Conte d’hiver
Conte d’hiver de William Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan
Comique et tragique se côtoient dans cette pièce tardive et atypique, avec nombre de thématiques chères au grand dramaturge. Etrangement construite, pleine d’invraisemblances, et en deux parties que séparent seize années. On passe d’un sombre drame hivernal où rôdent la mort et les tempêtes hostiles, à une pastorale printanière, au dénouement heureux. De l’âpre Sicile, à la verdoyante Bohème. De l’apparition du mal, de la souffrance, de la discorde, au triomphe de la paix et à la réconciliation.
La jalousie aveugle de Léonte, roi de Sicile, rappelle celle d’Othello, mais surgit plus brutalement, et précipite sa famille dans le malheur: il accuse d’adultère, Hermione, son épouse, et son meilleur ami, Polixène, roi de Bohème. Avec des réactions aussi violentes que l’amour qu’il porte à ces deux êtres. Polixène échappera de justesse à sa vengeance assassine, mais la reine, jetée en prison, y mourra et la fille qu’elle y met au monde, Perdita, est exilée.
Tyran inique, tel le roi Lear, il n’a plus, qu’à se repentir et à pleurer, en apprenant sa méprise: Apollon furieux, lui fait savoir par son oracle, consulté à Delphes, que «le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu n’est pas retrouvé »…Au seuil de la deuxième partie (Acte IV, l) le personnage du Temps apparaît : «Chers spectateurs, propose-t-il, imaginez que je m’en suis allé dans le belle Bohème, où vous n’oubliez pas que je vous ai parlé du fils de l’autre roi, Florizel.» Omniscient, tout-puissant, il nous apprend que là-bas, Perdita a grandi en âge et en beauté, et il nous invite à connaître son destin.
Par un tour de passe-passe, il nous transporte sur ses ailes, au palais de Polixène, puis à la fête de la tonte, dans le village du berger qui a recueilli et élevé Perdita. Un monde coloré, qui tranche avec la froideur de la Sicile. On y boit, chante et danse, et un camelot vante ses colifichets… La nature sert de cadre aux amours de Florizel et Perdita…
Après bien des péripéties, nous retournons en Sicile pour un heureux dénouement. Le Temps s’affirme comme le moteur de toute l’action dramatique. Le cycle des saisons, de la mort et la renaissance, imprègne toute l’imagerie du Conte d’hiver. « Tu as rencontré ce qui meurt, et moi, ce qui vient de naître », dit le Berger à son fils, quand il trouve Perdita abandonnée sur le rivage désert de Bohème. Declan Donnellan l’a bien compris: ce mystérieux personnage, en anorak rouge, assis de dos, attend que le spectacle commence.
Le metteur en scène joue habilement sur la dualité de la pièce. Dans le décor unique de Nick Ormerod, quelques accessoires déplacés sur le plateau nu, les lumières, les costumes et la musique créent des ambiances contrastées, entre austérité hivernale du palais de Léante, et nature riante de la campagne bohémienne.
L’adaptateur a placé l’action dans un présent atemporel, avec des costumes actuels. Dans la deuxième partie, des musiques pop accompagnent les chansons et, dans cette atmosphère festive, s’égayent des paysannes endimanchées. Interrompues par un entracte à la fin de l’acte lll, les scènes s’enchaînent deux heures trente durant, bien orchestrées, et jouées par des comédiens très engagés dans leurs rôles.
Avec un sur-titrage parfaitement traduit et calé (on regrette que le nom du traducteur ne soit pas cité). Les choix de mise en scène sont nets, quoique discutables. Pourquoi d’entrée de jeu, donne-t-on Léante pour fou ? Dès le prélude, Orlando James, son interprète, semble disjoncter et fabrique de toutes pièces ses soupçons, manœuvrant et manipulant Hermione et Polixène, afin de les faire se jeter corps contre corps, alors que rien n’explique, dans le texte, le revirement de Léonte, de l’amour à la haine.
Ainsi, tout au long du spectacle, Declan Donnellan tente d’expliciter des situations, alors que Shakespeare privilégie la fantaisie poétique et le surréel, sans souci de vraisemblance : ne s’agit-il pas d’un conte ? La mise en scène des trois premiers actes est rigoureuse, mais celle des actes suivants semble plus lâche : la fête de la tonte, par exemple, assez grossièrement chorégraphiée, peine à produire les effets picturaux et les émotions qu’on pourrait en attendre.
Le tableau final, en revanche, propose une image saisissante et juste : les protagonistes s’acheminent en cortège dans l’obscurité vers la statue d’Hermione, comme pour un cérémonial funèbre, au terme duquel le miracle s’accomplit. Le temps a fait son œuvre.
Malgré le côté laborieux du spectacle, on apprécie la rigueur des acteurs qui, très généreux, font sonner les vers avec fluidité et naturel. La langue de Shakespeare, si bien servie, paraît alors évidente, et c’est un plaisir de l’entendre…
Mireille Davidovici
Théâtre des Gémeaux, Sceaux (92), jusqu’au 31 janvier. T. 01 46 61 36 67 Théâtre du Nord, Lille du 3 au 7 février; Théâtre Maria Guerrero, Madrid du 10 au 14 février; Piccolo Teatro, Milan du 17 au 21 février ; Teatro Stabile, Verone les 24 et 25 février ; Il Teatro Goldoni, Venise, les 27 et 28 février ; Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg du 2 au 4 mars.
Enregistrer