Bettencourt Boulevard ou une histoire de France de Michel Vinaver, mise en scène de Christian Schiaretti
Reprenons les choses avec la dernière phrase de la phrase dans l’article (ci-dessous) d’Elyane Gérôme: » Qu’est-ce que le théâtre vient faire dans cette histoire? » Clin d’œil malicieux de Michel Vinaver à cette saga politico-judiciaire sur fond de millions d’euros (visiblement personne n’est dupe) introduits dans les campagnes électorales, comme s’il s’agissait d’une petite dépense au super-marché, dont les médias se sont emparés et que le public connaît maintenant dans les moindres détails… sans que personne n’ait bien compris le jugement final.
Disons le tout de suite: ce spectacle décevant (nous sommes loin de l’enthousiasme de notre consœur et amie) consiste en une suite de petites scènes, ou plutôt de morceaux aux dialogues truculents, tient plus d’une revue de chansonniers d’autrefois, où on voit, bien vivants devant nous, les protagonistes de cette sombre affaire de gros sous, où le seul fil conducteur est une sorte de chroniqueur-récitant.
Pourquoi pas, puisque, dit Christian Schiaretti: « Le théâtre de Michel Vivaver ne raconte pas. Bettencourt Boulevard ne propose pas un développement chronologique mais joue avec le temps ». Soit mais, de là à penser que la pièce pourrait évoquer notre difficulté, nous Français, à affronter notre Histoire… Pourtant, cela commence plutôt bien avec un remarquable faux dialogue entre les deux ancêtres: le rabbin Meyers, beau-père de Françoise, la fille de Liliane Bettencourt, et Eugène Schueller, le fameux inventeur, avec sa société L’Oréal, dès 1907, de teintures chimiques pour cheveux, véritable révolution à l’époque, et qui inventa les shampoings unidose-berlingots Dop aux couleurs acidulées de notre enfance et racheta Monsavon pour lequel le grand Savignac réalisa une affiche devenue culte. Oui, mais voilà…Eugène Schueller aida financièrement un groupe d’extrême droite, la Cagoule… avant d’être blanchi dans des circonstances assez troubles, avec l’aide d’un certain François Mitterrand, alors rédacteur en chef du magazine de son entreprise…
Toute la première partie se laisse voir et on retrouve les protagonistes très présents et physiquement crédibles de cette bande dessinée, tous encore bien vivants: d’abord, la richissime Liliane Bettencourt, excellemment interprétée avec beaucoup de nuances par Francine Bergé, Claire Thibout la comptable (Elisabeth Maccoco), Christine Gagnieux (Françoise Bettencourt-Meyers), Clément Morinière (Eric Woerth), et Jérôme Deschamps, très juste, étonnant de vérité en Patrice de Maistre, le gestionnaire de la fortune si convoitée de Liliane Bettencourt, .
Il y a aussi, plus vrai que nature, Gaston Richard qui joue un Nicolas Sarkozy, nerveux et pleins de tics… Mais dommage, Didier Flamand, dont au début on ne comprend pas la moitié du texte, n’a rien de bien convaincant en François-Marie Banier, alors que le personnage, difficile à cerner mais sans doute avide de richesse, a toujours été le pivot de cet imbroglio juridique.
La première heure du spectacle s’écoule sans à-coups, avec souvent même un certain bonheur dans la caricature mais après les choses se gâtent; les scènes ont tendance à se répéter et tout ce qui fait allusion au passé, comme les amours d’André Bettencourt de de Liliane, ont quelque chose d’assez pesant…
Ne pas rater les enchaînements, observer une bonne rythmique, cela Christian Schiaretti sait faire mais tout se passe dans une scénographie prétentieuse avec une trentaine de de fauteuils et banquettes blanches parfaitement alignés, et suspendus, des châssis aux couleurs primaires, bien connues de Pietr Mondrian que, de temps en temps, on descend des cintres pour les faire glisser sur le plateau.
Sur le plan plastique, rien à dire, le résultat a quelque chose de séduisant. Mais le dispositif manque cruellement d’efficacité dans la mesure où il bloque l’espace et impose aux comédiens un jeu assez statique. Etre scénographe, cela ne s’improvise pas, et il y faut une sacrée maîtrise de l’espace et du temps, ce qui semble avoir échappé ici au metteur en scène.
