En attendant Godot , mis en scène de Yann-Joël Collin

En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène de Yann-Joël Collin

  d5accc12-1e3a-4154-8e8c-a9def0c38454Après le scandale et les huées à sa création en France (1953) dans la mise en scène de Roger Blin, En attendant Godot est devenu assez vite un classique, vu et revu, lu et relu comme tel, étudié dans les lycées. La pièce marque un moment de bascule dans l’écriture théâtrale, produit par les bouleversements de la seconde guerre mondiale. Que reste-t-il d’une humanité hantée par les génocides, la bombe atomique et la guerre froide ? Là, dans la peur et la fascination de l’anéantissement, il n’y a plus d’avant, ni d’après.
Vladimir et Estragon (Didi et Gogo), se posent la question du temps à laquelle ils ne peuvent donner qu’une réponse, celle d’une durée sans repères : on attend… Gogo y met un peu plus d’efforts de mémoire, mais les chemineaux (vieux mot hors du temps, ça tombe bien) avec leur chapeau-melon, font quand même la paire, malgré leurs velléités de séparation: «On ne peut pas, on attend Godot ».
Le temps de la pièce, c’est le présent de l’attente. La mise en scène de Yann-Joël Collin est fondée sur cette réalité : « Chers spectateurs, nous allons vivre ensemble cette durée ». Les deux échantillons d’humanité dessinés par Samuel Beckett, (Cyril Bothorel et Yann-Joël Collin) viennent de la salle, puis explorent le plateau comme un lieu nouveau, sans mémoire, dangereux, ou tout au moins risqué.
Ils trébuchent sur le sol, pourtant impeccable, du théâtre et prennent en pleine figure, ses portes battantes. Ils expérimentent.
De là, des moments d’incertitude et de flottement bienvenus, car c’est tout à fait de cela qu’il s’agit. À l’exception des indispensables petits chapeaux-melon, ils portent des costumes d’aujourd’hui, et de magnifiques baskets qui ne sauraient faire souffrir Estragon, autant qu’il le dit.

 C’est sans importance : «Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure, alors que c’est son pied, le coupable». Cette attente devient en soi une action. Jean-Pierre Vincent, dont nous avons aussi vu la mise en scène et qui parie sur le théâtre et ses codes (voir l’article de Véronique Hotte dans Le Théâtre du Blog): Charlie Nelson et Abbès Zahmani font merveille en nouveaux Laurel et Hardy.
 Mais ici, Yann-Joël Collin et sa troupe jouent la surprise et l’humour, et nous font savourer les “brèves de comptoir“, ces blocs d’un langage précontraint qui parsèment la pièce. Quand arrivent ces Pozzo et Lucky, plus sobres, et donc peut-être encore plus énigmatiques que ceux de Jean-Pierre Vincent, Didi et Gogo retrouvent leur place parmi les spectateurs et assistent, avec eux, à leur numéro.
Ils partagent le scandale et l’indignation inutile devant la tyrannie et la servitude, et le même espoir douloureux d’arracher quelques bribes de sens au discours désarticulé, sans cesse brisé et sans cesse repris, du penseur Lucky. Mais la pièce ne les laisse pas tranquilles; Lucky, l’esclave, leur rappelle, à coups de pied, qu’être une victime ne rend pas meilleur, et, au passage, que leur place est quand même sur ce foutu plateau.
L’étonnant, avec En attendant Godot : malgré l’obligation rigide de ne pas changer un mot du dialogue ni des didascalies, on a toujours l’impression d’assister à une pièce nouvelle… La partition, ultra-précise, laisse une place immense et une grande responsabilité aux interprètes.

