Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir d’après La Maman et la putain

Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir d’après La Maman et la putain de Jean Eustache, mise en scène de Dorian Rossel

   p213669_4-je-me-mets-au-milieu-mais-laissez-moi-dormirÉchappée de ce film-culte (1973), la phrase-titre du spectacle caractérise parfaitement Alexandre, personnage indécis et velléitaire, dont le cœur balance entre deux femmes.  David Gobet incarne le personnage tenu dans le film par Jean-Pierre Léaud, face à Françoise Lebrun et Bernadette Laffont. Un jeune homme sans ambition, à la fois cynique et naïf, cherche sa place dans la société, entre le confort BCBG offert par Marie, (Dominique Gubser), et la sexualité débridée de Véronika (Anne Steffens).
Jean Eustache s’exprimait par la bouche d’Alexandre, son alter-ego, avec des mots d’auteur au deuxième degré et un humour décalé, flirtant avec le morbide : «On a oublié deux choses dans la Déclaration des droits de l’homme, dit-il à Véronika : “Le droit de se contredire, et celui de s’en aller”.
Dialogues et personnages sont, comme lui, en perpétuelle contradiction.  Quant au droit de s’en aller, Jean Eustache se l’est arrogé en se tirant une balle en plein cœur, le 5 novembre 1981…
Dorian Rossel ne se préoccupe pas des arrières-plans autobiographiques et de la fin tragique de l’auteur, et c’est tant mieux. Avec
une scénographie sommaire: quelques chaises que l’on déplace en fonction des lieux, un tourne-disques déversant des airs rétro, le spectacle se limite ici aux seuls dialogues, et en  quatre vingt dix minutes.
 Extrait des longs plans-séquences qui constituent les trois heures quarante du film, le texte acquiert ici une densité littéraire.Grâce à une mise en scène sans fioritures, il s’entend dans toute sa brutalité, son érotisme, son irrévérence qui avaient fait scandale à l’époque. Et, malgré un Grand Prix du jury à Cannes en 1973, La Maman et la putain fut un semi-échec.)
Les séquences s’enchaînent à un rythme soutenu, et par un simple changement d’axe ou de position, les comédiens signifient les différents lieux (terrasse de café, appartement de Marie, chambre de Véronika, voiture, bords de Seine…). Le jeu, volontairement sec, non psychologique, met en valeur les questions existentielles abordées par les protagonistes, ou leur état d’âme. «Cela n’est pas intéressant que l’acteur trouve lui-même une phrase plus juste (et modifie les dialogues du scénario), disait Jean Eustache : le jeu consiste précisément à se trouver lui-même, à l’intérieur d’une chose écrite. »

  Le cinéaste, intraitable avec ses interprètes, exigeait qu’ils jouent leur rôle et à la virgule près. Cette même rigueur, cette justesse de ton habitent le spectacle qui ne singe pas le film. D’abord captivé, on ressent bientôt comme un manque, et une sorte d’aridité comme le jeu très distancié des acteurs qui finissent par nous laisser parfois sur le bord du chemin. Mais, alors que nous étions sur le point de décrocher, le texte nous rattrape au tournant …
Une expérience à tenter, que vous soyez ou non, cinéphile.

Mireille Davidovici

 Théâtre du Rond-Point, Paris, jusqu’au 31 janvier. T. : 01 44 95 98 21. Et le 2 février, au DSN/Dieppe; le 4 février, à L’Arc/Le Creusot ; le 11 février, au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul. Du 19 au 21 février, à l’ABC de La Chaux-de-Fonds; les 23 et 24 février, au Théâtre du Pommier à Neuchâtel; les 25 et 27 février, au  Théâtre de Poche de Bienne (Suisse).

