Michel Galabru, acteur
Hommage rendu au grand acteur : le jour même de sa mort (impossible d’employer l’euphémisme de sa disparition, tant il est évidemment présent: Antenne 2 a rediffusé La Femme du Boulanger, enregistré en direct le 30 décembre 2010. Michel Galabru n’avait alors que quatre-vingt-huit ans…
La pièce, adaptée d’un récit de Jean Giono par Marcel Pagnol, a pris un coup de vieux, et s’est « folklorisée ». Elle paraît longue, étirée, trop connue par certaines répliques, dont la fameuse fable de Pomponnette : le boulanger, qui n’ose parler à sa femme repentie, reproche vivement son infidélité à la compagne du chat Pompon. Ce qui s’appelle, toucher par la bande.
Nous avons donc revu la pièce, mise en scène par Alain Sachs et filmée en public. Décor de crèche de Noël ; comédiens (excellents) jouant comme des santons animés, parlant fort, avec de grands gestes, bref, en pleine «pagnolade». Il faut peut-être jouer ce théâtre ainsi, mais on se permet d’en douter… Le talent des auteurs vaut mieux que cela, et Michel Galabru l’a prouvé.
Là où d’autres ralentissent leurs entrées, pour donner au public le temps de les applaudir, lui se permet d’entrer presque furtivement, et dans le vif du sujet. Tout de suite, présent, avec son corps de vieux, en marcel, avec sa voix à la musique ample et riche. Il fait tout ce que font les autres, eux-mêmes sans doute tétanisés par la présence du monstre sacré.
Il peut gesticuler, en faire trop, aller jusqu’au clin d’œil au public, mais tout se met miraculeusement en place, avec l’évidence de la vérité. Difficile de dire d’où cela vient, sinon en l’écoutant, lui qui se définissait comme le Poulidor de la comédie à la française.
On peut être grand, sans être reconnu ou estampillé comme «le plus grand». Cela prouve le peu de pertinence des classements et concours en matière d’art. Sans doute, a-t-il même fait son miel de cette réussite incomplète à ses yeux. En tout cas, si le talent est de durer, Michel Galabru l’a prouvé.
Dans La Femme du boulanger, il réalise un extraordinaire numéro de funambule sur le fil de l’émotion. Le texte lui offre ce défi qu’il relève avec doigté. À l’instant où il va nous tirer des larmes, il nous ramène sur terre, juste avec une petite modulation de la voix, un infime changement de rythme, et nous fait glisser vers le rire. Il peut aussi laisser sourdre une surprenante violence.
Un danseur de corde ? Un dompteur amoureux de la bête qu’il caresse: le public qui prend tant de plaisir à se laisser mener par le bout du nez. Un matois, un futé. Que transporte-t-il, le roi des ringards (dit-il de lui, mais roi quand même) ? Une évidente humanité, avec tout ce que cela comporte d’«humain, trop humain », et d’humour qui va avec. Travailler, avec une constance sans faille, à être un acteur complet, sans se prendre pour un acteur, c’est sans doute le secret.
Allons, pour rendre hommage à Michel Galabru, revoir plutôt que les divers gendarmes de Saint Tropez, Le Juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier qui le place à la hauteur de son partenaire, Philippe Noiret. L’un a fait ses classes à la Comédie-Française, l’autre au Théâtre National Populaire de Jean Vilar : cela donne un bon départ.
Après cela, inutile des comparer les carrières ; comédien, il faut en vivre ! Michel Galabru a accepté ce qu’on lui proposait, et y a, presque en cachette, peaufiné son métier.
Christine Friedel
Oui, mais il a joué aussi en 1992 Les Rustres mise en scène de Jérôme Savary sur la même scène de Chaillot.
Quant à Philippe Noiret la version officielle sur France-Culture (un peu suspecte!) de son virage du T.N.P. par Jean Vilar, n’est pas du tout celle qu’il m’a servi en confidence, un soir de juillet Avignon, après quelques verres de champagne en commun avec justement Jérôme Savary, et qui me paraît beaucoup plus crédible: une simple affaire de rivalité amoureuse avec le patron du T.N.P.
Quand je lui posais sans détour la question: pourquoi êtes-vous parti si vite du T.N.P.,je me souviens encore exactement de ses paroles: « M… et moi, Jean Vilar ne nous pas viré mais il nous a juste poussé gentiment vers la sortie ».
Qu’il ne l’ait pas regretté, c’est à voir! En tout cas, c’est un fait: il n’est pas revenu jouer au T.N.P., ni ensuite au Théâtre National de Chaillot; et pendant les quelque dix-sept ans que j’y ai travaillé,je n’ai jamais eu l’occasion de le voir à une première d’un spectacle! Comprenne qui pourra
Ph. du V.
Attention : Michel Galabru a joué sous la direction de Jean Vilar au TNP dans Les Rustres de Goldoni. A Chaillot et au festival d’Avignon.N’oublions pas que Galabru a fait le Conservatoire de Paris. Là aussi, dans une émission de France culture, il racontait qu’il suivait tous les cours de Louis Jouvet et que Jouvet l’appréciait.
Quant à Philippe Noiret, Jean Vilar l’a viré du TNP parce qu’il jouait aux cartes dans les coulisses. Dans une émission de France culture, Noiret le racontait sans l’ombre d’un regret…