 On ne reviendra pas sur la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, et sur le formidable hommage qu’elle rend au théâtre (un salut particulier à Alain Rimoux et Frédéric Leidgens  qui jouent Pozzo et Lucky). Mais on appréciera surtout le travail de Yann-Joël Collin et de sa compagnie La Nuit surprise par le jour,décapante, immédiatement contemporaine, dans le plaisir d’un théâtre en train de se faire.
Elle nous rappelle que le sens d’En Attendant Godot est bien là : la pièce ne répond à aucun “pourquoi“, mais en pose à l’infini, quand il s’agit de la résoudre sur un plateau. Ce qui en fait un grand classique, résistant à tous les traitements, même les meilleurs.

 Christine Friedel

 Théâtre de la Cité Internationale, T : 01 43 13 50 50, jusqu’au 23 décembre.

 

 

 


Archive pour 14 décembre, 2015

Les Reines de Normand Chaurette

Les Reines de Normand Chaurette, mise en scène d’André Perrier, candidat à la maîtrise pratique en mise en scène (programme du Conservatoire) .
 
12274706_1133083990057782_7430290674823811488_nUn décor gris de désolation  balayé par un vent ronflant qui glace le sang… On entend la tempête qui fait rage, et des lambeaux de tissus, pendus sur un alignement de châssis peints, laissent deviner de fantomatiques créatures, rongées par le désir le plus viscéral du pouvoir. Les six figures féminines font leur apparition et nous projettent aussitôt dans un paysage mental inquiétant. Une création efficace, vu la difficulté du texte, et l’expérience limitée de ces jeunes actrices, inscrites au programme de formation  théâtrale à l’Université d’Ottawa.
Conçu par Normand Chaurette, dramaturge et romancier québécois, (le seul qui ait eu les honneurs de la Comédie-Française), cette pièce, collage d’extraits de Titus Andronicus, Henri VI, Richard II, et surtout Richard III de Shakespeare, regroupe des femmes qui ont joué un rôle important dans l’histoire anglaise, telle que l’a vue William Shakespeare.
L’auteur transforme cette  représentation historique en matière psychique, ce qui change évidemment la vision que l’on a de ces femmes à la scène,  alors qu’ici on ne voit jamais les hommes… Le roi Édouard IV se meurt, et les reines attendent la suite. Ici, elles font le tour de la scène dans une attente quasi-hystérique, déchirent  la syntaxe, et crachent leur rage, leur jalousie et leur désespoir, puisque leur avenir repose, malgré tout, entre les mains des hommes!

   Elisabeth, grisée par le pouvoir, s’effraye, si Édouard meurt, de la perte possible de ses enfants. Anne Warwick  pense devenir bientôt reine, quand son amant Richard prendra le pouvoir, dès la mort du son frère Edouard.
Normand Chaurette élimine la scène la plus cruelle de Richard III, où le jeune Richard, encore duc de Gloucester,  fait la cour à Anne Warwick, juste après avoir assassiné son mari…  Absolument pas découragé par la haine féroce de cette femme qui finira par accepter sa demande en mariage! Anne, devenue arrogante et cynique, attend avec impatience le jour où elle deviendra reine.
Quant à la vieille duchesse d’York, elle craint d’être abandonnée par toute sa famille, si son fils Édouard meurt, car lui seul la protège. Et on retrouve l’ex-reine Marguerite, veuve d’Henry VI, qui, déjà abandonnée, pleure sur son sort.
Isabelle Warwick, belle-sœur de Richard, elle, attend aussi la mort d’Edouard: son mari, Georges, est en effet le prochain héritier légitime du trône! Elle n’apparaît pas chez Shakespeare mais nous savons que Richard va faire assassiner Georges pour éliminer toute concurrence. Le sang coule, et les femmes sont traumatisées par cette vie sinistre.
A la fin, la figure fantomatique et tragique d’Anne Dexter, la sœur de Richard morte bien jeune, erre dans ce paysage brumeux et triste. Présentée comme la victime éternelle qui marque les drames les plus sanglants de Shakespeare comme Titus Andronicus, elle grimpe sur les murs, hante l’espace, disparaît derrière un châssis pour en ressortir et annoncer l’avenir tragique qui les attend toutes.