 


Archive pour 9 janvier, 2016

Jachère, conception et mise en scène de Jea-Yves Ruf

Jachère, conception et mise en scène de Jean-Yves Ruf

 images « Jachère, terre labourable qu’on laisse un temps reposer, en ne lui faisant pas porter la récolte. » Et donc inexploitée. qui oblige le cultivateur à creuser ailleurs d’autres sillons. L’exclusion, jachère symbolique imposée, met une communauté à l’écart des conditions sociales normales. «Souffrent d’exclusion, femmes,  drogués, marginaux, casseurs et homosexuels » lit-on, encore, en 1990.
Non adaptés à ses normes, les exclus se  coupent de la société et pourtant, le système, dit Roland Barthes, est un ensemble où tout le monde a sa place (même si elle n’est pas bonne); les époux, les amants, les trios, les marginaux eux-mêmes (drogue, drague), bien logés dans leur marginalité…
On s’interroge par ailleurs sur la disparition dans le paysage urbain des laissés-pour-compte, invisibles mais dérangeants pour des regards politiquement corrects : «Verrons-nous encore ceux que la société n’intègre pas ou marginalise : travailleurs étrangers, handicapés, ruraux transplantés, vieux, inadaptés ? » 
Plus que jamais, on observe les exclus sans ciller vraiment, dans la rue, les bouches de métro, et sous les ponts. S’y ajoutent les vagues récentes de migrants qui font l’objet de l’actualité.
 Pour parler de ces « êtres perdus», quels qu’ils soient, Jean-Yves Ruf, a privilégié l’écriture de plateau, et installe dans un débit de boissons, Jachère, le troisième volet de sa trilogie des bars, après Chaux Vive et Silures. Entre le monde «normal», et un autre décalé, un jeune (Bertrand Usclat) incarne, à moins de sombrer, un possible aller-et-retour entre dehors et dedans. Le nouveau venu dans la petite communauté fermée d’étranges «déclassés», assume, de l’intérieur, un premier regard de spectateur qui pénètre dans l’arène  et  qui clôt lui-même la belle mise en abyme opérée.
Laure Pichat a élaboré une scénographie de trois espaces superposés qui  s’offrent au public découvrant ici la misère du monde du temps présent : «Une espèce d’enfer en-dessous, un désir d’élévation au-dessus et les hommes au milieu.» Des lieux désaffectés en béton cernent d’abord les hauts murs du théâtre, élevés vers l’acuité des chants d’oiseaux, le ciel et peut-être l’espoir; puis, plus terre à terre, le comptoir du bar où sa belle tenancière  fait rêver les hommes.
Quelques marches mènent plus bas à un refuge nocturne et froid où se replie un homme sans nom (William Edimo), apparemment non habilité à boire selon les lois implicites de ce bar.
Le sol nu en béton brut, jonché de tissus enchevêtrés, devient ici la métaphore des énigmes amassées que dispense une sphinge des bas-fonds, (sublime Laurence Mayor,  à la voix profonde et feutrée).
Enfin, dans les profondeurs d’un sous-sol, antre aussi infernal qu’invisible, le bruit inquiétant d’une génératrice fait vibrer l’abri des clients du tripot, habités par les textes d’Emmanuel Bove, de La Bible,  du Deutéronome, de L’Enfer de Dante, d’Allen Ginsberg, Henri Michaux, Dimitris Dimitriadis, Homère, Vladimir Nabokov et Joseph Conrad… Avec des histoires d’amour qui finissent toujours mal, quand la patronne (Juliette Savary) dit attendre, dans la douleur amère, le retour de son amant qui, jamais, ne reviendra.
Une jeune fille fébrile (Isabel Aimé Gonzales Sola) surveille l’appel toujours différé et raté de son amoureux. L’habitué du bar (Alexandre Soulié) rugit contre les trahisons féminines. La communauté solitaire survit à travers lois et rituels sacralisés, bruissements d’ailes, fracas de machines, écoulements d’eau et chants lyriques. Ici, n’est pas le bienvenu qui veut, et l’inadmissible peut se produire contre toute attente. Le monde va mal et souffre de blessures béantes que le spectacle dévoile.

 Au plus près des solitudes et des souffrances tues, mises à nu, simplement.

 Véronique Hotte

 Théâtre Gérard-Philipe/Centre Dramatique National de Saint-Denis, jusqu’au 23 janvier. T: 01 48 13 70 00.

 

 

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