Kings of war
Kings of war, d’après Henri V, Henri VI et Richard III de William Shakespare, adaptation de Bart van Eynde, traduction de Rob Klinkerberg, adaptation et dramaturgie de Peter van Krasij, mise en scène d’Ivo van Hove
Comme indiqué au générique, on trouve ici plusieurs des pièces dites « historiques » du grand William, très adaptées : Henri V et Henri VI, puis dans la seconde partie du spectacle, Richard III dont ce sera au moins la quatrième version-mise en scène que l’on a pu récemment voir en France: Thomas Jolly, Thomas Ostermeier, Jean Lambert-wild… ( voir Le Théâtre du Blog).
Ces trois rois qui ont gouverné l’Angleterre, avec de puissantes armées mais dans un période de grande instabilité politique ont à juste titre fasciné Ivo van Hove. Henri V de la maison de Lancaster (XIV ème siècle), sans doute le plus brillant des trois, a réussi en peu d’années à mener une politique d’expansion économique avec l’aide d’un gouvernement solide et d’un Parlement.
Il mènera une guerre impitoyable contre les Français (la fameuse bataille d’Azincourt) puis se marie avec Catherine de Valois, fille du roi de France, Charles VI. Après sa mort brutale de dysenterie à 35 ans, c’est leur fils Henri VI qui, à neuf mois, lui succède. Sacré roi d’Angleterre puis roi de France à Notre-Dame de Paris à dix ans en 1431. Très chrétien, ce Lancastre n’a ni la dimension ni l’intelligence politique de son père. Sans grande ambition, victime des intrigues de cour et surtout de la maison d’York qui veut reconquérir le pouvoir, et surveillé par son épouse Marguerite, il a le plus grand mal à gouverner le pays.
Henri VI se fera écarter du trône par Édouard d’York, couronné sous le nom d’Edouard IV, sombre dans la folie puis redeviendra roi un court moment mais c’est Warwick qui gouvernera à sa place. Avant d’être assassiné par Richard III, comme il dit « mal façonné » et « déformé, inachevé », avide de revanche et d’une extrême violence :«J’ai bien l’intention de prouver que je suis un méchant et que je hais les plaisirs frivoles des jours actuels . »
Il fait tuer son frère Clarence puis séduit la princesse Anne », veuve de Warwick, Édouard IV. « Qu’importe si j’ai tué son mari et son père ? » Il fait ensuite tuer Hastings puis ses neveux. Anne meurt et il veut épouser sa nièce Elisabeth mais se fera tuer à la bataille de Bosworth par un Lancastre, qui lui succède sur le trône dans une Angleterre enfin apaisée.
Ces pièces, que William Shakespeare écrivit deux siècles après les événements historiques, sont devenues une source inépuisable de films comme Henri V de et avec Laurence Olivier (1944), Falstaff (1966) de et avec Orson Welles, ou encore, en 1989, celui de Kenneth Brannagh. Henri VI aura aussi une belle carrière théâtrale après sa création au Théâtre du Globe en 1592. Reprise trois siècles plus tard seulement à l’Old Vic Theatre en 1953, puis en 1963 par la Royal Shakespeare Company. En France par Jean-Louis Barrault en 1966, et par Patrice Chéreau qui monta Henri VI et Richard III en 1998 ; puis Terry Hands, puis la BBC montèrent Henri VI et Richard III. Et récemment Thomas Jolly s’empara de la pièce en intégralité depuis 2010, et de Richard III.
On comprend qu’Ivo van Hove ait voulu se mesurer à cette œuvre aussi touffue, forcément inégale mais au texte souvent passionnant. Jan Cerswyeld a conçu un décor assez chargé, en s’inspirant du quartier général de Winston Churchill pendant la seconde guerre mondiale. Soit une grande pièce avec nombreux écrans radar, nombreux tapis, table basse avec trois canapés dépareillés, coin cuisine. Une autre petite table avec téléphones de couleur différente où le roi décide des combats à mener sur les plan de politique intérieure et militaire. Et tapis rouges que l’on déroule pour le roi.