 Normand Chaurette insiste sur l’état de ces monstres obsédés par le pouvoir. Mais mieux vaut pour  le spectateur connaître les pièces en question, ou au moins, d’être au courant de la chronologie historique qui concerne ces tristes reines, s’il veut comprendre la rage qui les anime.
C’est la grande difficulté de cette  pièce,  dont on peut faire une mise en scène spectaculaire: ici, les hurlements d’Élisabeth, les explosions hystériques d’Isabelle, etc. montrent des figures cruelles et terrifiantes, plaquées dans les espaces qui leurs sont réservés. Elles tremblent, vomissent des tirades, en imposant une vision féminine du monde, pleine de malheur, d’où toute justification historique est apparemment évacuée…
Mais on peut se demander pourquoi! En effet, d
ans cet univers clos où « le Roi se meurt », où  les hallucinations fusent et où les souvenirs deviennent cauchemars, ces figures féminines se transforment parfois en  caricatures  ou poupées-robots, manipulées par un metteur en scène qui s’interroge sur la manière d’exploiter la parole et les pulsions intérieures, en jouant sur l’expression corporelle…
Mais il y a malentendu: André Perrier a du mal à éviter le récit historique dans sa mise en scène, et situe l’action dans une sorte de déséquilibre mental, celle d’un paysage expressionniste, digne du cabinet du docteur Caligari! Les  jeunes comédiennes, excellents «corps obéissants», se sont pliées à l’exercice, avec fougue et précision. Mais, à la longue, leur gestualité paraît vide de sens, surtout quand le spectateur ne connaît pas les pièces de Shakespeare…
Seule Kiara-Lynn Néï qui interprète Anne Dexter, la victime emblématique, a cerné une tonalité, un rythme et une articulation qui font vibrer le texte: elle nous permet d’aller au-delà de l’expression du  corps, et de  comprendre la signification profonde de son personnage. De cette création, on retiendra surtout le travail remarquable de ces jeunes comédiennes qui jouent ces sœurs, veuves et  filles de rois…

Alvina Ruprecht
 
Le spectacle du Département Théâtre de l’Université d’Ottawa y a été créé le 1er décembre, et s’est joué jusqu’au 5.

Le Méridien

 Le Méridien, un projet de Nicolas Bouchaud, d’après Le Méridien de Paul Celan, mise en scène d’Éric Didry

