Rouge décanté

 Rouge décanté, d’après le roman de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft, Corien Baart, mise en scène de Guy Cassiers

  bezonken_rood_09_hiresJournaliste, écrivain et essayiste, Jeroen Brouwers est né en 1940 à Batavia (Indes néerlandaises). Après l’invasion japonaise en 43 et la capitulation de l’armée de son pays, son père fut enfermé dans un camp de concentration  près de Tokyo. Jeroen,encore petit,  sa grand-mère, sa mère et sa sœur, sont d’abord internés au camp japonais de Kramat, puis dans celui de Tideng, dans un quartier suburbain de Batavia. Mais sa grand-mère n’y résistera pas.
   Dans Rouge décanté, roman autobiographique, Jeroen Brouwers nous  parle du camp de Tideng, réservé aux femmes et à leurs enfants (les garçons de moins de dix ans restant auprès de leur mère).  Horreur et effroi, le séjour carcéral se fait pour Jeroen, expérience et découverte hasardeuse de la cruauté programmée et assumée des hommes.
 Les Japonais, qui n’ont pas d’état d’âme, obligent les prisonnières à se tenir droites des heures entières, sous la pluie ou le soleil, ou bien à sauter nues et à croasser comme des grenouilles, jusqu’à l’évanouissement ou la mort. La femme, être humain dont la beauté est blessée et détruite à jamais, n’existe plus.  Et la  douleur qu’il éprouve devant cette dégradation irréversible, l’enfant ne la comprend pas encore. Témoin oculaire, il grandira, empêché définitivement de sourire, à partir d’une épreuve initiatique inouïe dans un monde déserté par l’humanité.
Seule, la lecture et la récitation par cœur, pendant la séance de torture, du livre pour enfants offert par sa mère, poussera la petite victime qui porte sur la tête le casque colonial de son grand-père, à affronter l’insoutenable, à tenir debout et à résister en dépit de tout.
 Le narrateur et personnage, porté par le jeu intense de Dirk Roofthooft, analyse comment une part de lui-même n’a pu quitter la terreur de Tideng, coupant court à sa relation à la mère, aux femmes et au monde, comme incapable d’émotion et de sensibilité, malgré le souvenir plus récent de la beauté de Lisa.
Pour Guy Cassiers, cette entreprise autobiographique est une ode à la survie  grâce à l’imagination et, malgré le déni de l’auteur, une ode aussi à sa mère. Décor, lumière et vidéo de Peter Missotten impriment leur marque au spectacle, avec une évocation de jardins japonais aux dalles carrées, séparées par des filets d’eau, qui rappellent la froide abstraction du camp.
 Dans le lointain, un rideau de fer tendu sur les hauteurs, scintille de lumières, de reflets tranchants, et de taches rouges: sang et feu, pour  évoquer la bombe d’Hiroshima du 6 août 1945. Rappel aussi de toutes les barrières de l’enfermement, grillages et portes, qui bloquent les consciences. Le panneau sert aussi d’écran où  l’on voit le comédien qui, au plus près du public, fait sa toilette et brique son intérieur autant que possible, obsédé par le désir de nettoyer corps et objets pour retrouver une pureté perdue.
 Dirk Roofthooft décrit l’horreur inscrite dans un passé qui mord toujours sur le présent : «Toute chose dépend d’une autre qui la côtoie.» Évocations du présent immédiat, ou plus lointain, retour à la femme aimée et aux dérives de l’adulte, projections dans l’enfance: l’acteur ne cesse de toucher à des moments de vérité, d’où naît une émotion puissante…

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Bastille, Paris, jusqu’au 18 décembre. T : 01 43 57 42 14.

 

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