Le Théâtre La Licorne

Le Théâtre de la Licorne à Dunkerque

 

img006La compagnie initiée et dirigée par Claire Dancoisne, après quelque trente-six créations, a une solide expérience de l’art de la marionnette et du théâtre d’objets. Après avoir vécu dans une aile désaffectée d’hôpital à Lille, un hangar à Roubaix, la Halle aux sucres et le théâtre  Saint-Paul à Lille, un entrepôt à Dunkerque depuis 2013. La Licorne a pu enfin emménager cette fois dans un ancien garage Opel, qui sera un véritable outil de travail pour les artistes en résidence.
 “Avec un label qui n’en est pas tout à fait un, dit Claire Dancoisne, « compagnie missionnée compagnonnage”.  Ce qui suppose qu’elle ait  des locaux  aux normes pour être  ouverts au public, et capables aussi d’accueillir des compagnies en résidence, des expositions et des stages de formation.
Le lieu est subventionné  par la DRAC, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, le conseil départemental et la Communauté urbaine de Dunkerque.
 Formidable pari que ce cahier des charges  et, n’en déplaise à Laurent Wauquiez, nouveau et jeune président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui semble trouver bien encombrants, les enseignements de la marionnette et du cirque (voir Le Théâtre du Blog), La Licorne possède un outil de  création de tout premier ordre, et un lieu à la fois fonctionnel et magnifique  pour organiser des stages professionnels, des expos et des rencontres.
  Chômage important dans la région, montée du F.N. aux dernières élections: c’est tout à l’honneur des institutions locales qui ne roulent pas sur l’or d’avoir  défendu et soutenu financièrement ce projet de grande envergure. Dans une ville pas très belle (92.000 habitants) mais où les gens sont chaleureux, et dans un quartier  excentré, l’ouverture de ce lieu a été saluée avec enthousiasme.
  Claire Dancoisne, issue de l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, qui a une véritable passion pour le théâtre d’objets et les marionnettes, avoue sa reconnaissance à Tadeusz Kantor et à Alexandre Calder, dont toutes les créations en portent peu ou prou, la marque. “La Licorne, dit-elle, ce sont des spectacles pour tous, mais exigeants, qui se sont toujours voulus rassembleurs, non dans un esprit populiste de nivellement mais bien dans une sorte de fête communautaire comme au Théâtre du Soleil”.
Au 60 rue du Fort Louis, le lieu, a ouvert ses portes, il y a un mois.  Situé dans le quartier populaire, assez pauvre, dit de la Basse-Ville, et sans beaucoup de commerces, ( il y a juste un petit café à deux rues de là) avec souvent des maisons murées, il a pourtant suscité un intérêt évident chez sa population, fière d’avoir elle aussi comme dans le centre ville,  une institution culturelle conçue par les architectes Anne Fauvarque et Jean Dupond.
Ici,
aucun luxe inutile. Il y a un accueil et une petite cafeteria à l’entrée avec cuisine, avec au premier étage, des bureaux spartiates mais clairs pour la petite équipe de la Licorne. Puis un grand espace sur chaque côté, les passerelles métalliques de chantier, les poutrelles en fer du toit,  le ciment peint du sol,  et le bois  font des murs font très bon ménage. Bien proportionnée, sa surface de 1.500m2 (50m x 30m) est capable d’accueillir à la fois des expositions mais aussi éventuellement des spectacles, avec, sur le côté, des loges, un atelier de construction, une réserve de plus de 1.000 m2 pour les éléments de spectacles en cours, et d’autres plus petits pour la couture, la sérigraphie et la peinture  et, dans le fond, une cour/jardin où les camions peuvent accéder.
Il y a aussi et encore un lieu de stockage de matériaux récupérés (fer, bois,etc.) qui serviront à la fabrication des décors, objets et masques des futurs spectacles. Bref, de quoi faire rêver, par paquets de dix, les compagnies installées en Ile-de-France et ailleurs…
  Il y a eu Bruits de planche, une très belle exposition jusqu’au 6 décembre dans la grande halle. Imaginez une suite de micros-sites scénographiés par Claire Dancoisne et Alexandre Herman. Ils résument chacun les spectacles créés par  La Licorne avec de beaux  croquis préparatoires, des machines fantastiques en fer articulées, proches de celles que concevait le grand Tadeusz Kantor, des masques mais aussi des objets, pour la plupart faits de matériaux récupérés.
 Comme, entre autres, cet éléphant de Spartacus, en bidons de tôle ondulée, ou les marionnettes des Encombrants font leur cirque. Toutes ces admirables sculptures, très vivantes,  font aussi partie de l’art contemporain mais populaire. Loin, très loin des petites formes minimales, souvent prétentieuses, des galeries parisiennes. Et il y a un coin avec un grand écran et quelques sièges d’anciens cinémas qui permet de voir des extraits de spectacles  de la Licorne.
L’exposition, gratuite, a eu un beau succès à Dunkerque et en particulier auprès de la population du quartier et leur a permis de connaître ce travail théâtral hors-normes mais d’une qualité exceptionnelle. Et tout près de chez eux: on ne dira jamais assez l’importance de la proximité d’un lieu théâtral pour les habitants d’une ville.
Pour la prochaine exposition, Une humanité cousue, Anne Bothuon présentera les costumes et le corps des personnages, marionnettes de la dernière création de La Licorne Le Cœur cousu.

