Orestie, (une comédie organique?)
Orestie, (une comédie organique ?) d’après Eschyle, mis en scène de Romeo Castelluci
La Socìetas Raffaello Sanzio, créée par le metteur en scène italien, présentait en 1995, il y a donc tout juste vingt ans, cette Orestie (une comédie organique ?) avec une suite d’images qui prend vaguement prétexte de la la célèbre trilogie d’Eschyle. Tout se passe derrière un tulle tendu (mais sale avec des taches et de gros trous, ce qui fait désordre!).
Agamemnon, en long manteau blanc est joué par un acteur trisomique, deux femmes allongées obèses et nues incarnent Clytemnestre et Cassandre. Oreste et Pylade, nus aussi, sont, eux, longiformes, le corps enduit de poudre blanche, l’un avec des testicules (fausses bien sûr) qui pendent. Egisthe, encagoulé de noir, a les fesses à nu.
Un bonhomme, encagoulé aussi (décidément il adore, cela Romeo Castellucci!) aux grandes oreilles de lapin, peut être identifié comme le choryphée de huit lapins en plâtre, dont les têtes vont exploser successivement.
Et un homme lui aussi cagoulé, assis, les mains coupées sans doute à la suite d’un accident, viendra les rejoindre dans la seconde partie. Tels sont les personnages de cette « comédie organique » où en effet, le corps humain est sans cesse présent. Bonjour, le voyeurisme…
Du côté des objets, trois répliques de la roue de bicyclette de Marcel Duchamp ; une toile évoquant le célèbre Guernica de Pablo Picasso. Du côté animal, des singes figurent les Erinyes des Euménides, troisième partie de la trilogie, enfermés avec Oreste, dans une sorte de cage cylindrique verticale dotée d’un plancher métallique. Il y a aussi un âne, deux chevaux noirs que l’on aperçoit un court moment, et le corps d’un bouc pendu, relié à un tuyau et à un câble électrique qui le fait tressaillir en rythme. Bref, c’est l’arche de Noé revue, façon gore, par Romeo Castelluci…
Le metteur en scène italien adore aussi les machineries et prothèses, tel ce bras articulé mécanique qui tient un couteau. On sent bien l’influence qu’ont dû avoir sur lui, les petites machines conçues par Tadeuz Kantor décédé en 1990, comme le berceau mû électriquement, le curieux vélo renvoyant pour La Classe morte, ou bien le tricycle de son enfance, l’appareil-photo mitrailleuse, le lit qui tourne sur lui-même dans Wielopole, Wielopole, ou encore la monstrueuse machine montée sur roulettes d’Où sont les neiges d’antan avec ses câbles et tuyaux. Il y a aussi une référence évidente à Bob Wilson avec cette chaise suspendue à un câble.
Toutes images qui avaient un véritable sens chez ces créateurs ; en bon peintre, Romeo Castellucci sait lui, créer des image (on ne peut lui retirer cela) mais après? Il les accompagne, par moments, de musique électro-acoustique signée Scott Gibbons avec des basses souvent insupportables, suivis de longs silences. Facile: mais cela peut marcher devant un public maso, et ravi qu’on lui impose ce genre d’épreuve, et cela meuble quand on n’a pas grand-chose à dire.
Il y a quelques phrases traduites sur le seul écran de surtitrage au dessus du plateau installé tout en hauteur où on peut lire mais seulement si on n’est pas dans les premiers rangs et tant pis pour les autres!) les quelques bribes du texte d’Eschyle qui servent de point d’appui au spectacle. Mieux vaut, si l’on veut suivre cette petite balade, connaître la célèbre histoire familiale d’Agamemnon, Clytemnestre et Oreste qui, jugé pour parricide, sera sauvé au gong par la déesse Athéna qui ajoutera sa voix, pour qu’il ne soit pas condamné par la justice humaine…
Roméo Castellucci a bien appris sa leçon dans les écoles d‘art qu’il a fréquentées dans sa jeunesse, et ne se prive pas d’étaler ses références. Théâtrales d’abord : Antonin Artaud et son théâtre de la cruauté, bien sûr, avec une pointe de Jerzy Grotowski, mais aussi de son compatriote Carmelo Bene ; le cirque aussi, avec un Oreste tout maquillé de blanc au chapeau conique. Mais aussi littéraires: Lewis Caroll et son univers : on retrouve un roi, une reine, et des chevaux, un âne, des singes pour figurer les Erynnies, animaux tous bien vivants.
