Le Retour au désert

Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, mis en scène d’Arnaud Meunier

 le_retour_au_desert_sonia_barcet Le metteur en scène reprend cette pièce créée par Patrice Chéreau, avec Jacqueline Maillan et Michel Piccoli dans les rôles-titres, puis par Jacques Nichet, Thierry de Peretti, Muriel Mayette et Catherine Marnas…
Au début de ce « drame bourgeois » où se côtoient cynisme et cruauté, Mathilde vient de quitter l’Algérie en guerre, (on est dans les années soixante) avec son fils Edouard et sa fille Fatima, de père inconnu, pour rentrer en France, dans la maison familiale qu’occupe son frère Adrien. Après quinze ans d’absence, elle veut la récupérer mais les retrouvailles fraternelles promettent d’être rudes. Elle ne parviendra d’ailleurs pas à embrasser Adrien…
Lui, un grand bourgeois, très autoritaire, dirige une usine et a ceint d’une clôture, le jardin de la demeure qu’il a reçue en héritage où habitent Mathieu, son fils qu’il n’a jamais autorisé, à sortir au-delà de ces quatre murs et en éprouve le besoin, Aziz, l’homme à tout faire, d’origine algérienne, et la bonne.
Fatima, qu’Adrien rebaptiserait volontiers d’un prénom français, passe ses nuits dans le jardin où elle croit apercevoir le fantôme de Marie, la femme décédée d’Adrien,
remarié à sa sœur Marthe qui, rongée par la culpabilité et alcoolique tient tout juste debout.
Avec quelles intentions, Arnaud Meunier aborde-t-il cette pièce ? Il insiste sur le côté tragi-comique du texte, et met en valeur l’acidité des répliques. Mais cette approche et la direction d’acteurs restent conventionnelles. Catherine Hiegel et Didier Bezace s’envoient les pires horreurs à la figure, avec grand talent. Elle incarne un personnage toujours sur les nerfs, qui ne desserre jamais les dents. Didier Bezace, lui, reste plus calme et nonchalant.
 Autour d’eux, René Turcquois joue un Mathieu ridicule. Elisabeth Doll est une Marthe chancelante, à la  limite de  la folie. Kheireddine Lardjam prend un accent très appuyé pour interpréter Aziz, l’homme à tout faire : vision plutôt limite, quand la  pièce cherche à dénoncer les préjugés racistes…
  La scénographie, imposante et plutôt bien éclairée, se limite à des mouvements d’ouverture et fermeture de la baie vitrée et de voilages. Au début, on entend à peine les comédiens. Une grande étendue de fausse pelouse symbolise le jardin. Lors de leurs monologues, Didier Bezace et Catherine Hiegel se placent systématiquement à l’avant-scène et pour bien souligner qu’on s’adresse au public, la  salle est éclairée !
Avec de tels dialogues, on pouvait faire une proposition plus dynamique et plus contemporaine. Ce texte dit tellement de choses de notre rapport à l’autre, qu’il soit étranger, d’une catégorie sociale soi-disant inférieure, ou membre de notre famille. Pendant les deux heures dix que dure ce spectacle « de boulevard » au vitriol, seul le texte de Bernard-Marie Koltès nous a accroché…