Claire Dancoisne et son équipe ont aussi programmé plusieurs stages tous publics d’initiation à la soudure ( janvier) mais aussi au jeu masqué (février) et à la manipulation de mannequins (mars).
Le nouveau lieu sera inauguré pour le public du 29 mars au 3 avril, et officiellement, le 31 mars.

  Philippe du Vignal

-Théâtre La Licorne 60 rue du Fort Saint-Louis 59140 Saint-Louis. T:  03 74 06 00 01 www.theatre – lalicorne.fr

-L’exposition Anne Bothuon aura lieu du 8 janvier au 4 février, vernissage le 7 janvier à 19h. Les mercredi, jeudi, vendredi de 14h à 18h  et le dimanche de 15h à 18h. Nocturne le jeudi de 18h à 21h.

-Le Cœur cousu,  d’après le roman éponyme de Carole Martinez,  Théâtre des Bergeries à  Noisy-le-sec (93) T. : 01 41 83 15 20 le 13 février  à 20h30 ; Le Boulon/ Centre national des arts de la rue (à confirmer) Vieux-Condé (59) T. : 03 27 20 35 40  le 1er mars  à 14h30 et le 2 mars en soirée ; Comédie de l’Aa Saint-Omer (62) le 4 mars  en soirée. L’escapade à Hénin-Beaumont (62) T. : 03 21 20 06 48, le 13 mars en soirée.
Yzeurespace-Théâtre Sylvia Monfort,Yzeure (03). T. : 04 70 48 53 80 le 15 mars à 20h30. Le Temple à Bruay-la-Buissière (62) T. : 03 20 61 96 96 le 13 mai 14h30 et 20h.

  


Archive pour décembre, 2015

La Cerisaie

La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, mis en scène par tg STAN

    images_de_repreusentation_la_cerisaie_-r_koen_broos_2Quelle générosité, cette Lioubov Andreevna! Elle sème son argent, au sens propre comme au figuré, et égraine avec la même légèreté ses émotions fantasques et contrastées. Interprétée avec finesse par Jolente de Keesmaeker, un des piliers du collectif anversois tg STAN, elle donne le la à une mise en scène habile et d’une complexité où tout est vacillant.
Ramenée au bercail par sa fille attentionnée,  Lioubov revient de Paris dans un sémillant pantalon à rayures sportives et un pull col V un peu mollasson : « J’ai envie de sauter, de faire la folle. Et si ce n’était qu’un rêve? ». Arrivé avec la même loufoquerie, son entourage nous fait pressentir que la dernière pièce d’Anton Tchekhov pourrait bien, selon ses désirs, s’avérer « drôle, très drôle ».
Mais, comme ne cesse de le rappeler Lopakhine, ce paysan parvenu campé avec un plaisir contagieux par Frank Vercruyssen, une menace rôde : la vente de la Cerisaie, une propriété familiale elle aussi porteuse de contradictions : locus amoenus, refuge bucolique, elle recèle la nostalgie des joies simples, et le lourd souvenir d’un enfant mort noyé.

    C’est justement ce « quelque chose d’effrayant, d’inquiétant » qui a attiré ce collectif aux méthodes inhabituelles, évacuant la figure du metteur en scène pour privilégier l’acteur, la jouissance du jeu et la destruction de l’illusion théâtrale. En écho à la superficie du domaine, le grand plateau dénudé laisse entrevoir ses coulisses. Cerné de stores et de baies vitrées amovibles, il laisse le champ libre aux allées et venues, comme aux menus changements de décor et exhibe la mécanique des inconscients… et du théâtre.
Au gré des quatre actes, un des dix comédiens règle la lumière du temps qui passe-et en parle avec le public- d’autres revêtent à vue le costume d’un nouveau personnage, opèrent les déplacements de mobilier et d’accessoires qui annoncent la triste issue. Pas de grandes répliques lénifiantes, mais des fulgurances savoureuses. Les rôles secondaires, tels l’étudiant, le valet, la gouvernante, ont tous leur moment de grâce. Les répliques sautent du coq à l’âne, au fil bizarre d’une conversation mi-freudienne, mi-absurde. De même, les personnages passent de l’exaltation primesautière, à la mélancolie.

   Dans une esthétique proche du cabaret, s’enchaînent des conversations plus ou moins badines, ou empesées, une sérénade à la guitare, une danse électro rougeoyante, libératrice, ou un apéritif raté. Les costumes mêlent un style contemporain assez banal, à quelques audaces : chaussures jaunes, savates, fourrure volumineuse. La vivacité du texte discrètement modernisé, semble illustrée ici par les nombreux tours de passe-passe de Charlotta : fusées, paillettes… et lévitation, autant de métaphores de l’écriture d’Anton Tchekhov. La vie passe avec ses pics d’hystérie, son détachement, son artificialité. L’amour, le mariage et l’argent ne sont pas des plaies si profondes…
    La langue française, trouée, aérée par les accents flamand et russe de certains comédiens, possède une savoureuse étrangeté brechtienne. Elle souligne absences, astuces, non-dits… comme cette laisse qui traîne un chien que nous ne verrons jamais, et donne au spectateur le plaisir herméneute de relier les choses et les êtres, de faire naître du sens.
    Autre exemple de belle trouvaille: ce « bruit désagréable dans le ciel » signalé par une didascalie. Une chouette? se demandent les personnages. En fait, ici, un projecteur motorisé qui grince ostensiblement là-haut sur une perche. Comme le revolver entraperçu, ce grincement revient, tragique et grotesque. Tg STAN voulait « éviter une représentation dépressive ». Pari gagné: l’énergie est bien ici  au service de la subtilité.

