Le Misanthrope par la Compagnie Kobal’t

Le Misanthrope  par la Compagnie Kobal’t

C’est toujours un plaisir de retrouver Le Misanthrope, seizième pièce de Molière, qui, comme son Tartuffe, reste  d’actualité. Alceste y campe un homme fatigué par la société du paraître, la médisance et les pratiques de  la Cour, qui décide d’abandonner toute compromission. Quand Oronte le flatte et lui lit fièrement quelques vers de sa plume, il a droit à un jugement sans concessions et cherchera alors à nuire à Alceste qui, lui, se débat avec Célimène, sa maîtresse supposée volage…
  La compagnie Kobal’t propose une mise en scène énergique et accueille le public  en musique, avec sodas, bières et énorme paquet de chips, dans une ambiance jeune et festive. Dans une scénographie tri-frontale avec un plan lumière peu précis, la voix de comédiens, que l’on voit souvent de dos et qui se cachent parfois les uns les autres, ne nous parvient pas toujours! Mais le dispositif procure au public une grande proximité, ce qui lui vaut même d’être pris à partie par les jeunes acteurs.
   Leur jeu dynamique emporte les collégiens, en majorité dans la salle, qui rient, s’enchantent et applaudissent ce Molière; bref, c’est une réussite. Versification respectée, diérèses bien marquées mais le texte original est parfois interrompu par un texte contemporain, écrit en vers et critiquant le monde du spectacle. On y déplore notamment la présence fréquente d’hommes nus sur les plateaux… Ce qui arrivera bientôt dans le spectacle !
  Les comédiens déploient une belle énergie mais crient, et font de grands gestes. Les rôles féminins ont du caractère avec une Célimène toute en nerfs : du corps fin et musclé d’Aurore Paris, se dégage une belle ardeur.   Dès le début, règne la confusion : deux comédiennes, assises parmi les spectateurs,  se disputent et une bagarre éclate. Mais la fureur du jeu l’emporte sur le texte que l’on entend à peine.
Sur ce, Alceste (Marc Arnaud) s’époumone en s’en prenant à Philinte (Mathieu Boisliveau), mais nous passons à côté de la première scène, importante pour la compréhension de la suite… Et ce sera le cas plusieurs fois : un bouquet de roses éclate, on renverse une table, et  un acteur nu reçoit une gerbe d’eau…

  Ces effets spectaculaires se superposent au texte et focalisent l’attention du public sur les gags, plutôt que sur les vers. Les entrées et sorties sont exploitées à fond, les portes claquent, laissant parfois les spectateurs seuls dans l’obscurité pendant de longs moments : efficace, mais trop souvent répété, cela casse le rythme.
  Remettre un classique au goût du jour plaît aux jeunes qui percevront peut-être Molière autrement. Donc pourquoi pas? Les autres assisteront à une mise en scène où le texte est un peu survolé, qui a cependant le mérite d’être en prise avec notre époque…

Julien Barsan

Le 1er avril au Théâtre Durance de Château-Arnoux. Les 9 et 10 mai, au Théâtre des Sept Collines de Tulle. Le 12 mai à Langogne (Festiv’Allier). Les 26 et 27 juillet, aux Nuits de l’enclave de Valréas.

Image de prévisualisation YouTube

 


Archive pour 15 janvier, 2016

Big shoot de Koffi Kwahulé

Big Shoot de Koffi Kwahulé, mise en scène d’Alexandre Zeff

 

IMG_5051« Je n’écris pas sur les Blancs, les Algériens ou les Chinois, j’écris sur le frottement de tous ces mondes qui se côtoient. Je me considère comme un citoyen français, mais comme un dramaturge ivoirien. » Koffi Kwahulé, comédien, metteur en scène, dramaturge et romancier, possède une écriture influencée par le jazz , avec une musicalité verbale faite de ruptures, superpositions, silences et impros; il a une vision politico-sociale de critique subversive et ironique, la matière même d’une belle satire sur nos temps présents.
  Le verbe, brut et heurté (insultes et injures) provoque l’interlocuteur comme le public et le met à mal, avec des apostrophes à la Jean Genet. Cette langue agressive s’insinue dans une musique free-jazz, avec saccades et tensions.
Big Shoot participe d’une allégorie apocalyptique d’un monde sans valeurs, voué à la violence et à la crudité animale, où deux hommes s’affrontent avec férocité: maître et esclave, dominateur et dominé. Télé-réalité à l’américaine avec micros H.F. de rigueur, où l’enjeu : faire de sa propre mort, un spectacle et de cette exécution, une œuvre d’art : «Je suis un artiste», répète étrangement Monsieur, le présentateur et le bourreau de ce jeu morbide face à son interlocuteur Stan, une bête de foire exposée dans une cabine transparente en verre minéral.
   A chaque nouvelle émission, l’animateur tortionnaire abat un candidat d’une balle dans la tête, sous le regard complaisant de nombreux voyeurs, premier degré et relai d’une mise en abyme/théâtre dans le théâtre, pour  des spectateurs interdits.
 Le rituel de mise à mort mettra peut-être fin aux tortures et violences en question. Big Shoot  signifie en anglais: piège, guet-apens proie tragique d’un prédateur fou, meurtre avec arme à feu, prise de coke, relation sexuelle fugace, séance de photos de mode ou tournage de film… Sress, urgence et souffle coupé! Cette confrontation, duelle et cassante, évoque le mythe d’Abel et Caïn qui entraîne la malédiction: un homme tue son frère qu’il ne veut plus  voir vivant : ni rival, ni concurrent.
 La civilisation s’inscrit ainsi à l’orée d’un fratricide, dans une violence innée, instinctive et résurgente. Monsieur fait mine d’accueillir Stan, invente un crime odieux, et lui fait subir un interrogatoire, l’insulte et simule un viol imminent. Big Shot suggère aussi la suffisance de celui qui sur-joue dans un spectacle mortifère, car «la vie n’est qu’un brouillon de la mort.»
À côté du Mister Jazz Band (Franck Perrolle, guitare, Gilles Normand, basse et Louis Geffroy, batterie, Jean-Baptiste Anoumon joue aussi du saxo, et, en grand comédien de couleur bien balancé, incarne «paradoxalement» le bourreau extraverti. Thomas Durand est la victime blanche repliée, esclave humilié, avant de se ressaisir et de révéler ce en quoi il croit. 
La mise en scène, précise et étincelante, ne cesse d’interroger cette profonde violence incontournable, tapie chez les êtres…

