Dios Proveera
Dios Proveera mise en scène et scénographie de David Bobée, direction musicale de Sébastien d’Hérin
Derrière les barrières métalliques qui servent à contenir les foules, de jeunes artistes, défiant les forces de l’ordre, et celles de la pesanteur, se livrent à des numéros d’équilibre, de jonglage et de voltige, tandis qu’une formation baroque dirigée par Sébastien d’Hérin, Les nouveaux Caractères, fait entendre des airs anciens, profanes et sacrés, instrumentaux ou chantés.
Orgue et clavecin, viole de gambe, cornet à bouquin, flûte à bec et percussions accompagnent la voix aérienne et profonde de la soprano Caroline Mutel. Aux corps bruts, à l’énergie incroyable des jeunes circassiens sortis d’une petite école de Bogota, la Gata Cirko, s’oppose une musique savante et religieuse, issue des répertoires espagnols et sud-américains.
Les garçons grimpent sur les épaules les uns des autres pour mieux se lancer dans le vide, deux filles se livrent à de savantes arabesques suspendues à un énorme anneau, un athlète, tout en muscles, tourne violemment autour d’un filin… Tous beaux et talentueux.
Une dramaturgie élaborée relie ces numéros impressionnants : Dios Proveerá (Dieu pourvoira), est une sorte d’Inch’Allah latino, exprimant un sens de la fatalité que les Colombiens ici présents, refusent, comme le montre le spectacle avec un unique décor, très graphique: des dizaines de barrières métalliques qui, déplacées, renversées ou soulevées, symbolisent les frontières à ouvrir, les injustices à combattre et la répression, omniprésente en Colombie.
David Bobée, séduit par la vitalité et la virtuosité de ces acrobates, a travaillé sur le contraste entre «le sublime du répertoire baroque et le brutal du cirque acrobatique de rue», entre des séquences très physiques et une musique délicate, voire désincarnée, mais où s’entend une douleur sous-jacente. Sébastien d’Hérin a fouillé les archives de la Catedral Santa-Fé et de la ville de Bogota pour y dénicher des musiques sacrées et populaires, en latin ou en espagnol, jouées et chantées du Mexique à la Colombie, de la fin du XVIème au XVIIIème siècles. D’abord, importées d’Espagne par les conquistadores (comme celles de Diego Ortiz, compositeur de Charles- Quint). Puis autochtones, tel ce Hanacpachap (Notre Père), chant anonyme du XVIIème siècle, qui résonne en langue quechua, au début du spectacle.
Cette histoire musicale illustre celle de la colonisation : de nombreuses missions jésuites, avec à leur tête, un général, dit «Le Pape noir», vont évangéliser, de gré ou de force, les populations locales : la musique des offices religieux y jouera un rôle primordial. Imposée par la vieille Europe, la musique baroque colombienne est entachée de cette violence. En la réinvestissant, le spectacle nous plonge dans un passé lié au climat social actuel de la Colombie.
Pendant deux heures, vite passées, grâce au rythme soutenu et à une mise en scène tonique, ces jeunes filles et garçons montrent une envie farouche de vivre et de s’exprimer, libres…
Mireille Davidovici
Théâtre des Gémeaux-Scène nationale, Sceaux. T :01 46 61 36 67 , jusqu’au 13 décembre.