Stéphanie Ruffier

Le spectacle s’est joué jusqu’au 20 décembre au Théâtre National de la Colline.

La Belle et la Bête

La Belle et la bête, chorégraphie de Thierry Malandain.

IMG_7125« L’enfance, disait Jean Cocteau, croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute. Elle croit qu’une rose qu’on cueille peut attirer des drames dans une famille. Elle croit que les mains d’une bête humaine qui tue se mettent à fumer et que cette bête en a honte lorsqu’une jeune fille habite sa maison. Elle croit mille autres choses bien naïves. C’est un peu de cette naïveté que je vous demande et, pour nous porter chance à tous, laissez-moi vous dire quatre mots magiques, véritable « Sésame, ouvre-toi» de l’enfance : Il était une fois … ».
L’écrin historique de l’Opéra royal de Versailles accueille, en avant-première, la version chorégraphique de cette œuvre, presque soixante-dix ans après  le film du poète. Les dorures des costumes entrent en résonance avec celles de la salle, et, pendant soixante dix minutes, le public plonge dans un rêve enfantin, grâce à Thierry Malandain.  Des passages d’Eugène Onéguine, et des Symphonies numéro 5 et 6 de Tchaïkovski, joués par l’Orchestre  symphonique d’Euskadi, accompagnent cette création.
  Trois rideaux, mobiles de cour à jardin et inversement, délimitent les espaces de jeu et permettent  apparitions et disparitions des interprètes; le château de la Bête est juste évoqué par un trône et une table à  pieds de lion. Le chorégraphe privilégie la figure de l’artiste blessé (Arnaud Mahouy), l’âme de l’artiste (Miyuki Kanei) et le corps de l’artiste (Daniel Vizcayo). Ils se croisent, s’enlacent ou s’opposent dans une chorégraphie dynamique, pleine de tendresse. 
Le duo entre la Belle et la Bête, attraction de cette pièce, et d’une remarquable qualité, grâce au jeu d’acteur  et à la gestuelle, fait naître l’émotion à chacune de leurs rencontres. Mickaël Conte, en animal sensuel, se cambre, rampe, se frotte, pousse de sa têt et enlace la Belle avec ses jambes ; chaque mouvement est sincère et naturel, des impulsions contraires traversent ce corps et le rendent beau et fragile.
 La Belle, dansée par la longiligne Claire Lonchampt, en communion avec son partenaire, est effrayée, distante, puis séduite et fascinée par la Bête. Les exceptionnels costumes de Jorge Gallardo contribuent à la magie de ce conte qui casse l’équilibre naturel des relations entre l’homme et l’animal. La riche parure de la Belle contraste avec la souplesse et la fluidité du tissu, et le body du danseur, orné de motifs rappelant la carapace d’un insecte, laisse apparentes ses jambes nues et musclées; sa tête, couverte d’une cagoule noire, renforce l’aspect étrange et attractif de cette Bête. Les  interprètes de ballet, absolument parfaits, provoquent l’enthousiasme du public.
  Le spectacle, qui va entamer une longue tournée, est promis à un bel avenir.

 Jean Couturier

 Le spectacle a été présenté, en avant-première à l’Opéra royal de Versailles, les 11, 12 et 13 décembre. Première française, à la 17ème Biennale de la danse de Lyon en septembre 2016.

     

L’artiste et son monde, une journée avec Alain Platel

L’artiste et son monde, une journée avec Alain Platel au Théâtre National de Chaillot

IMG_7118Alain Platel s’est entretenu, deux heures durant, d’abord avec Didier Deschamps, puis avec Laure Adler qui lui a posé des questions précises mais parfois réductrices. Ce fut l’occasion pour le public de découvrir les motivations et l’itinéraire de l’artiste flamand…
Lors de ses études de pédagogie et psychologie, les travaux de Fernand Deligny sur l’autisme le marquèrent, en particulier ceux sur sa manière de décoder ce handicap, de comprendre un mode d’expression physique différent, souvent poétique, propre aux autistes. Comme l’a montré un extrait de Le moindre geste, film réalisé par le  célèbre éducateur.

