Festival de danse 2015 de Cannes

Festival de danse 2015 de Cannes

Heart_s_Labyrinth_Copyright_Michel_ Cavalca (12)_0Brigitte Lefèvre a passé sept ans au ministère de la culture après une carrière de danseuse et de chorégraphe, et vingt à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris, et est aujourd’hui la nouvelle directrice du Festival de danse à Cannes. Avec un programme éclectique, généreux, ouvert sur l’ensemble du monde de la danse qui a conquis le public, (en augmentation de 20% par rapport à l’édition précédente avec des soirées à guichet fermé), ce qui a conféré à cette Biennale un lustre supplémentaire.
  Représentations, master classes et colloque ont eu lieu sur deux longs week-ends avec des échanges passionnants sur la création, et des spectacles allant du ballet néo-classique de la Brésilienne Deborah Colker, aux propositions les plus radicales comme celle de l’Anglais David Linehan.
 Les rencontres animées par Brigitte Lefèvre après les représentations, permettaient souvent une meilleure compréhension de l’œuvre à peine vue et, dans une chaude complicité entre artistes et public. Parmi les succès, celui du groupe Grenade, composé de jeunes danseurs (le moins âgé a neuf ans), formés et dirigés par Josette Baiz, ancienne interprète de Jean-Claude Gallotta et d’Odile Duboc, qui, avec GuestsII, a présenté des extraits d’œuvres de Dominique Bagouet, Trisha Brown, Wayne Mac Gregor ou Hofesh Shechter.
  Grâce à cette infatigable meneuse, la maturité, l’engagement et le professionnalisme de cette petite bande n’a cessé d’étonner. Son élan et sa vigueur juvéniles étaient parfaitement adaptés à la chorégraphie tribale d’Uprising d’Hofesh Shechter, et son interprétation ludique fit merveille dans les danses subtiles de Trisha Brown ou de Dominique Bagouet. Le plus ardu à interpréter : Entity de l’Anglais Wayne Mac Gregor chez qui la complexité rythmique et le mouvement ondulatoire des corps exigent une maturité au-delà de l’adolescence…
  Avec Les Nuits barbares ou les premiers matins du monde, Hervé Koubi a fait retraverser la Méditerranée à son groupe de danseurs algériens, issus du hip-hop, pour une recherche imaginaire sur l’origine et l’apport des « barbares», mot que notre chorégraphe aux racines algériennes et françaises, entend redéfinir et évaluer. Sa danse, surtout du hip-hop, en garde la caractère acrobatique… Il a mêlé des percussions d’Afrique du Nord avec le Requiem de Mozart, et celui de César Franck, manifestant, une fois de plus, son désir d’altérité, et chacune de ses pièces constitue une aventure humaine autant qu’artistique…

Le Ballet de l’Opéra de Lyon a présenté un programme entièrement dédié à Jiří Kylián, avec trois œuvres différentes mais qui possèdent la beauté formelle et la même qualité de mouvement, si caractéristiques du chorégraphe. Heart’s Labyrinth (1984) est un hommage qu’il avait rendu à une de ses danseuse, morte depuis, qui appartenait au Nederlands Dans Theater qu’il dirigea pendant trente ans. Duos et trios, où les interprètes glissent comme des fantômes, sans se regarder, sans presque se toucher, dégagent une sensation de grande solitude.
Mais Bella Figura, avec un joyeux mélange d’artifice et de réalité tangible, brouille les pistes, renverse les certitudes, et invoque une poésie des corps qu’exalte tout particulièrement la beauté des corps féminins. Enfin, 27’52’’ créée en 2002 (et qui dure en effet vingt-huit minutes) permet de voir l’évolution, et l’amplitude de l’invention gestuelle de Jiří Kylián, avec une danse toujours épurée et musicale mais, ici, plus complexe. Le Ballet de l’Opéra de Lyon, merveilleusement entrainé par plusieurs grands maîtres de ballet, entre dans l’univers de  avec la même aisance que dans ceux de William Forsythe et de Trisha Brown.Le festival s’est terminé sur un feu d’artifice,  avec la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne qui a interprété la Carmen de Johan Inger, spécialement créée pour elle par le chorégraphe suédois. Il nous prouve ici qu’il est encore possible de raconter une histoire avec le langage de la danse, tout en restant tout à fait contemporain. Cette Carmen a beau être la création d’un artiste suédois, dont on aurait pu craindre l’absence de sensualité, elle possède toutes les séductions de la Sévillane de Prosper Mérimée. Johan Inger, malgré ses années d’apprentissage auprès du grand Mats Ek, n’est pas impressionné par la création  de son prédécesseur et a enchâssé ce récit dans ce qui pourrait être une projection de la conscience (ou de l’inconscient) de Don José, l’amant malheureux de Carmen…
  Un enfant, tout en blanc, ouvre le ballet, et, habillé de noir, le fermera, comme s’il avait perdu son innocence. Mais Johan Inger laisse une interprétation possible: « Il y a dans ce personnage, un certain mystère, il pourrait s’agir de n’importe quel enfant : Don José enfant, la jeune Micaela, ou le fils pas encore né de Carmen et de José. Il pourrait aussi s’agir de nous-mêmes, avec une expérience de la violence qui, même brève, aurait eu une influence négative sur nos vies. »
Sur la musique de Rodion Shchedrin, qu’il a composée à partir de celle de Georges Bizet, pour la Cubaine Alicia Alonso, Johan Inger déroule l’histoire à un rythme très rapide, en éliminant tous les personnages secondaires Sa chorégraphie expressive, graphique et sans apprêts, est remarquablement interprétée par une compagnie plus qu’excellente. La Compagnie Nationale de Danse, longtemps dirigée par Nacho Duato, l’est depuis cinq ans par Jose Martinez, ancienne étoile de l’Opéra de Paris qui l’a renouvelée et lui a donné une nouvelle identité. Elle n’est plus au service d’un seul chorégraphe comme Nacho Duato pendant vingt ans) mais peut danser aussi le grand répertoire (voir son superbe Don Quichotte),  tout en restant ouverte à la création contemporaine nationale (par exemple, Ivan Pérez, Goyo Montero) et internationale.
Une édition du festival de Cannes particulièrement réussie…