Romeo Castellucci, continue à nous offrir une petite leçon d’histoire de l’art contemporain, du côté cette fois des animaux morts: en se référant à la performance de Joseph Beuys avec un lapin mort dans les bras, (il transforme le coryphée en une sorte de lapin fantastique), et au sang de l’actionnisme viennois: ici un bouc est pendu tout ensanglanté, clin d’œil évident aussi au fameux chant du bouc « tra-goedia » «Un animal sur scène, dit-il, c’est une sorte de prière sans parole, une forme de pardon» (sic). Encore faudrait-il le mettre correctement en scène, mais, quand on voit dans la coulisse, un régisseur pousser un pauvre âne récalcitrant, ou un accessoiriste en découverte sur le côté de la scène, cela fait désordre! Ne parlons pas des singes, qui le soir de la générale s’étaient échappés et il a fallu annuler la seconde partie du spectacle! Le metteur en scène devrait être un peu plus vigilant !
Vous avez dit prétentieux et snobinard? Mais non, mais non, vous n’avez rien compris, du Vignal! Enfin, c’est bien évident, toutes ces images (réalisées au kilomètre, souvent bien usées et que l’on a vues un peu partout) sont pour Romeo Castelluci, des «voies de sortie et de résolution de l’écriture tragique». Puisqu’on vous le dit, arrêtez de jouer au blasé qui fait semblant de ne rien comprendre… En fait, tout se passe comme si le metteur en scène ne semble pas bien savoir où il va, quand il produit des images. « Que nous pensions avec des mots ou avec des images, il faut pour penser autre chose que des mots ou des images. » disait avec raison, Henri Delacroix, le philosophe et maître de Jean-Paul Sartre dans Le langage et la pensée. Romeo Castelluci semble souvent confondre image brute de décoffrage et intention signifiante qui est ici aux abonnés absents…
Cette «comédie organique», aux vagues airs post-modernistes, d’une rare prétention, semble être n’être reprise ici que pour effaroucher et séduire en même temps, les énarcho-bobos et mondains parisiens, sans même l’ombre d’un moment émouvant… En 1995, elle a peut-être créé un petit choc (nous ne l’avions pas vu) mais, mises à part quelques images un peu fortes comme Cassandre toute couverte de sang dans une cage en verre, ou ce bouc pendu hissé depuis un cercueil blanc, les petites obsessions de Romeo Castelluci, additionnées de quelques références mythologiques, ne transmettent rien de rien, qu’une vague provocation à deux centimes d’euro.
Il y a bien quelques belles images, surtout dans la première partie, mais dans l’ensemble, quelle suffisance, quel égocentrisme! Le grand Bernard Dort, critique et grand spécialiste de Brecht se méfiait du théâtre d’images, et avec quelques raison: tout le monde n’est pas Tadeusz Kantor ou le Bob Wilson des années 70-80.
C’est un spectacle à la dramaturgie-pipeau, deux fois trop long et d’une exceptionnelle pauvreté, qu’on nous invite fortement à regarder, en trois heures (avec entracte) comme le miracle du théâtre contemporain. Romeo Castelucci, une fois de plus, se fait plaisir mais on se demande ce que cette Orestie (une comédie organique?) vient faire au Festival d’Automne où son créateur est invité pour la nième fois.
On vous le disait déjà à propos d’Ödipus-Tyrann (voir Le Théâtre du Blog) mais cela se confirme : méfions-nous des artistes officiels, avec programme sur papier glacé, dont les déclarations esthético-philosophiques sont aussi poussiéreuses que prétentieuses!
En tout cas, le plan Vigi-Pirate renforcé a quand même du bon : cela évitera aux groupes de lycéens, interdits de salle, de s’y faire traîner par leurs enseignants. C’est le genre de spectacle à les dissuader à tout jamais d’aller au théâtre ! Bon, maintenant, si cela vous tente! Mais pas la peine de courir : il devrait y avoir de la place…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, Paris 6ème, jusqu’au 20 décembre.
L’Apostrophe-Théâtre des Louvrais/Pontoise les 8 et 9 janvier.