La deuxième source d’inspiration du metteur en scène fut Pina Baush: «On ne peut pas sous-estimer, dit-il, l’influence qu’elle a eue sur de nombreux artistes, c’est une claque ; cela a changé ma vie.» A  la projection de vidéos de répétitions de ses pièces, et de Café Muller, nous avons vu sa réelle émotion devant ces images. Pour lui, comme pour Pina Baush, chaque créateur a une identité, et son travail consiste à la donner à voir sur scène.
  Il n’a pas suivi de formation en danse ni en théâtre, mais a recherché, avec ses amis, un langage non verbal fondé sur l’improvisation. Peu à peu, sa troupe d’amateurs a vu des professionnels venir se joindre à elle. D’emblée leurs modes d’expression se sont mêlés, toujours accompagnés par la musique, omniprésente et primordiale dans son œuvre.
Des extraits vidéos de ses créations ont été présentés : on a aussi pu voir les réactions de certains spectateurs indignés à la création de Wolf (2003) dont l’un proteste  «C’est le zéro de la musique et de la danse ! » . Gérard Mortier avait passé commande de cette pièce pour l’Opéra Garnier : «Il m’a laissé libre avec ce bazar !»  dit Alain Platel… Dans un super-marché, se côtoient en effet  chanteurs lyriques,  danseurs, sourds profonds et quinze chiens, sur une musique de Mozart.
Wolf a marqué un tournant dans la carrière du metteur en scène qui va alors explorer les frontières entre «normalité» et «anormalité» des êtres et des corps. Une dernière vidéo, provenant du Museum Dr Guislain à Gand, nous montre les mouvements incontrôlables de patients souffrant de troubles neurologiques ou psychiques.

Les danseurs d’Alain Platel «y ont vu des gens hypersensibles qui laissent parler leur corps et non de malades.» Dès lors, le metteur en scène s’engage dans un travail plus intérieur avec eux: «Ce travail, je le fais seul dans le studio, un endroit où ils ont envie de se mettre en danger.»
Avec de multiples sources d’inspiration : l’image d’une femme sur une décharge pour Tauberbach ; un  livre de photos sur les fanfares pour En avant, marche!  où il a mis en scène  quatre acteurs, sept musiciens mais aussi  une fanfare, celle de chaque lieu de représentation (voir Le Théâtre du Blog).
La musique est toujours le moteur de ses créations et, en avril prochain, il commencera à répéter un projet autour de l’œuvre musicale de Gustav Malher, avec un décor réalisé par Berlinde DeBruckere, dont la première aura lieu en septembre 2016.

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot le 12 décembre. www.lesballetscdela.be/fr/

 

             

De l’influence des rayons gamma sur le comportements des marguerites

De l’influence des rayons gamma sur le comportements des marguerites de Paul Zindel,  mise en scène d’Isabelle Carré

 

marguerites-narcisses-L-5aEGC4Connue pour le beau film qu’en tira Paul Newman en 1972, la pièce s’inscrit dans la lignée des dramaturges américains des années soixante. A l’instar d’un Tennessee Williams ou d’un Edward Albee, Paul Zindel présente une famille désaxée, au bord de la déchéance sociale et morale. Mais le titre en anglais sonne encore plus science- fiction car il renvoie à une variété dites «man-in-the-moon Marigolds» qu’on pourrait traduire par «marguerites de l’homme sur la lune».
Béatrice, veuve, la quarantaine, élève seule,  ses deux filles qui  essayent de survivre face à cette mère alcoolique, monstre d’égoïsme qui, en s’autodétruisant, tente de les entraîner dans sa chute. Ruth, du haut de ses dix-sept ans, se rebelle et devient cruelle comme Béatrice. La petite Matilda, timide et peu loquace, participe, en douce, avec l’école, à un concours scientifique sur la croissance des marguerites. Exposées au cobalt, certaines graines meurent, mais d’autres subissent d’étranges et belles mutations.
Telles ces fleurs, les adolescentes, en butte à la nocivité d’une mère malheureuse et perverse, adaptent leurs comportements: l’une en imitant sa génitrice «Betty la folle», l’autre en poursuivant son rêve scientifique pour un avenir meilleur. Malgré Béatrice qui la tyrannise et la prive d’école, la gamine gagne le concours et, dans son discours de remise des prix, elle proclame sa foi en l’avenir: «Un jour viendra où l’humanité remerciera Dieu pour l’étrangeté et la beauté de l’énergie atomique.» Puis, quand sa mère, à la fin du spectacle, lui assène : «Je trouve ce monde horrible», elle répond fermement : «Non, maman !»
L’adaptation de Manèle Labidi-Labbé réduit la distribution aux trois rôles principaux, et la mise en scène d’Isabelle Carré, fondée sur un jeu tonique, évite ainsi le psychodrame pathétique. Elle campe une mère inique et vulgaire, sans trop se vautrer dans la folie. On entend bien les failles du personnage, alors que sa belle prestance induit, au-delà de sa déchirure, un certain optimisme. Alice Isaaz est une Ruth énergique et lumineuse, parfaite de perfidie. Armande Boulanger, qui jouait Matilda ce soir-là, est remarquable en fillette de treize ans, effacée mais ardente.
Décor et costumes colorés se réfèrent aux années soixante-dix et donnent une apparente gaité à ce drame sordide. La musique, elle, ne sonne pas toujours raccord, et c’est dommage. L’éclat des trois comédiennes, leur interprétation, nous entraînent dans un univers moins malsain qu’étrange et nous offrent un joli bouquet de talents.

