L’artiste et son monde, une journée avec Alain Platel
L’artiste et son monde, une journée avec Alain Platel au Théâtre National de Chaillot
Alain Platel s’est entretenu, deux heures durant, d’abord avec Didier Deschamps, puis avec Laure Adler qui lui a posé des questions précises mais parfois réductrices. Ce fut l’occasion pour le public de découvrir les motivations et l’itinéraire de l’artiste flamand…
Lors de ses études de pédagogie et psychologie, les travaux de Fernand Deligny sur l’autisme le marquèrent, en particulier ceux sur sa manière de décoder ce handicap, de comprendre un mode d’expression physique différent, souvent poétique, propre aux autistes. Comme l’a montré un extrait de Le moindre geste, film réalisé par le célèbre éducateur.
La deuxième source d’inspiration du metteur en scène fut Pina Baush: «On ne peut pas sous-estimer, dit-il, l’influence qu’elle a eue sur de nombreux artistes, c’est une claque ; cela a changé ma vie.» A la projection de vidéos de répétitions de ses pièces, et de Café Muller, nous avons vu sa réelle émotion devant ces images. Pour lui, comme pour Pina Baush, chaque créateur a une identité, et son travail consiste à la donner à voir sur scène.
Il n’a pas suivi de formation en danse ni en théâtre, mais a recherché, avec ses amis, un langage non verbal fondé sur l’improvisation. Peu à peu, sa troupe d’amateurs a vu des professionnels venir se joindre à elle. D’emblée leurs modes d’expression se sont mêlés, toujours accompagnés par la musique, omniprésente et primordiale dans son œuvre.
Des extraits vidéos de ses créations ont été présentés : on a aussi pu voir les réactions de certains spectateurs indignés à la création de Wolf (2003) dont l’un proteste «C’est le zéro de la musique et de la danse ! » . Gérard Mortier avait passé commande de cette pièce pour l’Opéra Garnier : «Il m’a laissé libre avec ce bazar !» dit Alain Platel… Dans un super-marché, se côtoient en effet chanteurs lyriques, danseurs, sourds profonds et quinze chiens, sur une musique de Mozart.
Wolf a marqué un tournant dans la carrière du metteur en scène qui va alors explorer les frontières entre «normalité» et «anormalité» des êtres et des corps. Une dernière vidéo, provenant du Museum Dr Guislain à Gand, nous montre les mouvements incontrôlables de patients souffrant de troubles neurologiques ou psychiques.
Les danseurs d’Alain Platel «y ont vu des gens hypersensibles qui laissent parler leur corps et non de malades.» Dès lors, le metteur en scène s’engage dans un travail plus intérieur avec eux: «Ce travail, je le fais seul dans le studio, un endroit où ils ont envie de se mettre en danger.»
Avec de multiples sources d’inspiration : l’image d’une femme sur une décharge pour Tauberbach ; un livre de photos sur les fanfares pour En avant, marche! où il a mis en scène quatre acteurs, sept musiciens mais aussi une fanfare, celle de chaque lieu de représentation (voir Le Théâtre du Blog).
La musique est toujours le moteur de ses créations et, en avril prochain, il commencera à répéter un projet autour de l’œuvre musicale de Gustav Malher, avec un décor réalisé par Berlinde DeBruckere, dont la première aura lieu en septembre 2016.
Jean Couturier
Théâtre National de Chaillot le 12 décembre. www.lesballetscdela.be/fr/