 


Sonia Schoonejans

 


Archive pour 6 décembre, 2015

Rouge décanté

 Rouge décanté, d’après le roman de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft, Corien Baart, mise en scène de Guy Cassiers

  bezonken_rood_09_hiresJournaliste, écrivain et essayiste, Jeroen Brouwers est né en 1940 à Batavia (Indes néerlandaises). Après l’invasion japonaise en 43 et la capitulation de l’armée de son pays, son père fut enfermé dans un camp de concentration  près de Tokyo. Jeroen,encore petit,  sa grand-mère, sa mère et sa sœur, sont d’abord internés au camp japonais de Kramat, puis dans celui de Tideng, dans un quartier suburbain de Batavia. Mais sa grand-mère n’y résistera pas.
   Dans Rouge décanté, roman autobiographique, Jeroen Brouwers nous  parle du camp de Tideng, réservé aux femmes et à leurs enfants (les garçons de moins de dix ans restant auprès de leur mère).  Horreur et effroi, le séjour carcéral se fait pour Jeroen, expérience et découverte hasardeuse de la cruauté programmée et assumée des hommes.
 Les Japonais, qui n’ont pas d’état d’âme, obligent les prisonnières à se tenir droites des heures entières, sous la pluie ou le soleil, ou bien à sauter nues et à croasser comme des grenouilles, jusqu’à l’évanouissement ou la mort. La femme, être humain dont la beauté est blessée et détruite à jamais, n’existe plus.  Et la  douleur qu’il éprouve devant cette dégradation irréversible, l’enfant ne la comprend pas encore. Témoin oculaire, il grandira, empêché définitivement de sourire, à partir d’une épreuve initiatique inouïe dans un monde déserté par l’humanité.
Seule, la lecture et la récitation par cœur, pendant la séance de torture, du livre pour enfants offert par sa mère, poussera la petite victime qui porte sur la tête le casque colonial de son grand-père, à affronter l’insoutenable, à tenir debout et à résister en dépit de tout.
 Le narrateur et personnage, porté par le jeu intense de Dirk Roofthooft, analyse comment une part de lui-même n’a pu quitter la terreur de Tideng, coupant court à sa relation à la mère, aux femmes et au monde, comme incapable d’émotion et de sensibilité, malgré le souvenir plus récent de la beauté de Lisa.
Pour Guy Cassiers, cette entreprise autobiographique est une ode à la survie  grâce à l’imagination et, malgré le déni de l’auteur, une ode aussi à sa mère. Décor, lumière et vidéo de Peter Missotten impriment leur marque au spectacle, avec une évocation de jardins japonais aux dalles carrées, séparées par des filets d’eau, qui rappellent la froide abstraction du camp.
 Dans le lointain, un rideau de fer tendu sur les hauteurs, scintille de lumières, de reflets tranchants, et de taches rouges: sang et feu, pour  évoquer la bombe d’Hiroshima du 6 août 1945. Rappel aussi de toutes les barrières de l’enfermement, grillages et portes, qui bloquent les consciences. Le panneau sert aussi d’écran où  l’on voit le comédien qui, au plus près du public, fait sa toilette et brique son intérieur autant que possible, obsédé par le désir de nettoyer corps et objets pour retrouver une pureté perdue.
 Dirk Roofthooft décrit l’horreur inscrite dans un passé qui mord toujours sur le présent : «Toute chose dépend d’une autre qui la côtoie.» Évocations du présent immédiat, ou plus lointain, retour à la femme aimée et aux dérives de l’adulte, projections dans l’enfance: l’acteur ne cesse de toucher à des moments de vérité, d’où naît une émotion puissante…

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Bastille, Paris, jusqu’au 18 décembre. T : 01 43 57 42 14.

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