 Mireille Davidovici

 Théâtre de l’Atelier jusqu’au 23 janvier T: 01 46 06 49 24

J’avais un beau ballon rouge

 J’avais un beau ballon rouge d’Angela Dematté, mise en scène de Michel Didym   
image En Italie, les années soixante-dix ont été marquées par des actions politiques violentes. C’est l’itinéraire d’une révolutionnaire, membre fondatrice des Brigades rouges qui a intéressé Angela Dematté, native de Trente,  comme son héroïne Margherita Cagol.   Elle a imaginé un dialogue entre la jeune femme et son père, dans sa maison à l’automne 1965.
Mara veut refaire le monde, et lui, veut la protéger.  Ils vont s’affronter sur le terrain idéologique mais en toute tendresse. Si l’épisode des Brigades rouges rappelle le nouveau terrorisme qui fleurit aujourd’hui sur fond de révolte, J’avais un beau ballon rouge n’opère cependant aucun amalgame de ce genre mais l’actualité nous incite à de tels rapprochements.
Michel Didym orchestre habilement ce duo joué avec cœur par Richard Bohringer et sa fille Romane: «C’est, dit-il, le dialogue entre eux, leur opposition, et le drame humain qui sont intéressants, comment naît le sentiment de révolte, comment la jeunesse aspire à la liberté et veut s’émanciper ?»
  Cette étudiante en sociologie se radicalise en effet progressivement, devant l’inégalité de la société italienne. À son credo marxiste-léniniste, répond le bon sens  de son père, humaniste et chrétien : « Écoute voir, Margherita. Vous pensez vraiment que c’t’histoire de révolution, ça peut y durer toute la vie ? C’est vrai que je suis pt’être un peu ignare, que j’y pipe rien… mais j’vais te dire une chose : on change, tu sais, Margherita. Et on s’esquinte aussi. Et petit à petit, tu te rendras compte que toi aussi, t’auras envie de ta p’tite maison et de tes vacances à la mer, et d’être avec les tiens ».   « Comment, lui répond Margherita, c’est possible de rester là, à regarder ce qui se passe les bras croisés ! Toutes les usines en grève, les gens qu’ont même pas un toit, pas une lire pour s’acheter à croûter . Les ouvriers qui triment dix heures par jour à se cramer les poumons, quand c’est pas pire… »
Dans une langue populaire, traduite un peu à l’emporte-pièce par Caroline Michel et Julie Quenehen, se noue un conflit générationnel mais aussi une belle histoire d’amour filiale: entre les mots, dans les silences et les non-dits, fusent leur attachement inconditionnel l’un à l’autre, dans la tempête de ces années folles…Jusqu’à la mort: Margherita sera abattue par la police en 1975, et son père, atteint d’un cancer, la suivra de près dans la tombe.
Le décor, simple et réaliste, s’anime avec une mobilité croissante et les éclairages ouvrent un champ onirique, au-delà des cloisons ; des projections de films d’actualité apportent aussi la profondeur nécessaire.
La musique intervient fort à propos dans les interstices du dialogue.
Il y a ainsi dans le spectacle un équilibre constant entre l’univers intime des protagonistes et une reconstitution de l’Histoire dont les dates s’inscrivent en fond de scène, d’octobre 1965 à juin 1975, et ponctuent la folle épopée de Margherita Cagol comme son évolution personnelle, sous le regard sévère mais conciliant de son père.
 L’étonnant couple des Bohringer, père et fille, sait émouvoir le public, et une ovation debout les accueille aux saluts.  
Mireille Davidovici
Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin 75018, Paris. T.: 01 46 06 49 24 Jusqu’au 3 janvier.
La pièce est publiée aux Solitaires Intempestifs.

 

 

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Très nombreux, chacun seul.

TresNombreux

Très nombreux, chacun seul, textes de Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Christophe Dejours, Sonya Faure, Simone Weil, Bertolt Brecht, par le collectif de réalisation Jean-Pierre Bodin, Alexandre Brisson, Jean-Louis Hourdin, et Roland Auzet.

  Nous vous avions déjà parlé de ce spectacle (voir Le Théâtre du Blog), créé en 2012 au Théâtre des Halles d’ Avignon, et repris au Théâtre de la Tempête.  Il dénonce les conditions de travail dans une entreprise qui bat de l’aile, et où Philippe Widdershoven, un de ses cadres mais aussi responsable C.G.T., donc moralement coincé n’avait pu supporter les menaces que le directeurs faisaient peser sur lui,  et s’était suicidé en 2009… en laissant une lettre avec des accusations claires et précises.
L’affaire avait fait grand bruit: le Sénat avait même observé une minute de silence, et ce suicide avait été reconnu par l’entreprise Deshoulières comme accident du travail, ce qui est exceptionnel! Jean-Pierre Bodin montre aussi à la fin comment cette mort avait démoli la confiance des ouvriers dans leur travail personnel et dans leur entreprise.
Très nombreux chacun seul a été resserré et s’est bonifié au cours du temps. C’est poignant de vérité! Notamment quand Christophe Desjours, psychiatre, professeur titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers, (filmé mais très présent) montre que l’entreprise avait pris l’aspect d’un petit Etat totalitaire où chacun est surveillé par l’autre et, par peur de perdre son emploi, en vient à de actes inqualifiables de violence, avec l’accord total de ses dirigeants qui créent même des postes pour aider psychologiquement leurs employés
Et cette piqûre de rappel n’a rien perdu de son actualité, même si François Hollande a, entre temps, succédé à Nicolas Sarkozy, et est donc loin d’être inutile.Il fait doux comme à la fin de  l’été, à Paris et à la Cartoucherie: vous n’avez donc aucune raison de rater ce formidable moment de textes et d’images entrelacés, d’une rare intelligence scénique.
Un petit regret: on aurait bien aimé connaître la suite de cette triste histoire où tout, semble-t-il, n’est pas encore réglé; L’épouse et la fille de Philippe Widdershoven n’ont jamais cessé leur combat, et Gérard Zink et Cyrille Roze, les deux anciens dirigeants de Deshoulières ont été poursuivis pour homicide involontaire en septembre dernier, au  tribunal correctionnel de Poitiers. Mais le procès a été renvoyé à une date ultérieure…

 Philippe du Vignal

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 6 janvier.

