Spring Awakening, d’après Frank Wedekind
Spring Awakening (L’Eveil du Printemps), d’après Frank Wedekind, comédie musicale, en anglais et en langue des signes, direction de Michael Arden
Broadway a accueilli cet automne une comédie musicale atypique, chantée en anglais et jouée dans sa totalité en langue des signes américaine (ASL) par tous les artistes. Ce n’est pas la première fois que le Deaf West Theatre de Los-Angeles, qui a vingt-cinq ans d’existence, présente à Broadway une adaptation de ce genre, comme Big River, tiré de The Adventures of Huckleberry Finn.
Michael Arden établit un parallèle entre l’interdiction de L’Eveil du printemps de Wedekind (1908), et les décisions prises en 1880, au troisième congrès de Milan pour l’amélioration du sort des sourds-muets. Ce congrès a privilégié, en Europe, la méthode orale, au détriment de la langue des signes que les pays anglo-saxons ont pourtant continué à défendre.
L’adaptation de L’Eveil du Printemps est d’une qualité d’écriture exceptionnelle, avec un décor d’une pension pour adolescents en Allemagne, en 1891, qui correspond parfaitement à l’intérieur du Brooks Atkinson Theatre, construit en 1926 et rénové il y a peu. Les deux heures quarante-cinq du spectacle s’écoulent dans une belle fluidité, grâce à la chorégraphie de Spencer Liff et à l’énergie des artistes qui interprètent les rôles principaux, Wenla, Moritz, Martha, Otto, Melitta et Ernst, en langue des signes; dialogues et chansons étant doublés. Les autres acteurs mixent les deux langages.
La pièce évoque l’éveil des sens, ce passage à l’âge adulte où les adolescents mutent corps et âme. Dans le texte d’origine, l’auteur s’en prend aux interdits qui frappent les jeunes. Mais ici, la langue des signes souligne son propos. Toutes les fractures de l’être, les révoltes et perversions naissantes sont exprimées gestuellement, et en langue des signes qui devient ici un vecteur de liberté des corps. A Broadway, on ne voit jamais des doigts d’honneur, un accouplement sur une table, ou un jeune acteur masturbé par ses partenaires féminines sous un drap!
La référence au théâtre reste constante : des portants pour costumes à cour, et une servante, à jardin. La musique de Duncan Sheik, jouée en direct par les acteurs, polyvalents, comme souvent dans les comédies musicales, magnifie ces jeunes gens et donne à cette création un côté jubilatoire. Une belle réponse aux vœux de Frank Wedekind: «Je serais étonné, disait-il, si je vois le jour où on prendra enfin cette œuvre, comme je l’ai écrite, voici vingt ans, pour une peinture ensoleillée de la vie où j’ai cherché à fournir à chaque scène, autant d’humour insouciant qu’on en pouvait faire, d’une façon ou d’une autre».
Jean Couturier
Spectacle vu le 5 décembre au Brooks Atkinson Theatre, New York