Julien Barsan

Nous n’avons pas eu tout à fait les mêmes impressions que notre ami Julien: la scénographie  de Damien Caille- Perret d’abord avec cette maison en retrait, sur une pelouse en herbe synthétique d’une rare laideur  (un second degré probablement?) ne fonctionne pas bien, dans la mesure où elle ne facilite en rien le contact entre les comédiens et le public de cette grande salle sans  doute peu apte à recevoir la pièce, parodie du théâtre de boulevard. Le Théâtre des Abbesses aurait mieux convenu…
Laquelle pièce, quand elle était portée par Patrice Chéreau en 88, un an avant la mort de son auteur, nous avait paru plus forte. Si les retrouvailles entre le frère et la sœur sont plutôt solides et drôles, le reste du texte, malgré de bons moments, semble partir un peu dans tous les sens. La différence, l’exclusion, le racisme restent malheureusement d’actualité mais la pièce, bien bavarde, semble tourner à vide et n’en finit pas! On est loin de la qualité d’écriture de Combat de nègre et de chiens, remarquablement montée aussi par Patrice Chéreau
La mise en scène manque singulièrement de rythme, et l’obscurité est si fréquente que, passée la première heure, un ennui pesant s’abat sur la salle, il y a même quelque désertions… Quant à la direction d’acteurs! Pourquoi Arnaud Meunier fait-il surjouer et criailler sans arrêt, sauf à la fin, Didier Bezace, par ailleurs remarquable acteur et metteur en scène d’expérience? Pourquoi entend-on à peine Louis Bonnet à la diction approximative? Pourquoi tout semble se perdre sur cette grande scène? Là, il y a encore du travail!
Reste l’immense Catherine Hiegel, virée sans scrupules il y a quelques années de la Comédie-Française, du temps où Muriel Mayette était administratrice. Comme toujours impeccable! Et on n’ose à peine imaginer ce que serait sans elle cette chose approximative qu’elle porte courageusement sur ses épaules. M^me si le courant ne semble pas vraiment passer entre les deux acteurs, ce qui rend les relations entre frère et sœur parfois caricaturales. Dommage…
Mais elle ne peut sauver ce Retour au désert, qui, peu applaudi, n’est pas un bon spectacle et que vous pouvez vous épargner.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville, Paris jusqu’au 30 janvier.  T.01 42 74 22 77.
Théâtre des Célestins, du 3 au 11 février. T. 04 72 77 40 00. Comédie de Caen , les 24 et 25 février. T.  02 31 46 27 27 et Les Scènes du Jura, le 29 février. T. 03 84 86 03 03


Archive pour 22 janvier, 2016

Nuit des Rois

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Nuit des rois de William Shakespeare, mis en scène de Clément Poirée

 

Voilà l’une des comédies de Shakespeare les plus jouées et l’une des moins mystérieuses. Tout nous est dit, en effet: Sébastien et Viola, jumeaux à s’y méprendre, vont débouler en naufragés dans la même ville, à quelques semaines d’intervalle, le temps de déchaîner désirs et passions, et tout rentrera dans l’ordre pour une «fin heureuse».
 Viola, amoureuse du comte Orsino (qu’elle n’avait jamais vu auparavant, peu importe la vraisemblance) se déguise en Cesario : un nom de conquérant enfantin… Et séduit Olivia, pour laquelle brûle le prince.  Amours en chaîne (on se croirait dans Andromaque), confusions, glissements de genre… Heureusement, l’arrivée de Sébastien, quoique agitée de quiproquos, rétablira l’ordre des sexes pour Orsino, éclairé sur son étrange sympathie pour le pseudo Cesario, et pour Olivia, à qui Sébastien offre du solide.
 À côté de ces amours aristocratiques, se joue un jeu de cour de récréation plus que de cour ducale : comment persécuter au mieux, le raide intendant de la belle Olivia, comment tirer jusqu’au dernier sou de Sir Andrew, prétendant ridicule à sa main? Demandez à l’oncle Toby, ce cousin lointain de Falstaff et de Trinculo; il  vous donnera ses recettes…
Ce serait mince, sans cette tempête initiale qui brasse les êtres et les sentiments dans sa grande lessiveuse. Et sans un de ces “fous“  mélancoliques dont Shakespeare a le secret, joué par Bruno Blairet qui interprète aussi le capitaine vaincu, interdit de séjour chez Orsino, et se croyant trahi par le jeune Sébastien, autre mélancolique. L’un lucide, l’autre aveugle : cela les réunit dans une même douleur de vivre.
  Curieusement, le premier décor: des lits drapés de rideaux blancs, évoque plus l’hôpital que les “maisons“ du théâtre élisabéthain. Ensuite, il trouve mieux sa place, dégageant l’espace, préservant quelques cachettes pour les doubles jeux et autres farces.
 C’est enlevé, vif, drôle, y compris du côté des amoureux. Une passion peut en cacher une autre, et l’aveuglement des personnages a quelque chose de très jouissif pour le spectateur. Les comédiens y mettent tous une belle dose d’énergie et d’humour assez forte pour résister à la dérision (qu’on pourrait reprocher à Orsino) : l’ironie n’est pas l’humour…
 La bande de Sir Toby (Eddie Chignara) introduit une telle cruauté dans la plaisanterie qu’on atteindrait presque la profondeur, si la traduction, pour rendre la crudité de Shakespeare, ne tombait parfois dans une vulgarité bien française. Le tout, en musique, donne ce qu’on appelle un bonne soirée, à condition de ne pas y chercher un sens politique-annoncé… mais absent.