Don Juan revient de la guerre

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Don Juan revient de la guerre, d’Ödon von Horvath, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

 

Epuisé, désabusé, ce Don Juan a survécu à la première guerre mondiale et à la grippe espagnole. Survivre : comme si la guerre avait tué tout désir, comme si le vide des revenants trouvait un gigantesque écho avec l’inflation qui vide l’Allemagne de toute sa substance à ce moment-là.
Mais Don Juan reste Don Juan : les femmes se jettent à son cou, à ses pieds, qu’il le veuille ou non. Parti à la recherche de la belle et pure fiancée qu’il avait abandonnée avant la guerre, il cueille au passage ce qu’on veut bien lui offrir, puis le laisse tomber comme une pomme à moitié mangée. On dirait un Peer Gynt un peu terni poursuivant un fantasme : la jeune fille morte folle d’avoir été trahie et abandonnée. Au passage, Ödon von Horvath parcourt une société amère, en quête de subsistance et de plaisirs rapides.
  Les trente-cinq femmes de la pièce sont incarnées par des comédiennes virtuoses, Carolina Pecheny et Jessica Vedel qui, à vue, passent de l’une à l’autre, en deux costumes et trois traits. Dessin fort et incisif : elles plongent droit dans l’émotion de leur personnage, dans la force de l’instant.
Technique de jeu chez elles, mais  aussi modernité de l’auteur: un façon pressée, anxieuse de saisir la vie, en courtes scènes expressives. Toutes ces volontés en marche, tous ces destins obscurs, toutes ces pertes hantent un plateau réduit à un minimum d’accessoires, à trois rideaux de théâtre et de cabaret, et à un panneau annonçant lieux et scènes.
 Là, au milieu, Don Juan (Nils Ölhund) trouve sa place un peu de côté, de guingois, dans un perpétuel inconfort. La mise en scène de Guy-Pierre Couleau, qui signe aussi la scénographie, est impeccable : efficace sans être démonstrative, rythmée par nécessité, dans une rigoureuse économie de moyens et d’effets. Une belle rencontre sans fioritures avec Ödon von  Horvath, comme il avait autrefois rencontré Synge.

Christine Friedel

Théâtre de l’Atalante, Place Charles Dullin, Paris. T : 01 46 06 11 90,  jusqu’au 23 décembre.

 

 

Les travaux de l’Ecole du T.N.S.

Trust
 d’après Trust de Falk Richter,  traduction d’Anne Montfort, mises en scène de Mathilde Delahaye, Maëlle Dequiedt, Aurélie Droesch, Kaspar Tainturier, avec les élèves des Groupes 42 et 43

20152016_TRUST©FERNANDEZJeanLouis_239   C’est un projet important et novateur qui rassemble les élèves de deuxième et de troisième années des 42 et 43èmes promotions de l’École du Théâtre National de Strasbourg : son directeur, Stanislas Nordey a demandé à ces groupes de jeunes comédiens, dirigés par quatre de leurs camarades élèves-metteurs en scène de travailler sur, ou plus exactement à partir du même texte Trust.
Libre à eux cependant de faire ce qu’ils souhaitent, bref, la liberté dans la contrainte  par rapport à ce texte de Falk Richter, auteur allemand (46 ans) associé au T.N.S., dont l’un des thèmes  de son œuvre est la difficulté existentielle des citoyens d’un pays, quand ils doivent se battre dans un contexte économique proche de l’explosion, où les notions de couple, d’amitié, de famille, de valeurs financières, volent alors en éclat.

  Écho récent de cette situation: le Théâtre de la Schaubühne de Berlin où se joue sa pièce Fear (Peur), a été assignée en justice par le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland qui demande que la photo de la vice-présidente de ce parti Beatrice von Storch, petite-fille du ministre des finances d’Hitler, soit retirée du spectacle!  Karl Richter n’a donc pu être présent à Strasbourg, puisqu’il était convoqué en même temps au tribunal…
Stanislas Nordey, fine mouche, a imposé aux quatre metteurs en scène: 1) le même nombre (dix) d’élèves-acteurs, scénographes, costumiers et régisseurs de seconde et troisième année de 21 à 27 ans, 2) leur lieu de travail et de représentation : au T.N.S. lui-même, dans la salle de répétition Hubert Gignoux, et la salle de peinture ; et à quelques rues de là, dans l’Espace Klaus Michael Grüber, le Grand hall et le studio.
Mais toujours avec, et c’est irremplaçable, l’aide des équipes d’un grand théâtre national (régie, réalisation des décors et costumes,  relations publiques, etc.)
Bien vu ! Et Stanislas Nordey est là, aux côtés de la directrice des études Dominique Lecoyer, discret mais attentif à ce que tout se passe bien, alors qu’Ariel Goldenberg, ex-directeur du Théâtre National de Chaillot, ne voulait même pas, lui, rencontrer les élèves de son Ecole…
Les élèves, une fois quittée ce formidable cocon, ne travailleront pas toujours avec les comédiens ni sur le plateau de leur préférence. Dernière contrainte, celle-là plus inhabituelle dans le milieu théâtral: leur travail sur six semaines  devant être visible par le public. 

