Les Femmes savantes mise en scène d’Elisabeth Chailloux
Les Femmes savantes de Molière, mise en scène d’Elisabeth Chailloux
«Ce soir, je serai la plus belle pour aller danser, danser, pour mieux évincer toutes celles que tu as aimées, aimées… », les paroles chantées par Sylvie Vartan vibrent dans l’air, à la fois mélancolique et tonique, d’un plateau/terrain de jeu imaginé par Yves Collet pour ces Femmes Savantes auxquelles Elisabeth Chailloux donne un coup de jeune, en la transposant dans les années 60.
Ces paroles diffusées à la radio sont portées par Henriette (Bénédicte Choisnel), jeune fille «honnête», selon les canons de Molière, «naturelle» encore, ou pleine de bon sens. Fille d’une famille bourgeoise dont Chrysale est le père velléitaire (François Lequesne) et Philaminte, la mère autoritaire encline plus que de raison aux sciences et à la philosophie.
Henriette, réédition ludique d’une Marylin Monroe en herbe, aime plaire, en jupe virevoltante, pull moulant et rouge à lèvres glamour, et se place du côté du bon sens paternel (My heart belongs to Daddy). À ses côtés, différente mais élégante aussi, sa sœur Armande (Pauline Huruguen), proche de sa mère pour ses exigences intellectuelles, revêt l’allure seyante mais plus froide et coincée d’une Simone de Beauvoir rajeunie.
Elle s’oppose à toute complaisance envers les hommes et nourrit des théories féministes hostiles au mariage mais n’en pince pas moins (en secret) pour le jeune Clitandre (Anthony Audoux) qui, las de soupirer depuis deux ans, s’est tourné vers sa sœur Henriette, un amour payé en retour…
L’éconduite chante un autre standard aux intonations mélo, Bang Bang (My baby shot me down), une chanson de Cher, paroles de Sonny Bono (1966). À travers les jeux décalés d’époque et d’ambiance, s’installe ici une distance saine et facétieuse par rapport au thème traité : non l’attrait féminin «inattendu» pour les sciences et la sagesse philosophique ou la question légitime du droit des femmes à l’instruction, mais le pédantisme, l’hypocrisie, le snobisme et l’imposture, qu’ils soient féminins ou masculins.
L’intrigue en est saturée: aux côtés de la mère, deux soi-disant poètes, Vadius (Philippe Cherdel) et Trissotin (Florent Guyot) qui aimerait faire main basse sur Henriette, ce à quoi Clitandre s’oppose, aidé par père et son frère Ariste (Etienne Coquerau), l’honnête homme raisonneur. Armande, elle, écartelée, et qui a perdu son amour, choisit le camp adverse des hypocrites.
Elisabeth Chailloux fait chanter en sourdine les notes amusées d’une comédie musicale, avec la fringante Philaminte (Camille Grandville) en personnage comique de boulevard, et Bélise (Catherine Morlot), belle-sœur nymphomane, joueuse et ridicule. Trissotin, figure trouble de gangster de film noir, rappellerait lui Fred Astaire pour ses extravagances chorégraphiques. Tout le monde s’amuse et personne n’est dupe, jusqu’à Martine (Lison Pennec), la servante, qui ne s’en laisse pas conter.
Au-delà du divertissement, la pièce donne à réfléchir : l’idéal de la femme sensible et réfléchie serait pour nous, non le personnage d’Henriette, femme-objet mais plutôt une étudiante d’aujourd’hui comme Armande, qui attend un épanouissement imminent et n’a pas encore fait l’épreuve d’une existence pleine.
Comme on le voit ici, Molière défend avec panache la condition féminine, quelle qu’elle soit.
Véronique Hotte
Théâtre d’Ivry-Antoine Vitez, jusqu’au 31 janvier. T : 01 43 90 11 11