Nuit des Rois

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Nuit des rois de William Shakespeare, mis en scène de Clément Poirée

 

Voilà l’une des comédies de Shakespeare les plus jouées et l’une des moins mystérieuses. Tout nous est dit, en effet: Sébastien et Viola, jumeaux à s’y méprendre, vont débouler en naufragés dans la même ville, à quelques semaines d’intervalle, le temps de déchaîner désirs et passions, et tout rentrera dans l’ordre pour une «fin heureuse».
 Viola, amoureuse du comte Orsino (qu’elle n’avait jamais vu auparavant, peu importe la vraisemblance) se déguise en Cesario : un nom de conquérant enfantin… Et séduit Olivia, pour laquelle brûle le prince.  Amours en chaîne (on se croirait dans Andromaque), confusions, glissements de genre… Heureusement, l’arrivée de Sébastien, quoique agitée de quiproquos, rétablira l’ordre des sexes pour Orsino, éclairé sur son étrange sympathie pour le pseudo Cesario, et pour Olivia, à qui Sébastien offre du solide.
 À côté de ces amours aristocratiques, se joue un jeu de cour de récréation plus que de cour ducale : comment persécuter au mieux, le raide intendant de la belle Olivia, comment tirer jusqu’au dernier sou de Sir Andrew, prétendant ridicule à sa main? Demandez à l’oncle Toby, ce cousin lointain de Falstaff et de Trinculo; il  vous donnera ses recettes…
Ce serait mince, sans cette tempête initiale qui brasse les êtres et les sentiments dans sa grande lessiveuse. Et sans un de ces “fous“  mélancoliques dont Shakespeare a le secret, joué par Bruno Blairet qui interprète aussi le capitaine vaincu, interdit de séjour chez Orsino, et se croyant trahi par le jeune Sébastien, autre mélancolique. L’un lucide, l’autre aveugle : cela les réunit dans une même douleur de vivre.
  Curieusement, le premier décor: des lits drapés de rideaux blancs, évoque plus l’hôpital que les “maisons“ du théâtre élisabéthain. Ensuite, il trouve mieux sa place, dégageant l’espace, préservant quelques cachettes pour les doubles jeux et autres farces.
 C’est enlevé, vif, drôle, y compris du côté des amoureux. Une passion peut en cacher une autre, et l’aveuglement des personnages a quelque chose de très jouissif pour le spectateur. Les comédiens y mettent tous une belle dose d’énergie et d’humour assez forte pour résister à la dérision (qu’on pourrait reprocher à Orsino) : l’ironie n’est pas l’humour…
 La bande de Sir Toby (Eddie Chignara) introduit une telle cruauté dans la plaisanterie qu’on atteindrait presque la profondeur, si la traduction, pour rendre la crudité de Shakespeare, ne tombait parfois dans une vulgarité bien française. Le tout, en musique, donne ce qu’on appelle un bonne soirée, à condition de ne pas y chercher un sens politique-annoncé… mais absent.

Christine Friedel

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T :01 43 28 36 36, jusqu’au 14 février.

 

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