Christine Friedel

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T :01 43 28 36 36, jusqu’au 14 février.

Seeds (Retour à la terre)

Seeds (Retour à la terre) de Carolyn Carlson

 

  8f4ac327508d5731e2c5306a98eb8733Dans la salle Maurice Béjart (80 places) à Chaillot, donc en toute intimité, s’est joué Seeds, un spectacle composé d’une succession de tableaux symboliques sur le thème de la reconnexion à la terre. De la graine, à l’humus, à l’arbre, en passant par les racines, les origines, la rencontre avec soi, la découverte de l’autre, du monde, la naissance, l’évolution, la mort et la vie. L’humanité. Nous.
Avec une belle association de talents : scénographie et lumières simples et efficaces, costumes magnifiques, mise en scène pleine de poésie et de rythme, musique de qualité, vidéos animées originales, interprètes porteurs  d’un univers singulier.
Les enfants regardent, fascinés. À mesure de l’avancée de  Seeds, certains montrent du doigt les éléments de la scénographie qui attirent leur attention.
Le thème? Une graine primordiale éclot et fait naître Elyx ,l’ambassadeur du sourire, dessiné et animé par Yacine Aït Kaci. Ce petit personnage joyeux, aux traits simples, représente la part d’humanité existant en chacun de nous. Il impulse les directions de Seeds, veille sur les humains et communique avec eux,  du haut de son écran.
Le premier danseur (Alexis Ochin), est longiligne et gracieux, avec une gestuelle entre  mime et danse; ami d’Elyx, il joue avec lui avec humour. Chinatsu Kosakatani et Ismaera Takeo, sont les Adam et Ève de la pièce. Lui, danseur-acrobate, a des mouvements puissants et sans fard, précis comme ceux d’un art martial. Elle, d’une grande beauté, développe une expression corporelle toute en finesse.
À la fin de la pièce, une petite fille a dit: «J’ai adoré mais je n’ai rien compris! » Nous aussi, avons eu parfois l’impression de passer à côté du message. Cette fable écologique a sans doute été conçue pour nous envoûter, de nous faire entrer dans un état altéré, d’oublier le temps, et de nous faire vivre une immersion qui exclut la question du sens. Les messages, symboliques, devant passer directement dans l’inconscient du spectateur…
Mais certains moments donnent à voir un amalgame de créations juxtaposées les unes aux autres, où chaque micro-univers reste fermé sur lui-même. Alors que, si, dans chaque scène, les liens entre danseurs, dessin-animé et accessoires étaient approfondis, le spectacle serait total et gagnerait encore en beauté. Heureusement, la pièce possède déjà quelques-uns de ces instants magiques: par exemple, quand les trois interprètes dansent en même temps qu’Elyx et interagissent avec lui, le virtuel s’incarne: on en oublie l’écran et la limite entre réel et imaginaire s’efface.
À voir, pour vivre une expérience à la fois poétique artistique, au delà des mots, et qui parle à l’enfant encore présent en chacun de nous.

Laurie Thinot.


Le spectacle s’est joué au Théâtre National de Chaillot, Paris.

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