L’univers de Noël de l’Illustre Famille Burattini
L’univers de Noël de l’Illustre Famille Burattini
Les mirages vidéo et sonores les plus sophistiqués envahissent les salles de théâtre… Mais alors, d’où provient le charme persistant du théâtre forain ? L’exhibition de la fragilité des illusions sans doute. Sous les ors patinés des décors, des tentures de velours rouge usées et des maquillages, les artistes invitent à nous approcher et à signer un pacte de croyance : oui, tout cela est faux, car nous ne sommes que des humains, comme vous… Mais c’est là notre grandeur !
Tout le mois de décembre, l’Illustre Famille Burattini a ainsi réactivé la nostalgie du boniment pratiqué autrefois dans les baraques des foires parisiennes, où l’on savait séduire le badaud, en se moquant des puissants et du théâtre officiel. Sur la place Pierre Coullet à Saint-Raphaël, un enclos de chapiteaux, rayés de blanc et rouge, invitait petits et grands à partager l’esprit de Noël. Une boîte à lettres, un traîneau… et la famille Burattini figée, autour d’un sapin de bric et de broc.
Mais ils ne sont plus que trois à faire tourner la boutique à plein régime, assurant à la fois montage, jeu et technique : Buratt, l’héritier (aguerri par Papa Tino, photographe ambulant qui immigra en Auvergne, où il fit la rencontre d’un montreur de marionnettes) et Rita, sa compagne. Pour cette période festive, ils sont accompagnés par Lord Tracy, un chanteur de blues à la voix et à la présence magnétiques, rocker échappé d’un film de David Lynch ou de Jim Jarmusch…
Dans cet univers décalé, on découvre ainsi une exposition de «boîtes à merveilles» : vitrines où s’ébattent des personnages farfelus, une nature chimérique, la vie de l’oie blanche Natacha, et une fanfare qui n’est pas sans rappeler l’univers de Tadeusz Kantor. C’est un monde magique, enchanteur, mais un peu effrayant. Car, depuis Bruno Bettelheim et son célèbre ouvrage Psychanalyse des contes de fées, on ne prend plus les enfants pour des idiots. On sait qu’ils sentent la présence du secret, de l’innommable et de la mort, en embuscade.
Les spectacles proposés font la part belle au théâtre de rue traditionnel: marionnettes type Guignol, muséum consacré aux contes (Buratt prévient que son père confondait musée et brocante!). Sobrement vêtu de noir, le nez à peine rougi, il assure le baratin à merveille et sait vendre le spectaculaire qui réside dans les choses simples : une formule magique (merci), la clé de Barbe-Bleue, le soulier de Cendrillon, les cailloux du petit Poucet…
Il tient toutes ses promesses. «C’est pas, parce qu’on est des forains, qu’on est des crétins », prévient-il. Aussi, pose-t-il des questions avec sincérité : «Je ne suis pas un politique.» Le jeune public, invité à monter sur scène, admire le clou de la collection, les parents : « Devant vous, incroyable, regardez bien, ce sont tous d’anciens enfants ! » Moment d’émotion. Tous repartent avec une certitude : «La vie, c’est de l’autre côté du rideau.»
Leur spectacle Le Jabberwok, nous promet de rencontrer un oiseau migrateur géant et de suivre son fabuleux parcours, d’Afrique en Sibérie. Rita, que l’on avait aperçue en sémillante veste de cirque pailletée, sexy en diable, s’est désormais métamorphosée en grand-mère Burattini. Composition très réaliste : jambes tremblotantes gainées de bas de contention, chignon gris en bataille, malicieuse voix éraillée, mimiques du visage stupéfiantes de véracité, vraie vedette du duo, Et, quand elle fait le poignant récit de la migration du couple mère-enfant, on n’entend plus, bien sûr, l’histoire d’un oisillon mais celle, intemporelle, des réfugiés et émigrés en souffrance.
L’injonction: «Accueillez-les» sonne avec une justesse bouleversante. Quelques spectateurs semblent exaspérés, (nous sommes dans une région où une candidate peu humaniste a failli l’emporter aux élections régionales!) Une mère chuchote : «Ce n’est pas drôle».
Oui, et c’est bien là, la gageure de ces propositions : inviter à renouer un dialogue confiant entre générations. La vieille Burattini, jouée par la jeune Rita, quitte la scène cahin-caha, et noue des contacts avec des spectatrices âgées, tombées sous son charme. Cette famille recomposée prend des risques et fait cohabiter sublime et grotesque : elle n’évacue ni le pathétique ni le laid, et privilégie bricole et carton-pâte pour chanter joies et misères de l’itinérance.
A la rencontre des publics qui ne fréquentent pas les théâtres, elle nous parle profondément de l’homme, de la persistance de ses rêves. Avec une esthétique de résistance courageuse !
Stéphanie Ruffier
A voir, en tournée, les numéros décalés du spectacle Animal sentimental. http://www.illustrefamilleburattini.fr