Victor F

Victor F, d’après Frankenstein de Mary Shelley, texte et mise en scène de Laurent Gutmann

 

 victor_fTout le monde connaît, plus ou moins, le célèbre roman, publié en 1818: un scientifique de génie, pensant travailler pour le bien de l’humanité, parvient à créer, à partir de la matière inerte, un être hideux. Effrayé par son œuvre ratée, le savant s’enfuit, abandonnant sa créature.
 Individu sans nom, elle se vengera sur son géniteur  qui refusera de le reconnaître comme son fils… Enfant abandonné, rejeté de tous, il deviendra un monstre de haine… Le châtiment de Victor, tel celui de Prométhée, sera à la mesure de son ubris.
Au fil du temps, contrairement au texte original, le personnage principal de Frankenstein ou le Prométhée moderne est devenu un monstre spectaculaire, engendré par Victor, et non plus son géniteur. Il faut y voir l’influence des quelque cinquante films, des nombreux romans, bandes dessinées et pièces de théâtre inspirés par l’œuvre de Mary Shelley.

La jeune anglaise de dix-neuf ans (alors Mary Godwin) commença son célèbre roman lors d’un été pluvieux, en villégiature au bord du lac Léman, en compagnie de son amant le poète Percy Shelley (qu’elle épousa plus tard), de Lord Byron, et d’autres écrivains. La fine équipe s’ennuyait et, par jeu, chacun s’attela à la rédaction d’une histoire de fantômes à la mode d’outre-Manche.
Fidèle au roman, Laurent Gutmann accorde une grande place à la biographie de Victor Frankenstein. Le savant, assis face public, expose longuement son histoire et évoque, par le menu, son enfance heureuse au bord d’un lac suisse, et les deuils familiaux successifs qui l’ont marqué.

Dans la première partie du spectacle, son récit repousse notre horizon d’attente, et la plupart d’entre nous guette l’arrivée du monstre qui, ici, tarde à venir… D’où une impression d’ennui progressif, malgré quelques répliques échangées entre le protagoniste et son fidèle ami aveugle, Henri.
L’interprétation, très en retrait, d’Eric Petitjean, est loin d’embarquer l’auditoire dans les aventures de Victor F. Enfin la créature paraît, svelte, juvénile, avec une tête démesurée d’enfant souriant, loin du masque pathétique et repoussant de Boris Karloff dans le film de James Whale (1931). Et c’est la fuite de Victor et d’Henri, en Suisse, dans un décor paradisiaque de lacs et de montagnes. Un grand chromo déployé en fond de scène contraste avec le sinistre rideau verdâtre qui masquait l’arrière du plateau durant la première partie.
Dans cette nature paisible, s’élabore un semblant de danse nuptiale entre Victor et sa fiancée Elisabeth, tandis que la créature hydrocéphale (Luc Schiltz  et sa voix angélique sous le masque d’Alexis Kinebanyan) joue à cache-cache avec son géniteur.
Lors de cette parade amoureuse, le talent parodique de Cassandre Vittu de Kerraoul nous enchante, et le spectacle prend enfin une allure de croisière, tenue jusqu’à la dernière scène : le procès de Victor. Un procès d’ordre philosophique et toujours actuel en notre siècle de manipulations génétiques et technologiques. « Je suis coupable d’avoir eu l’idée de te créer, s’accuse le savant. J’ai compris plus tard que chacun doit rester à sa place, l’homme sur terre, et Dieu dans le ciel…( …) Qui accroît son savoir ne fait qu’accroître sa douleur… »« J’étais un être bon, revendique la créature, il m’a rejeté, il ne m’a pas accueilli dans sa maison… » rétorque la créature sans nom  que son inventeur continue à stigmatiser : «  Ce n’est pas un homme mais un égarement. »
Nous connaissons tous Frankenstein mais qui lit aujourd’hui ce roman, ancêtre de la science-fiction,  écrit il y a deux siècles et qui s’avère d’un abord difficile : construction en partie épistolaire, prose datée, idées dépassées en regard des avancées scientifiques…Le remettre au goût du jour comportait des risques. Laurent Gutmann les a pris, radicalement.

Sa prose laisse à désirer, mais il a su, en remontant à la source, capter le romantisme de l’écrivaine, ses influences rousseauistes et miltoniennes, sa poésie. Il réussit, dans la deuxième partie, à jouer avec les clichés, à établir des clins d’œil entre comédiens et public. À revitaliser un débat sur la science. Si bien qu’on finit, malgré tout, par apprécier sa démarche…

 Mireille Davidovici

 Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 24 janvier T : 01 43 74 72 74.

 

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