !
Quant à Michel Fau, acteur, il semble s’amuser comme un petit fou à jouer ce personnage de dentiste assez stéréotypé, et Catherine Frot compose un rôle de secrétaire frustrée, mais brave et plus futée qu’il n’y paraît. Mais on a connus ces excellents comédiens quand même mieux inspirés;  ils en font ici des tonnes pour essayer de faire passer un texte assez insignifiant.

 Il y a, heureusement, et c’est toujours cela de pris, un remarquable décor, aussi intelligent et poétique qu’efficace de Bernard Fau, avec des vues de Paris et des intérieurs sans doute peints en perspective à partir de photos projetées (le grand Jérôme Savary aurait bien aimé). C’est très malin, plein d’humour et apporte un peu d’air frais à ce pudding de texte.
 Et le public ? Majoritairement composé de gens qui avaient quelque trente-cinq ans dans les années soixante ans et qui semblent retrouver ici une seconde jeunesse, il rit souvent à la moindre réplique un peu drôle. Et c’est vrai qu’il y a un boulevard (sans jeux de mots!) pour ce type de pièces dans le climat parisien actuel, tant le théâtre contemporain est plutôt avare d’œuvres comiques! 
 Moralité : mieux vaut ne pas être difficile, si on accepte de payer 51 € au parterre pour voir cette petite chose qu’on oubliera vite. Sinon, on peut s’abstenir. Même avec Catherine Frot dans le rôle principal, qu’on a connue, remarquable actrice, chez Peter Brook, Pierre Pradinas, Luc Bondy, et au cinéma…

Philippe du Vignal

Théâtre Antoine jusqu’au 3 janvier 2016

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