Si ou le bal au Carlton et Prière de ne pas diffamer
Si ou le bal au Carlton, d’après Si d’Hélène Bessette, et Prière de ne pas diffamer de Régis Hébette et Gilles Aufray, mise en scène de Régis Hébette.
Il est facile de dire qu’il n’existe pas d’auteurs maudits et que leur génie finit toujours par être reconnu. Mais c’est grâce, en particulier, à ce spectacle, le cas d’Hélène Bessette, autrefois découverte par Raymond Queneau, et dont quatorze des livres ont été publiés chez Gallimard entre 1963 et 1973, certains frôlant les prix Goncourt ou Médicis. Et puis, rien…
Son protecteur meurt, ses romans ne se vendent pas : Hélène Bessette entre dans la peau maltraitée, souffrante, et arrogante de l’auteur maudit. Serveuse, femme de ménage, elle entasse les manuscrits dans une malle que son fils découvrira après sa mort. Et puis son œuvre revient au jour, à petit bruit, depuis une dizaine d’années, à l’initiative avisée des éditions Laureli/Léo Scheer.
Ce diptyque Hélène Bessette nous met en présence d’une personnalité à l’écriture chevillée au corps, tricotée de chair, de souffle. L’écriture-ce n’est pas une formule mais sa vie-va bien au-delà du récit ou de l’autofiction. Avec Prière de ne pas diffamer, Régis Hébette, Gilles Aufray et la comédienne Laure Wolf redonnent vie et parole à une Hélène Bessette blessée, ardente, dont rien n’éteint la flamme, ni injustice, ni diffamation retournée contre elle, ni poids du quotidien.
Ils se penchent sur un abîme: comment une femme, comment une œuvre célébrée par ses grands contemporains, disparaît-elle ? En appartement, le spectacle a trouvé sa juste place, faisant d’Hélène Bessette un personnage mythique moderne, intrusif, dérangeant, auquel, dans cette intimité presque forcée, on s’attache terriblement. Cela fonctionne aussi dans la proximité du petit théâtre.
Les extraits de Si, entrent de plain-pied dans l’écriture, sur le grand plateau de l’Échangeur qui devient le lieu de la marche obstinée d’Hélène Bessette, rescapée d’une première tentative de suicide, vers un crime parfait dont elle serait à la fois victime et coupable, au cœur de la vraie vie.
Hélène Bessette est tout, sauf nombriliste. On entend dans son écriture, la solitude et le harcèlement des hommes «les yeux fixés sur mon bas-ventre», la ville, le cinéma qui fait vivre les rêves, la pauvreté des autres et la sienne, l’humiliation : « Une inconnue misérable m’a souri aimablement pour me parler du temps. Pourquoi se sont-ils adressés à moi ? (…) Les gens de même race se reconnaissent. Ils savent en me voyant de loin. Que sous mes vêtements, je promène avec eux La purulente la sanglante balafre de l’humanité faible de l’humanité résignée. (…) Un manque a désarticulé nos vies ».
L’évocation visuelle de l’hôpital, avec un remarquable travail du son, est juste et belle, entre vie et mort, entre rêve et réalité, comme plus tard, avec l’évocation du cinéma. Ensuite, on perd un peu pied dans l’errance. Laura Wolf, interprète de ces deux volets, travaille avec rigueur, une diction très particulière, un peu gouailleuse et détachée, cherchant la douleur profonde, la vitalité du désir, précisément dans ce détachement et cette distance.
Peut-être n’est-ce pas tout à fait, la bonne distance,comme on dit.
Mais peut-être aussi, à cet endroit-là et dans cette mince faille, passent l’appétit d’une autre vie, l’humiliation et la certitude de son génie. On a quand même envie, parfois, d’un ancrage plus sensible dans tout le corps. Comme si Régis Hébette et Laura Wolf réussissaient davantage à faire entendre Hélène Bessette dans la fiction qu’elle leur a inspirée, que dans sa propre langue.
Mais, comme disent les jeunes, total respect : ce spectacle en deux volets ne laisse pas le spectateur en paix.
Christine Friedel
L’Échangeur, à Bagnolet. T : 01 43 62 71 20, jusqu’au 13 décembre. Les livres d’Hélène Bessette sont publiés aux éditions Laureli/Léo Scheer