Roméo et Juliette
Roméo et Juliette de William Shakespeare, version scénique d’après la traduction de François-Victor Hugo, mise en scène d’Éric Ruf
La pièce, Denis de Rougemont, est dans l’imaginaire littéraire, comme un «beau conte d’amour et de mort», à travers la résurrection du mythe de Tristan et Yseult, et la matrice de la vision tragique de l’amour en Occident,
Quête mystique insaisissable, description d’un instant poétique absolu, convocation sensorielle du sentiment de l’existence, l’expérience amoureuse se révèle être un instant absolu mais fugitif, dans un monde écartelé entre le bien et le mal.
La pièce témoigne de la vitalité du désir contre la mort victorieuse, et balance entre dérision comique d’un côté, et ironie tragique de l’autre. Les parents de Juliette, deviennent, ici, un couple de bourgeois burlesques (Danièle Lebrun et Didier Sandre). Roméo qui croyait déjà mourir d’amour pour une jeune Rosaline méprisante, se voit blessé d’amour autant qu’il blesse lui-même, quand il rencontre la vive et libre Juliette.
Le facétieux Mercutio (excellent Pierre-Louis Calixte), éloigné des illusions romanesques, se moque de Roméo qui a été visité par l’accoucheuse des fées, la reine Mab qui fait rêver les amoureux de songes volatils. Mais chez Shakespeare, à côté de l’intime, s’immisce, encore et toujours, le politique. Dans l’atmosphère délétère de Vérone, sur laquelle pèse la rivalité ancestrale opposant les Capulet et les Montaigu, les rixes de rue se succèdent.
Le prince met fin à cette querelle déclenchée par un geste futile, menaçant de mort les chefs des deux clans ; et plus tard, Capulet lui-même, au bal qu’il donne chez lui, oblige à la tolérance son bouillant neveu Tybalt (Christian Gonon) qui a vite reconnu Roméo.
La guerre des pères ne semble pas s’être transmises aux enfants: Frère Laurent (Serge Bagdassarian), qui anime aussi les fêtes italiennes de sa belle voix, marie en secret les amants pour que le rancœur familiale se change en apaisement. Et Roméo, qui vient tout juste d’être uni à Juliette, refuse de se battre avec Tybalt qui le provoque devant Mercutio, blessé à mort quand il a protégé son ami.
La machine tragique est pourtant enclenchée : Roméo va accomplir sa vengeance. Mais, banni de la ville, il devrait s’exiler à Mantoue, en attendant d’être rejoint par Juliette. Trop tard! La mécanique engagée par Frère Laurent s’enraye, tragiquement, entre les préparatifs d’un mariage illusoire et précipité entre Juliette et Pâris, et les ratés d’une lettre salvatrice à Roméo. La scène idyllique du balcon n’aura duré que le temps d’un rêve, comme la nuit d’amour des amants qui ne peuvent se quitter, confondant le chant du rossignol et celui de l’alouette…
Éric Ruf, a signé une scénographie fastueuse et épurée, où il esquisse une vision envoûtante des restes somptueux d’un palais italien, dont le blanc rappelle celui du soleil écrasant des pays méditerranéens et la blancheur des ossements humains lavés par le temps.
Les fêtes estivales de la jeunesse du temps présent, ont lieu sous les voûtes de guirlandes colorées. Avec, à la fois joyeuses et mélancoliques, des chansons pour jeunes gens aux lunettes de soleil, dans les années 60: les garçons comme chez Federico Fellini, emmènent dans leur voiture ou leur Vespa, des filles aux petites robes d’été blanc cassé, qui ont au cou, un foulard aux tons pastel…
Le tombeau sacré-splendide-où repose Juliette, qui rappelle les catacombes de Palerme avec ces morts momifiés debout, dans leurs atours colorés (costumes de Christian Lacroix), est le lieu symbolique où s’accomplissent les noces tragiques des amants avec la mort que jouent Suliane Brahim et Jérémy Lopez, avec la justesse et l’humanité requises.
Une preuve scénique éclatante que mourir d’amour n’est pas qu’un geste maniériste.
Véronique Hotte
Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu’au 30 mai. T : 01 44 58 15 15