La Damnation de Faust
La Damnation de Faust, opéra d’Hector Berlioz, mise en scène d’Alvis Hermanis.
«Heureusement, je dirais, on a encore la musique !» s’exclamait un spectateur à l’entracte de l’avant-dernière représentation, et le public a applaudi avec chaleur les artistes au moment des saluts.
Dans cette création, assemblage de dissonances, on trouve de tout; du très bon, les chœurs et l’orchestre de l’Opéra de Paris, dirigés avec fougue par Philippe Jordan; du bon, les trois solistes, Sophie Koch (Marguerite), Bryan Hymel (Faust) et Bryn Terfel, (Méphistophélès) ; du surprenant : Dominique Mercy, en fauteuil roulant, dans le rôle muet et dansé de Stephen Hawking, physicien et cosmologiste britannique bien connu pour ses travaux sur les trous noirs, dont quelques phrases sont projetées ; et du très discutable, le travail du metteur en scène lettonien Alvis Hermanis!
Son idée originale de transposer Faust dans le futur, une lourde scénographie et la chorégraphie d’Alla Sigalova ne suffisent pas à compenser l’absence de réelle direction d’acteurs. A la question : «Qui est le Faust de notre temps ?», projetée au début du spectacle, le metteur en scène répond, en proposant un voyage vers Mars pour sauver la planète à un groupe de jeune gens. Méphistophélès et ses acolytes coordonnent cette équipe; ils abandonneront les blouses de médecins-contrôleurs de cette mission, pour revêtir, à la fin, une tenue de spationautes. Faust perdra son âme dans l’aventure…
Des blocs de verre et d’acier, en permanence mobilisés sur scène, servent parfois de prison à ces jeunes cobayes humains, candidats astronautes. D’autres blocs, placés au-dessus, servent aux projections vidéo. Les images illustrent lourdement l’action, comme ces baleines accompagnant le chant d’amour de Marguerite. Ou témoignent d’une réelle esthétique, quand, par exemple, la surface d’un corps humain filmée au plus près, évoque le territoire inexploré de Mars. «Au nom du diable, on danse !» clame Méphistophélès; Alla Sigalova aurait dû l’entendre et nous entraîner dans une danse folle, entre luxure et terreur. Mais la chorégraphe a dû composer avec l’espace encombré du plateau, où on retrouve un mélange de styles : un peu de Mats Ek, un peu d’Angelin Prejlocaj, un peu de Maurice Béjart.
Les jeunes danseurs, mis à rude épreuve, rampent au sol, s’agglutinent dans une cage en verre, se retrouvent statufiés, seuls ou en couple, enfilent des tenues de spationautes, ou portent des tutus avec de petites ailes d’ange…
Il faut souligner le travail de Christine Neumeister, directrice des costumes de l’Opéra de Paris, qui s’est adaptée aux multiples exigences du metteur en scène. Malgré toutes ces réserves, nous n’oublierons pas le moment de grâce final (à l’initiative de la chorégraphe), où Dominique Mercy, aidé par les autres danseurs, quitte son fauteuil roulant et s’élève maladroitement vers le ciel.
Quand, après avoir convaincu Faust, Méphistophélès dit :«Le charme opère, il est à nous», une partie du public séduit, se souviendra longtemps de ces images décalées et excessives…
Jean Couturier
Le spectacle s’est joué à l’Opéra-Bastille, Paris jusqu’au 29 décembre.