Oblomov
Oblomov d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Dorian Rossel
Ce roman-phare de la littérature russe du XlX ème siècle, considéré par Tolstoï comme un chef-d’œuvre, présente un personnage devenu un type humain, à l’instar d’un Tartuffe ou d’un Don Juan. Aboulique ou paresseux, conservateur au point de ne rien pouvoir entreprendre, enfermé dans la perpétuelle nostalgie de son enfance, Oblomov va, de ratage en ratage, passer à côté de sa vie à force de ne pas vouloir la vivre autrement que dans son lit. Malgré les encouragements de Stolz, son meilleur ami et l’amour d’Olga à la si belle voix.
Oblomov, aristocrate oisif, est dans la culture russe le prototype de l’homme paresseux et médiocre, qui a renoncé à ses ambitions pour une léthargie rêveuse, qu’il vit pourtant comme un drame, mais n’a pas que des défauts. Personnage ambigu, à la fois comique, et tragique, il renonce aussi au monde par honnêteté. Ce sont des deux aspects qu’ont essayé de traduire Dorian Rossel et sa dramaturge Carine Corajoud.
Le spectacle, mis à part une scène de fin plutôt mélo et malvenue, placée au début, suit scrupuleusement comme dans le roman, la dérive d’un protagoniste qui, lentement, s’enfonce dans son propre marasme. La farce n’est pas loin dans les scènes d’exposition qui, chorales, démultiplient le personnage central. Les comédiens tombent littéralement dans une léthargie irrépressible. L’aboulie d’Oblomov se communique, en particulier à son fidèle domestique, Zhakkar, espèce de double populaire et burlesque. Le tout dans un amas de couvertures et de tissus jonchant le sol.
Après ce début plutôt musclé, on entre dans une adaptation sans grand éclat qui fait une large part aux dialogues introduits par de brefs pans narratifs donnant des éléments biographiques. Cette structure privilégie l’aspect psychologique du cas Oblomov qui, très vite, nous ennuie à force d’inertie, de même que les simagrées de son serviteur.
Malgré une scénographie astucieuse : un grand miroir souple et semi-transparent en fond de scène qui laisse percevoir des actions hors-champ, la mise en scène peine à produire des images et du jeu. Les acteurs sont plus à l’aise dans les parties chorales, soutenus par l’énergie collective, que dans les scènes où ils doivent endosser seuls leur personnage.
On éprouve un regain d’intérêt pour la dernière partie, grâce à la belle présence de l’actrice qui interprète la veuve popote et casanière : Oblomov peut s’étioler heureux auprès d’elle… Ses tourtes au poulet et aux champignons le comblent, et il va s’éteindre doucement, « comme une montre qu’on a oublié de remonter. »
Si le spectacle ne nous a pas entièrement convaincu, Oblomov continue du moins à nous interpeller par son ambivalence. À l’aune des temps présents, cet anti-héros serait, au pire, une sorte de rentier (ou de rmiste) profitant du système, ou un dépressif chronique ; au mieux, un poète, un contemplatif ou un apôtre de la décroissance, s’opposant à l’hyperactivité fébrile qui a saisi notre société…
Mireille Davidovici
Le Monfort Paris XVème T. 01 56 08 33 88 jusqu’au 13 décembre www.lemonfort.fr
Le 8 janvier, CO2 Bulle (Suisse) ; le 26 janvier, La Garance/Scène nationale de Cavaillon, et le 2 février au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul.
On peut lire ce roman dans la traduction d’Arthur Adamov, vivement critiquée car elle ne met en évidence que le côté paresseux du héros et supprime une bonne partie de la fin (Folio Gallimard), ou dans une nouvelle traduction intégrale de Luva Jugenson (Editions l’Age d’homme, 1988). On peut aussi voir le somptueux film de Nikita Mikhalkov Quelques jours dans le vie d’Oblomov, inspiré partiellement par l’œuvre d’Ivan Gontcharov.