Big shoot de Koffi Kwahulé
Big Shoot de Koffi Kwahulé, mise en scène d’Alexandre Zeff
« Je n’écris pas sur les Blancs, les Algériens ou les Chinois, j’écris sur le frottement de tous ces mondes qui se côtoient. Je me considère comme un citoyen français, mais comme un dramaturge ivoirien. » Koffi Kwahulé, comédien, metteur en scène, dramaturge et romancier, possède une écriture influencée par le jazz , avec une musicalité verbale faite de ruptures, superpositions, silences et impros; il a une vision politico-sociale de critique subversive et ironique, la matière même d’une belle satire sur nos temps présents.
Le verbe, brut et heurté (insultes et injures) provoque l’interlocuteur comme le public et le met à mal, avec des apostrophes à la Jean Genet. Cette langue agressive s’insinue dans une musique free-jazz, avec saccades et tensions.
Big Shoot participe d’une allégorie apocalyptique d’un monde sans valeurs, voué à la violence et à la crudité animale, où deux hommes s’affrontent avec férocité: maître et esclave, dominateur et dominé. Télé-réalité à l’américaine avec micros H.F. de rigueur, où l’enjeu : faire de sa propre mort, un spectacle et de cette exécution, une œuvre d’art : «Je suis un artiste», répète étrangement Monsieur, le présentateur et le bourreau de ce jeu morbide face à son interlocuteur Stan, une bête de foire exposée dans une cabine transparente en verre minéral.
A chaque nouvelle émission, l’animateur tortionnaire abat un candidat d’une balle dans la tête, sous le regard complaisant de nombreux voyeurs, premier degré et relai d’une mise en abyme/théâtre dans le théâtre, pour des spectateurs interdits.
Le rituel de mise à mort mettra peut-être fin aux tortures et violences en question. Big Shoot signifie en anglais: piège, guet-apens proie tragique d’un prédateur fou, meurtre avec arme à feu, prise de coke, relation sexuelle fugace, séance de photos de mode ou tournage de film… Sress, urgence et souffle coupé! Cette confrontation, duelle et cassante, évoque le mythe d’Abel et Caïn qui entraîne la malédiction: un homme tue son frère qu’il ne veut plus voir vivant : ni rival, ni concurrent.
La civilisation s’inscrit ainsi à l’orée d’un fratricide, dans une violence innée, instinctive et résurgente. Monsieur fait mine d’accueillir Stan, invente un crime odieux, et lui fait subir un interrogatoire, l’insulte et simule un viol imminent. Big Shot suggère aussi la suffisance de celui qui sur-joue dans un spectacle mortifère, car «la vie n’est qu’un brouillon de la mort.»
À côté du Mister Jazz Band (Franck Perrolle, guitare, Gilles Normand, basse et Louis Geffroy, batterie, Jean-Baptiste Anoumon joue aussi du saxo, et, en grand comédien de couleur bien balancé, incarne «paradoxalement» le bourreau extraverti. Thomas Durand est la victime blanche repliée, esclave humilié, avant de se ressaisir et de révéler ce en quoi il croit. La mise en scène, précise et étincelante, ne cesse d’interroger cette profonde violence incontournable, tapie chez les êtres…
Véronique Hotte
La Loge, 77 rue de Charonne 75011 Paris. Du 12 au 15 janvier. T : 01 40 09 70 40