La Boucherie de Job
La Boucherie de Job, texte et mise en scène de Fausto Paravidino (en italien sur-titré)
Job sur son tas de fumier, représente le fils brimé devant un père cruel. À la suite d’un pari entre Dieu et Satan, ce riche semi-nomade, se voit dépouillé de tous ses biens : troupeaux et enfants. Seule sa femme l’accompagne. Mais, on isole Job, atteint d’une maladie contagieuse, sur un tas de fumier. Il souffre et serait coupable, puisque Dieu est juste. Mais il se sait innocent, donc Dieu serait injuste ; l’antinomie se dénouera par l’appel au Mystère et dans le silence de l’Illumination.
Job incarne une figure de la misère humaine, entre refus et passivité, entre patience et révolte. Le mythe évoque la teneur de notre existence, nos fureurs, terreurs et désirs : «L’air est plein de nos cris », notait déjà le clairvoyant Samuel Beckett dans En attendant Godot. Or, Dieu nous laisse tomber : les figures post-modernes maudissent leur naissance et leur créateur, si peu garant de leur bonheur. Job, lui, adore son Dieu,mais se résout au silence et préfigure le Christ à l’agonie.
Pour Fausto Paravidino, auteur, metteur en scène et interprète du rôle-titre, Job, («le plus grand clown de tous les temps» pour Samuel Beckett) incarne le mystère de l’iniquité. Point de vue assumé, de façon dérisoire par l’artiste et sa troupe du Teatro Valle à Rome, qu’ils ont occupé contre l’avis des autorités, de 2011 à 2014. Malgré un arrêt net des subventions accordées pour de nouvelles pratiques et politiques artistiques.
Fausto Paravidino prend appui sur une forme épique, avec humour (couleurs, mouvements et chorégraphie), qu’il fait interpréter par des comédiens au solide métier, danseurs et clowns, pour interroger l’histoire du libéralisme économique et du capitalisme. Il se sert de la parabole pour mieux démythifier la prétendue rationalité de notre système monétaire et financier, fondé sur la spéculation, hors de toute confiance.
Le Mal est ici nommé, à travers le fils de Job parti en Amérique pour étudier l’économie et ses règles, qui revient pour sauver, ou plutôt pour faire sombrer la boucherie paternelle, en la livrant à la toute-puissance de la Banque, selon les lois sacralisées de la finance.
Entre les différents épisodes, intervient un duo de clowns, chœur comique et dérisoire qui commente l’action puis la soutient en devenant acteur à part entière. Ironie, satire, sarcasmes: le spectacle file comme un cauchemar vivant, avec émotion et rires mêlés : les nouveaux riches accumulent, les pauvres vivent dans la misère des bas-fonds et l’exclusion. Un art jovial et bonhomme, entre allusions humoristiques et faux repères, dans une analyse ludique.
Comptoir de boucher, morceaux de viande sanguinolente à vue, sculpture animale suspendue dans les hauteurs, crucifixion et descente de croix, canapé bourgeois pour l’intérieur familial: tel est le cadre pour ces relations sado-maso entre un fils financier et sa collaboratrice cynique vêtue de cuir, partenaires d’un enrichissement mutuel, contre le bien de tous…
Les hommes sont faillibles. À ces combattants résistants de reprendre le flambeau et de faire les justes choix, plutôt que de se laisser guider par d’aucuns qui visent les profits avec égoïsme. Un joli moment de théâtre comique, entre éclats sombres et ouvertures sur la lumière.
Véronique Hotte
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers-Centre Dramatique National, jusqu’au 23 janvier. T: 01 48 33 16 16.