Le Méridien © Jean-Louis Fernandez036Paul Celan écrit ce discours prononcé à l’occasion de la remise du prix Georg Büchner à Darmstadt, en 1960, soit la «contre-parole» d’un poète qui s’exprime en allemand, la langue de sa mère comme celle des bourreaux nazis.
À travers le théâtre de Büchner : La Mort de Danton, Woyzeck, Léonce et Léna, Lenz,  il nous livre sa perception de l’art et de l’acte poétique, prenant appui sur la tirade de Camille Desmoulins dans La Mort de Danton.
La mise en scène élémentaire et raffinée d’Éric Didry,  de ce texte avec Nicolas Bouchaud à l’engagement sincère et entier, se donne comme une performance poétique, la mise en marche lumineuse d’une poésie existentielle et d’un pas-de- côté singulier et souhaité sur le chemin même de l’art. La poésie advient au moment où l’art se renverse et renaît autrement, quand celui qui marche sur la tête, le poète, «a le ciel en abîme sous lui. »
 Nicolas Bouchaud arpente le plateau de théâtre, un tableau d’école renversé à ses pieds, tel l’abîme céleste : il évoque la charrette sur la place  de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde, avec à son bord, Danton, Desmoulins et les autres. L’acteur dessine à la craie les marches de l’échafaud empruntées par les révolutionnaires, ce 5 avril 1794. Et Lucile, l’épouse de Camille, au spectacle des exécutions achevées, s’écrie : « Vive le Roi ! »
 L’invective n’est pas un hommage rendu à la monarchie mais à «une majesté du présent, témoignant de la présence de l’humain, la majesté de l’absurde». La poésie incarne «la vie du presque rien », les « tressaillements », les « allusions », la « mimique très fine qu’on remarque à peine », soit  le naturel de la créature, l’évidence de l’expérience vécue. Il faut savoir élargir le sentiment du vivant, unique critère en matière d’art, le naturalisme marquant les racines sociales et politiques de l’œuvre même de Georg Büchner.
  En général, le poète parle au nom d’un Autre ou d’un tout Autre – se refusant désormais à le nommer Étranger – gardant le cap sur lui, d’abord accessible, vacant, entre le déjà-plus et le toujours-encore d’une conscience claire et autorisée par le pouvoir de la langue. Il n’oublie pas non plus qu’il parle selon l’angle de la pente de son existence, de sa condition de créature. En un dialogue désespéré : «Le poème se tient dans le secret de la rencontre.»
Walter Benjamin dans son Essai sur Kafka cite le mot de Malebranche : «L’attention est la prière naturelle de l’âme.» Entre le Je et le Tu, se tient le présent de la poésie qui laisse parler le temps, ce que l’Autre a de plus personnel. Et  elle est bien « cette parole qui recueille l’infini là où n’arrivent que du mortel et du pour rien », les petits signes imperceptibles du vivant qui font mur contre la barbarie.      
  Un spectacle admirable, en forme de questionnement et de démonstration vive.

 Véronique Hotte

 Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 27 décembre à 20h 30. T : 01 44 95 98 21

Pinnochio

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Pinocchio d’après Collodi, texte et mis en scène de Joël Pommerat (à partir de huit ans)

 Cinq ans après sa création ici, (voir Le Théâtre du Blog ci-dessous), nous n’avons pas changé d’avis et cet impeccable spectacle parait tout neuf, dans une mise en scène d’une qualité exceptionnelle. L’adaptation de ce conte, d’une noirceur absolue quand elle est revisitée par Joël Pommerat, est d’une grande intelligence dramaturgique et d’une précision absolue quant à la direction d’acteurs, tous excellents (Myriam Assouline, Sylvain Caillat, Pierre-Yves Chapalain, Daniel Dubois, Maya Vignando). Et la scénographie, capitale chez Joël Pommerat, à la fois simple et d’une véritable imagination poétique, est grâce à un univers lumineux et sonore comme on en voit rarement, en parfaite unité avec sa mise en scène.
On retrouve sur le grand plateau des Ateliers Berthier, avec le même plaisir, les personnages de cette adaptation destinée en priorité aux enfants: le narrateur, pour qui rien n’est plus important que la vérité, la fée en grande robe blanche surdimensionnée et, bien sûr, le petit bonhomme en proie à ses mensonges, devenu agressif et insolent, qui ne veut pas avouer que son père est pauvre, son père qui s’est privé d’un manteau pour lui acheter un livre de classe… L’expérience de Pinocchio que peut comprendre tout enfant à qui ce spectacle est d’abord destiné, pose une vraie question:  Peut-on  quitter l’enfance, tout en restant libre ?

Seul absent de cette reprise, Philippe Lehembre, qui jouait le père de Pinocchio, a déserté cette vallée de larmes mais on se souviendra longtemps de ce comédien aux merveilleux yeux bleus, aussi discret que formidablement présent.
Bref, la reprise de ce Pinocchio est un vrai bonheur théâtral, même si parfois le texte comporte quelques facilités, et devant lequel chaque adulte retrouve ses yeux d’enfant.

Ph. du V.

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès donnant sur le 8 boulevard Berthier, Paris ( XVII ème), T: 01 44 85 40 40,  jusqu’au 3 janvier.

http://theatredublog.unblog.fr/wp-admin/post.php?post=274&action=edit

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