Voïna (La Guerre)
Voïna (La Guerre), d’après La Mort d’un héros de Richard Aldington, L’Iliade d’Homère et Les Notes d’un cavalier de Nicolai Goumilev, livret d’Irina Lychagina, mis en scène de Vladimir Pankov
Vladimir Pankov dirige un collectif d’acteurs et de musiciens bien connu à Moscou depuis une dizaine d’années, et avait présenté au Théâtre des Abbbesses, il y a presque déjà cinq ans, une sorte de comédie musicale inspirée de Tchekhov (voir Le Théâtre du Blog). Il réitère mais cette fois, mais sur le grand plateau du théâtre de la Ville, avec une fresque épique commandée et créée en Russie pour le centenaire la première guerre mondiale.
Cela se passe à Paris en 1913 dans un milieu cosmopolite, où des jeunes gens très libres, bien habillés, les hommes en habit noir et les femmes en robe longue et chapeau blancs. En majorité, peu conscients de la tragédie qui se prépare en Europe, ils fêtent Noël en buvant du champagne. On entend le son éraillé d’un ancien tourne-disque. Il y a ici, entre autres, George, un peintre anglais sa femme Betsy, mais aussi des poètes russes Vladimir, et Nicolaï, accompagné d’Anna, sa femme.
On parle beaucoup d’art et de littérature mais aussi, et avec une grande insouciance, de la guerre qui n’a pas encore eu lieu et dont les jeunes gens ne peuvent avoir aucune idée, et qui va pourtant se charger de rebattre atrocement les cartes du monde occidental. La guerre: fléau évident pour certains d’entre eux plus lucides, alors que d’autres la voient comme une fatalité, voire même comme une nécessité inhérente à toute forme de civilisation.
Avec à l’appui, la fameuse épopée d’Homère qui raconte la guerre de Troie où vont s’affronter les Achéens de Grèce, et les Troyens, avec la complicité des dieux: Zeus, Athéna, Poséidon, Apollon… Le siège de Troie dura dix ans, ce qui, pour l’époque, était très long. Les très fameux: Agamemnon, Ulysse, Achille, Ajax, Patrocle, Nestor, Ménélas, la belle Hélène, et de l’autre côté: les non moins fameux: Priam et sa femme Hécube, Pâris, Hector et Andromaque, Cassandre… Achille finira par tuer Hector le Troyen, et les Achéens gagneront cette guerre.
Quelques mois plus tard, les jeunes gens de Voïna, en proie à une incompréhension totale, vont se retrouver, plongés dans l’horreur des combats et des hôpitaux militaires avec ses mourants et ses blessés. Vladimir apprend, accablé, la mort de George, et Anna emmènera Vladimir consulter un psychiatre, qui, dit la note d’intention, « va inventer un jeu de rôles fondé sur la guerre de Troie ».
Ce qui est moins évident sur le plateau où l’on a du mal à s’attacher aux personnages! Pourtan musique, chorégraphie, chants et jeu sont réglés avec un grand soin mais malheureusement toujours comme en force, avec une balance très mal réglée. Ce dont se défend Vladimir Pankov qui nous a dit n’avoir pas eu le temps nécessaire pour répéter à Paris et que ce Voïna est un spectacle de recherche. Assez étonnant ! Quand on déplace une trentaine de comédiens/musiciens et toute une équipe technique depuis Moscou, on prend ses précautions…
Résultat: au bout d’une trentaine de minutes de cet estouffadou visuel et sonore, avec un texte tricoté sur trois registres, on décroche, d’autant plus, quand on ne connait pas la langue de Tolstoï, qu’il faut se raccrocher aux sur-titrages…
Malgré de belles images: une trentaine de capotes militaires pendues à de cintres qui descendent d’un seul coup du ciel, ou ce groupe de jeunes soldats qui transportent un piano/crapaud noir, comme un cercueil (mais on oubliera vite ces images répétitives de jeunes femmes debout suspendues en l’air) on ressort, de ces deux heures vingt, un peu sonné par cette avalanche d’informations visuelles d’abord, mais aussi orales, textuelles en surtitrage, musicales, chantées qui, collées, n’arrivent pas vraiment à faire sens…
Pour le metteur en scène russe, la guerre n’a rien de quelque chose de confortable et il a fait exprès, nous a-t-il-dit, pour que l’on ne comprenne pas la structure de la pièce… Cette pirouette rhétorique ne nous a pas convaincu. Le texte raconté ici, et traduit en sur-titrage, associe l’épopée d’Homère aux extraits du roman (1929) de l’anglais Richard Adlington qui fut une sorte de réponse poétique à la guerre. Reste au public à se débrouiller comme il peut, avec ce flot d’images associé aux extraits succincts de cette Iliade finalement mal connue, et aux les textes de Richard Adlington et de Nikolai Goumilev, le tout enrobé de chansons et de musique jouée en direct sur le plateau par les remarquables comédiens/musiciens.
Sur scène, règne un incroyable va-et-vient, mais réglé par Vladimir Pankov comme dans son précédent spectacle, avec une précision d’horloger. On retrouve ici la même rigueur de direction d’acteurs, habillés des mêmes costumes noirs et blancs, tous très soignés de La Noce. Aucun doute là-dessus: Vladimir Pankov sait faire, et bien faire, mais ici dans une sorte de sécheresse, malgré un thème aussi grave, et il ne crée aucune émotion. Bref, cela ne fonctionne pas, et le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces fournées de fumigènes à gogo, et une musique envahissante qui surligne tout. Sans véritable efficacité!
“La guerre, personnage principal de la pièce, dit Vladimir Pankov, est bien au cœur de toutes les situations dramatiques: d’une idée abstraite, elle se fait concrète par la présence de la douleur, et de la terreur ». On veut bien, mais malheureusement ici, on ne ressent pas grand chose! Même il a été influencé d’évidence par le fabuleux Wielopole, Wielopole…, n’est pas le grand Tadeusz Kantor qui veut! L’artiste et metteur en scène polonais savait de quoi il parlait: il avait connu la guerre de 14 au plus près, puisqu’une partie de sa famille y avait été tuée. Et il avait aussi bien connu la suivante, avec l’invasion de sa Pologne, vingt ans plus tard… (Il n’avait jamais voulu aller jouer en Russie à cause du massacre en 1940, de plus de 4.000 officiers polonais à Katlin par les sbires de Staline)…
Le gros point faible de Voïna? Une dramaturgie beaucoup trop compliquée, et une mauvaise gestion du temps qui rendent ce spectacle de deux heures vingt, bien long et dans l’ensemble, assez fastidieux. Vladimir Pankov, malgré une indéniable maîtrise technique, a, cette fois-ci, raté son coup. Dommage.
La diplomatie, en matière d’échange de spectacles, devrait avoir certaines limites…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Ville, Paris jusqu’au 15 janvier.