 Nous n’avons pu voir, question d’incompatibilité d’horaire, que trois de ces travaux mais le résultat est assez étonnant. Cela parle beaucoup dans ce texte prémonitoire de Falk Richter, dont les personnages qu’il a imaginés  il y a quelque dix ans, habitent des grandes villes, sont souvent en situation de mal-être, et obsédés par leur corps et par l’image de ce corps, image filmée à tout va, dans n’importe quelle circonstance, et reproduite ici sur grand écran… Comme dans une sorte d’échappatoire sans issue.
 trust aurelie Sacha Waltz-Dialogue 99I Aurélie Droesch et sa scénographe Emma Depoid ont imaginé dans la petite salle carrée Hubert Gignoux un lieu qui participe d’un boîte fermée, absolument noire, dont chacun des murs comporte un échafaudage métallique où vont jouer les cinq acteurs. Les vingt-quatre spectateurs, pas un de plus,  sont eux, assis sur des fauteuils métalliques pivotant à 360° et doivent eux aussi travailler s’ils veulent saisir chacun des monologues des acteurs qui parfois se superposent.
Un travail-expérimental-bien pensé, bien réalisé, avec une mise en abyme du corps,  parfois dénudé. Il n’y a pratiquement aucune relation entre chacun des acteurs, et tout juste un vague petit échange avec le public qui n’est jamais, vu ces diaboliques sièges tournants, tout à fait dans leur axe de vision. Bref, c’est glaçant et Aurélie Droesch a réussi son coup en créant un malaise évident. On pense au fameux : « Celui qui entre ici perd tout espoir» de La divine Comédie…  C’est un travail d’élèves sans doute mais intelligent et de grande qualité.
Maëlle Dequiesdt, elle, a investi avec Heidi Folliet, sa scénographe, dans l’espace Klaus Michael Grüber, une ancienne usine de matériel militaire, un plateau de quelque trente mètres de long sur quinze environ, avec  un Karakoé panoramique d’une heure quarante. Impressionnant et magnifique cadeau pour une élève metteuse en scène!Le public est installé sur des gradins, là aussi voit les scènes successivement, ou en même temps. Jeu, images, sons, musique, chant, danse, s’entrechoquent: aucun doute, on est bien ici dans l’univers de Falk Richter
Le spectacle est construit en référence à l’art contemporain : un acteur transporte et feuillette des centaines d’exemplaires de quotidiens dont il extrait des articles reproduits en grossissements vidéo, des phrases projetées très art conceptuel, des châssis/écrans très op-art glissent très souvent, il y a des petits troncs d’arbre et deux garçons nus couverts de boue, il y a aussi des entraînements de boxe, une jeune fille tire à la carabine comme Niki de Saint-Phalle, bref, cela va souvent du côté du happening, voire de la performance, il y a un aquarium sur roulettes, et les acteurs disent au micro différents textes de Falk Richter dans une sorte de tricotage maîtrisé mais cette proposition scénique, un peu longuette, malgré sa précision et sa rigueur,  a quelque chose d’un peu démonstratif, où scénographie, lumières et  costumes très soignés ont la part plus belle que le texte. Mais  les jeunes comédiens maîtrisent bien l’espace qui leur a été imposé, ce qui est déjà  remarquable le soir d’une première.
L’installation performance de Kaspar Tainturier  et de la scénographe Salma Bordes dans le studio Klaus Michael Grüber existe en deux versions Paysages en train de s’effondrer, visible trois heures du mardi au jeudi ou six heures les samedi et dimanche, et une heure le vendredi soir, On va plutôt augmenter le volume de la radio: c’est la version que nous avons pu voir
Sur la scène frontale de cette forme des installations de cartons empilés, et dans la salle nu aucun siège,  sinon quelques gradins de carton sur le côté pour les plus chanceux. Cela a des allures de boîte de nuit avec fumigènes et ronflements de basse (assez insupportables), ce qui est une manie très actuelle et qui  va produire des générations de sourds ! «  Une installation dynamique, dit Kaspar Tainturier, habitée et mise en mouvement par les acteurs, qui interroge l’écriture de Falk Richter comme un matériau pour dire le monde d’aujourd’hui. Le spectateur est invité à traverser cette installation en toute autonomie et à construire une relation personnelle, intime au théâtre en train de se faire ».
Et cela fonctionne? Pas toujours : chacun des six acteurs est face public en général immobile, (c’est  la marque de fabrique du théâtre de Stanislas Nordey !) mais, en en tout cas, la mise en scène, avec la mise en valeur des corps, et les dissonances en tout genre à la fois spatiales avec ces assemblages mouvants de cartons mais aussi sonores et musicales, correspond bien à cet éclatement du langage, traduction d’une certain malaise social de plus en plus évident en Allemagne et en France, dont  s’est fait le chantre le dramaturge allemand.