Bref, un spectacle, loin d’être médiocre, servi par quelques bons acteurs mais assez bcbg: on attendait quelque chose de plus incisif, de plus virulent, au lieu de cette sympathique proposition scénique dont on voit très vite les limites. Entre comédie de boulevard et sketches des Guignols…
Sans doute faut-y aller sur des œufs sur le plan juridique mais cette affaire des plus récentes a été jugée, et il n’y a là rien ici, que la presse n’ait dévoilé depuis longtemps. Quant à « la force originelle du texte », dont parle Christian Schiaretti avec gourmandise, désolé, mais ne l’avons pas vue…
Philippe du Vignal
Théâtre de La Colline-Théâtre national à Paris , du 20 janvier au 14 février. T: 01 44 62 52 52. Comédie de Reims du 8 au 11 mars.
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À quatre-vingt sept ans, Michel Vinaver continue de scruter l’actualité pour y puiser les thèmes qui nourriront son œuvre. Lui qui fut un des directeurs de la firme Gillette entre 1953 et 1980, a suivi avec grand intérêt les péripéties de l’affaire Bettencourt, où se sont croisés grands industriels, financiers, politiques, jusqu’à un président de la République.
Il parvient ainsi à brosser le portrait d’une certaine France au XXème, au début du XXlème siècle, et écrit aussi une véritable pièce de boulevard-pour laquelle Michel Vinaver vient de reçevoir le Grand Prix de littérature dramatique 2015-autour de Liliane Bettencourt, héritière de la très importante société L’Oréal.
Cette « vieille dame indigne » entretient une relation tendre avec le photographe François-Marie Bannier, à la réputation sulfureuse et aux dépenses démesurées. L’auteur opère à sa manière, en fragmentant sa pièce en trente «morceaux». Cette structure souple lui permet de lier la « petite histoire », c’est-à-dire les tribulations de Liliane, milliardaire à la générosité débordante et mal maîtrisée, à l’Histoire de France. Il évoque aussi le fondateur de la marque, Eugène Schueller, père de Liliane, chimiste bien inspiré et par ailleurs… trésorier de la Cagoule, groupe fasciste d’avant-guerre, mais aussi le rabbin Meyers, beau-père de Françoise Meyers née Bettencourt, assassiné à Auschwitz avec une partie de sa famille.
Puis, André Bettencourt, le mari, qui, après avoir navigué entre Collaboration et Résistance, fut ministre puis sénateur. Et, pour clore ce morceau d’histoire contemporaine, on voit passer Nicolas Sarkozy et son ministre du Budget, Éric Woerth…
La collusion entre politique et finances est savoureusement mise en évidence avec le personnage de Patrice Demaistre, gestionnaire de la fortune familiale, joué ici par Jérôme Deschamps avec un comique irrésistible. C’est encore l’argent, nerf de l’affaire, qui régit les relations entre les personnes de l’entourage de Liliane Bettencourt. Francine Bergé incarne cette femme qui sera séduite par François-Marie Banier, (au point de vouloir l’adopter!).
Elle puise dans cette relation, un regain de vigueur, sinon de jeunesse. L’actrice donne à son personnage élégance et désinvolture, et rend cette vieille dame émouvante, quand elle est entourée mais aussi surveillée par ses employés et domestiques, et que des pertes de mémoire la déconnectent de la réalité. Agissent-ils par sympathie, jalousie, ou sens moral ? Ils enregistrent et dénoncent la situation, comme le majordome (excellent Stéphane Bernard) ou la comptable, hésitante, à qui Elisabeth Macocco apporte beaucoup d’humanité.
L’affaire se résout à partir du moment où Françoise Meyers, qui se sent mal aimée, lâche contre sa mère une meute de neuropsychiatres qui la déclarent irresponsable, ce qui lui permettra de récupérer quelques millions…. Christian Schiaretti a adopté une mise simple et efficace pour gérer dix-sept personnages, et s’appuie sur un beau dispositif scénique : un plateau nu, occupé par des fauteuils blancs où s’installent les acteurs, tels les pièces d’un jeu d’échecs. Des châssis coulissants, jaunes, bleus, rouges, permettent d’isoler les scènes, tout en constituant des tableaux façon Pietr Mondrian, qui rappellent les affiches publicitaires de l’Oréal.
Le public, visiblement conquis, réagit à l’humour et à l’ironie de la pièce, et rit beaucoup, notamment à la dernière réplique : «Qu’est-ce que le théâtre vient faire dans cette histoire ?»
Elyane Gérôme
Théâtre National Populaire, 8 place Lazare Goujon, 69627 Villeurbanne, jusqu’au 19 décembre. www.tnp-villeurbanne.com. Le texte de la pièce est publié chez L’Arche. Prix: 13 €