Les Glaciers grondants
Les Glaciers grondants, texte et mise en scène de David Lescot
A l’occasion de la COP21, un hebdomadaire passe commande à un écrivain d’un article sur les changements climatiques. Il va enquêter, un an durant, sur la question, ce qui le mènera à rencontrer des scientifiques, des artistes et des politiciens. En même temps, il vit avec douleur une séparation, et remonte à l’orée de sa relation amoureuse pour la remettre en question. Tel est le fil rouge de ce «drame documentaire à stations, dont le sujet, selon David Lescot, relie le ressenti le plus intérieur et la situation mondiale. »
L’itinéraire d’Éric Caruso, (le nom de l’auteur dans la pièce et celui, véritable de l’acteur), est la colonne vertébrale d’une pièce écrite avec des éléments disparates rassemblés par David Lescot : interviews, lectures, articles de journaux…. et et aussi, noyau, dur et poétique du Conte d’hiver de Shakespeare, qu’on peut, de plus, lire en langue originale ( le spectacle étant sur-titré en anglais). Le spectacle réunit comédiens, danseurs, acrobate et, bien sûr, musiciens, comme dans tous les spectacles de David Lescot, musicien lui-même. Benoît Delbecq au piano, et Steve Argüelles à la batterie, créent une musique d’ambiance plutôt basique, et accompagnent quelques jolies chansons.
Pour cette suite de numéros proche du cabaret, le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono a imaginé des pas-de-deux harmonieux qu’il danse avec Ingrid Estarque mais le dispositif scénique ne leur permet pas toujours d’occuper entièrement l’espace… Les numéros de cercle de Théo Touvet sont autant de respirations : le grand anneau dans lequel il évolue avec grâce et talent, renvoie aux sphères célestes et à notre globe terrestre en danger de mort.
Par un heureux hasard, ce jeune circassien, issu du C.N.A.C. de Châlons-en-Champagne, qui joue son propre personnage, est aussi normalien et polytechnicien, et a réalisé pour la NASA, une mission sur le climat: «Ma recherche portait sur les interactions océan/glace, dit-il à Éric Caruso. J’ai surtout optimisé le modèle glace/océan Antarctique (… ) afin de produire des synthèses de plus en plus précises de toutes les données disponibles sur l’océan et la banquise. »
Pédagogue, il éclaire la lanterne de son interlocuteur néophyte, et aussi du public, sur les phénomènes physiques à l’œuvre, dans l’évolution des masses d’eau près de la calotte glacière du pôle Sud. En contrepoint de ces propos sérieux, Anne Benoit, qui joue un bon nombre de rôles, apporte fantaisie et ironie, et développe une grande puissance le temps d’un monologue apocalyptique, bel exercice de style de David Lescot. Eric Caruso est un candide plausible, et, dans son rôle éponyme, acquiert une épaisseur romanesque, grâce à son jeune double, (Maxime Coggio en étudiant rêveur et maladroit.)
Les aventures scientifiques et sentimentales de cet écrivain imaginé par David Lescot se sont construites au fur et à mesure des répétitions, en fonction de ses rencontres, des improvisations des artistes, et au fil de l’actualité. Ainsi, dans un compte-à-rebours avant l’ouverture de la COP 21, ils citent les «unes» des journaux de novembre, et, à la date du 13, tous s’immobilisent pour une minute de silence. Le va-et-vient entre fiction et actualité, personnages réels et imaginaires (dont certains portent le nom des acteurs), fait le sel de ce spectacle et son intérêt immédiat.
Eclaté, il peut paraître décousu et parfois laborieux et souffre aussi de quelques longueurs, mais sa fantaisie le sauve (pas toujours vraiment!) d’un certain didactisme. Cette «réflexion baladeuse, hasardeuse», selon l’auteur, reste séduisante et obéit à l’urgence d’alerter l’opinion sur les changements climatiques. Ce qu’elle fait avec humour…
Mireille Davidovici
Théâtre des Abbesses, Paris. T. 01 42 74 22 77, jusqu’au 18 décembre. theatredelaville-paris.com
Théâtre de la Passerelle de Gap, le 12 janvier ; Comédie de Saint-Etienne du 11 au 13 mai.
Les Glaciers grondants, suivi de Le Plus près possible sont publiés chez Actes-Sud Papiers-Hors collection.