De grandes cartes murales du Nord et de la France, une table de travail et côté cour, une sorte de loge où quatre trombones à coulisse vont jouer et un haute-contre entonnera parfois -et magnifiquement- des chants inspirés de ceux de la Renaissance.
Sur les côtés et dans le fond, on devine de longs couloirs d’hôpital d’un blanc immaculé; en fond de scène, armoire vitrée médicale où est disposée la couronne royale que l’on verra souvent sur grand écran. La scénographie de Jan Versweyveld ressemble à celle d’Antigone qu’on avait pu voir au Théâtre de la Ville (voir Le Théâtre du Blog). Ivo van Hove a sans doute voulu rendre actuel le contexte historique de cette guerre des Deux-Roses où s’affrontèrent les maisons de Lancastre et d’York. Dans la seconde partie, pour Richard III, on évacue tout: plus aucun meuble, le roi est sur ce plateau nu, seul face à lui-même …
Pari réussi ? Le spectacle possède des qualités indéniables pour ce qui concerne la vision plastique et picturale, pour la direction d’acteurs et le jeu rigoureux de tous les comédiens sans exception, et pour la parfaite réalisation technique sur le plan visuel et sonore. Et, de façon très habile, un texte écrit explique discrètement en quelques phrases, des moments de cette longue guerre et la généalogie complexe des rois. Bien utile, pour un public qui n’est pas de la paroisse…
Ivo van Hove dispose sans doute de gros moyens et son spectacle a une rigueur exceptionnelle, mais ce qui laisse perplexe: d’abord ce déluge d’informations visuelles et sonores, avec un texte forcément sur-titré, musique en direct, et électronique sur bande-son d’Eric Sleichim, souvent assez stéréotypée (toujours ces mêmes basses pour dire le chaos politique, la violence des sentiments et de la guerre !), images très souvent retransmises sur le grand écran vidéo très lumineux au-dessus de la scène, des visages en très gros plan des comédiens avec leur verrue de micro HF/: obscène au sens étymologique du terme. Mais sur scène, on voit à peine quel personnage parle.
Autre stéréotype des dernières années qu’Ivo van Hove aurait pu nous épargner : une caméra suit les personnages sortis de scène dans les couloirs… Cette prédominance de l’image filmée, assez fatigante, déséquilibre le propos. Pourquoi alors n’avoir pas réalisé un film ? On est loin de la formidable sobriété et de la mise en scène exemplaire de son Vu du pont d’Arthur Miller, monté la saison dernière au Théâtre de l’Odéon.
Et le texte dans tout cela ? Une chose au moins positive : on le comprend très bien mais il a été passé à l’essoreuse… D’où une inévitable sécheresse et une frustration de ne pas toujours retrouver Shakespeare, surtout dans Richard III. Ce qui nuit à l’expression des personnages… Unne esthétique qui tient davantage de l’imagerie et de la B. D. Y-avait-t-il besoin de toute cette technologie pour faire théâtre et donner une interprétation sensible et juste de William Shakespeare? La réponse est non… Il y a une quinzaine d’années, il nous souvient que Yann-Joël Collin montait magnifiquement Henri IV avec quelques praticables…
Autres temps, autres mœurs ! Au cas où nous l’aurions oublié, les couloirs du métro regorgent de grands écrans et nous rappellent que nous sommes à l’heure du micro-cravate et de l’image électronique. Le théâtre contemporain doit-il s’y plier?
Nous n’avons pas été enthousiaste comme beaucoup, et, si ce spectacle témoigne d’une rare et grande maîtrise du plateau et offre de belles images, il reste décevant et n’a pas, sauf à de rares moments, la force qu’on en attendait. Le public, ce samedi, semblait partagé: certains partaient avant ou à l’entracte, d’autres à la fin applaudissaient debout…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué au Théâtre National de Chaillot Paris (XV ème) du 22 au 31 janvier.
Henry VI est publié dans Œuvres complètes III : Histoires I, aux éditions Gallimard/Pléiade, traduction de Line Cottegnies.
Richard III de Raoul Ruiz sera projeté au Centre national du Théâtre, rue Legendre, Paris (XVII ème), le 10 février à 19 h.