 20152016_TRUST©FERNANDEZJeanLouis_187 Avec ce Projet Trust, l’Ecole du T.N. S. est en prise directe, avec un travail exemplaire d’un groupe soudé et sans hiérarchie, sur la dramaturgie contemporaine, et actuellement, c’est un atout précieux pour un pays dans la délivrance d’un enseignement bien compris d’art dramatique.

Philippe du Vignal

Théâtre National de Strasbourg jusqu’au 19 décembre. La version française du texte a été publiée en 2009, par L’Arche éditeur.

 

 

Sales Gosses

 Sales Gosses de Mihaela Michailov, traduit du roumain par Alexandra Lazarescou, mise en scène de Michel Didym 

SalesGosses©EricDidym4 La pièce est inspirée d’un fait divers : une jeune élève a été ligotée dans sa classe par la maîtresse d’école…  Alexandra Lazarescou, sa traductrice, était venue en 2013, en parler à La Mousson d’été, festival international d’écritures contemporaines fondé par Michel Didym qui a aussitôt été séduit par cette écriture singulière : «Une seule voix traite tous les personnages, et cela apporte de la créativité». Il retint aussi le traitement direct d’un sujet politique, social, et violent d’une pièce  pour « jeune public » qui, pour Mihaela Michailov, n’est pas en Roumanie, le théâtre du seul public jeune…
   Elle a écrit Sales Gosses comme un  texte-manifeste contre le système éducatif qui ne cesse de prôner aux enfants comme aux adolescents, la nécessité d’être le meilleur en tout, quitte à écraser son voisin ! En Roumanie et ailleurs…  Dans la pièce, le narrateur dit: « Qu’as-tu appris à l’école hier ? Et aujourd’hui ? Et demain ?
 Es-tu compétitif ?
 Es-tu productif ?
 Sais-tu obéir?
 Sais-tu reproduire ?
 Sais-tu te taire?
 Sais-tu penser? 
As-tu le droit de dire non ? »
  C’est quoi un « sale gosse » dans nos sociétés libérales et de consommation extrême? En effet,  rentable, conforme (à quoi? Cela reste souvent trouble) et productif sont les seuls mots d’ordre pour devenir un homme ou une femme  responsable, citoyen(ne) digne de la démocratie,  évoquée  ici avec humour et ironie.
  Nous sommes confrontés au réel, vécu par certains ou présent dans tous les médias européens; les exemples d’enfants maltraités à l’école, par leurs enseignants ou par leurs camarades, parce que différents ou doux rêveurs, ne manquent pas!
Créée pour la première fois en France, Sales Gosses s’apparente au théâtre documentaire, avec beaucoup de poésie, mais sans féerie dans le texte ni dans la mise en scène, inventive et sobre. Plein de surprises, l’unique décor à transformations de Daniel Mestanza et Philippe Poirot, nous fait passer d’une situation à une autre.
 Alexandra Castellon joue tous les rôles avec aisance. Jérôme Boivin et Philippe Thibault ont créé une musique électronique qui  prend une place importante, en prolongeant l’écriture de la fable, en se logeant entre les mots et en lui donnant une tension dramatique encore plus riche. Elle résonne comme si elle était une double parole/voix des différents intervenants. « La voix de la comédienne me donne aussi des idées,  dit le compositeur, la musique n’est pas écrite dans le texte; à moi, de la rêver, de l’inventer, avec le metteur en scène ».
Cette dimension se fait l’écho de situations que les personnages expriment ou ressentent, ou qui se transmettent entre la petite fille, ses camarades, l’enseignante, la mère, tel un nuage de plus en plus noir, au-dessus du chemin de l’école de cette élève drôle, imaginative  mais étrange aux yeux des autres : « Je fais mes devoirs. Je n’entends plus rien. Je lis. Je copie. Je ne pense plus à rien. Si c’était possible, j’aimerais jouer toute la journée avec des girafes en élastiques, avec des fleurs en élastiques, des petites étoiles en élastiques et aussi avoir Ricky en élastiques, des villes en élastiques et moi aussi en élastiques pour m’envoyer là où je n’ai pas envie d’aller. À l’école, par exemple. Et j’aimerais que mon école aussi soit en élastiques pour qu’elle se rompe facilement ».

  On voit rarement dans un spectacle autant de justesse dramatique et de qualité esthétique. Le texte, politique, dénonce la violence souvent souterraine qui s’infiltre dans les pratiques éducatives, et dans le rapport à l’autre entre élèves et adultes. Seules en effet la force, et bien souvent la moquerie, ont les pleins pouvoirs dans cette micro-société qu’est une école… pourtant censée former notre sens civique et critique pour affronter avec lucidité et respect, la vie d’adulte.
Un spectacle coup-de-poing, tour à tour drôle et tragique pour enfants (dix ans), adolescents et… très grands enfants ! 

 Elisabeth Naud

Théâtre de la Manufacture/C.D.N. de Nancy-Lorraine, jusqu’au 18 décembre, puis en tournée en France et à l’étranger. T: 03 83 37 12 99

 

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