Véronique Hotte

La Loge, 77 rue de Charonne 75011 Paris. Du 12 au 15 janvier. T : 01 40 09 70 40

 

 

Le Dernier Contingent, d’après d’Alain-Julien Rudefoucauld

MGA_0122

Le Dernier Contingent, d’après le roman d’Alain-Julien Rudefoucauld, mise en scène de Jacques Allaire

  Dans ce conte halluciné (publié en 2013) aux accents de tragédie contemporaine, où, entre surgissements et évanouissements, se succèdent rêves nocturnes et cauchemars diurnes. Comme une vision douloureuse et fuyante d’une existence amère de jeunes gens sans véritable identité et qui ne bénéficient d’aucun soutien ni  reconnaissance affective.
L’un d’eux dresse un tableau brut et sans complaisance : « Le monde qui tourne pas rond… Un temps qui nous dépasse, et c’est dans celui-là qu’on vit, c’est dans celui-là qu’on est debout, connard. Toi t’es pas réveillé. Et tu sais pourquoi t’es pas réveillé ? Parce que tu veux pas regarder comme elle est jolie la vie ! Mais c’est joli la vie ! Mais si, c’est joli. Sur la merde, on plante des roses, et, avec les roses, on fait des bouquets, et de la confiture, et même que c’est bon, alors ça sert à quelque chose, la merde. »

Les jeunes, quand on les dit «en difficulté» et éloignés de toute «réussite» potentielle, n’ont pas le temps de s’épanouir, dévalorisés avant l’heure et coupés à la racine qu’ils sont par le regard moralisateur de l’autre: parents, référents, éducateurs, professeurs, en général obtus et sur lesquels ils ne peuvent  guère compter.
  Des adolescents que massacre symboliquement la famille, la société, les institutions, et qui sont les victimes de la guerre invisible que mène notre époque, paradoxalement avide de jeunisme et floutant les barrières générationnelles, contre ses propres enfants.
  Violence et agressivité permanentes, entretenues  par une Justice et une Police souvent impuissantes, et par les éducateurs. Sans oublier: démission et absence des pères, épuisement des mères, sur fond d’étalage d’argent facile… Pour cette épopée singulière d’un noir étincelant, Le Dernier Contingent nous propose à la fois un voyage fantastique et mouvementé, et une pantomime fantomatique au ralenti….Dans une cage grillagée où l’on grimpe sans pouvoir s’échapper (l’appartement parental au papier peint à fleurs!), les rebelles vont déchirer ces ornements illusoires pour laisser venir le vide, la nuit spectrale et le vertige d’une grande solitude…
 Les acteurs mènent une danse macabre, à la fois personnelle et chorale. Silhouettes enfantines fantasmées, petites ou géantes, découpées dans l’étoffe universelle du rêve et de l’imaginaire, ils  revêtent des parures inouïes ou des panoplies standardisées. Personnages lourds de souffrance, ils possèdent un évident désir de vivre et  un enthousiasme juvénile, et incarnent une résistance et un combat contre leur disparition symbolique, imposée par la trahison des grands, faux pères et faux frères.
Sous l’impulsion pop et rock de la guitare électrique de David Lavaysse, ces belles personnes : Edward Decesari, Evelyne Hotier, Chloé Lavaud, Gaspard Liberelle, Paul Pascot et Valentin Rolland, jouent à la fois, les éducateurs pervers et tyranniques,  et leurs jeunes victimes.

  Jolis pantins articulés, ils possèdent une existence charnelle, coiffés d’un chapeau pointu de fête, et en marinière rayée bleu et blanc, ou costume de tissu moiré.  Des  vêtements en pagaille accrochés au grillage, des draps roulés : la vie n’est pas toujours là où on l’attend, et ces jeunes gens ont des réflexes instinctifs de sauvegarde et d’espoir, au-delà des entraves qui empêchent ou retardent leur accomplissement existentiel…

Véronique Hotte

Théâtre Dijon-Bourgogne/Centre Dramatique National, du 12 au 15 janvier. L’Estive/Scène nationale de Foix et de l’Ariège, du 21 au 29 janvier.
Le Parvis-Scène nationale de Tarbes-Pyrénées, les 2 et 3 février. La Comédie de Saint-Etienne/Centre Dramatique National, du 1er au 3 mars. Les Scènes du Jura/Scène nationale, le 22 mars.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...