La Boucherie de Job

La Boucherie de Job, texte  et mise en scène de Fausto Paravidino (en italien sur-titré)

 

imageJob sur son tas de fumier, représente le fils brimé devant un père cruel. À la suite d’un pari entre Dieu et Satan, ce riche semi-nomade, se voit dépouillé de tous ses biens : troupeaux et enfants. Seule sa femme l’accompagne. Mais, on isole Job, atteint d’une maladie contagieuse, sur un tas de fumier. Il souffre et serait coupable, puisque Dieu est juste. Mais il se sait innocent, donc Dieu serait injuste ; l’antinomie se dénouera par l’appel au Mystère et dans le silence de l’Illumination.
  Job incarne une figure de la misère humaine, entre refus et passivité, entre patience et révolte. Le mythe évoque la teneur de notre existence, nos fureurs, terreurs et désirs : «L’air est plein de nos cris », notait déjà le clairvoyant Samuel Beckett dans En attendant Godot. Or, Dieu nous laisse tomber : les figures post-modernes maudissent leur naissance et  leur créateur, si peu garant de leur bonheur. Job, lui, adore son Dieu,mais se résout au silence et préfigure le Christ à l’agonie.
Pour Fausto Paravidino, auteur, metteur en scène et interprète du rôle-titre, Job, («le plus grand clown de tous les temps» pour Samuel Beckett) incarne le mystère de l’iniquité. 
Point de vue assumé,  de façon dérisoire par l’artiste et sa troupe du Teatro Valle à Rome, qu’ils ont occupé contre l’avis des autorités, de 2011 à 2014. Malgré un arrêt net des subventions accordées pour de nouvelles pratiques et politiques artistiques.
Fausto Paravidino prend appui sur une forme épique, avec humour (couleurs, mouvements et chorégraphie), qu’il fait interpréter par des comédiens au solide métier, danseurs et clowns, pour interroger l’histoire du libéralisme économique et du capitalisme. Il se sert de l
a parabole  pour mieux démythifier la prétendue rationalité de notre système monétaire et financier, fondé sur la spéculation, hors de toute confiance.
Le Mal est ici nommé, à travers le fils de Job parti en Amérique pour étudier l’économie et ses règles, qui revient pour sauver, ou plutôt pour faire sombrer la boucherie paternelle, en la livrant à la toute-puissance de la Banque, selon les lois sacralisées de la finance.
Entre les différents épisodes, intervient un duo de clowns, chœur comique et dérisoire qui commente l’action puis la soutient en devenant acteur à part entière. Ironie, satire, sarcasmes: le spectacle file comme un cauchemar vivant, avec émotion et rires mêlés : les nouveaux riches accumulent, les pauvres vivent dans la misère des bas-fonds et l’exclusion. Un art jovial et bonhomme, entre allusions humoristiques et faux repères, dans une analyse ludique.
Comptoir de boucher, morceaux de viande sanguinolente à vue, sculpture animale suspendue dans les hauteurs, crucifixion et descente de croix, canapé bourgeois pour l’intérieur familial: tel est le cadre pour ces relations sado-maso entre un fils financier et sa collaboratrice cynique vêtue de cuir, partenaires d’un enrichissement mutuel, contre le bien de tous…
Les hommes sont faillibles. À ces combattants résistants de reprendre le flambeau et de faire les justes choix, plutôt que de se laisser guider par d’aucuns qui visent les profits avec égoïsme. Un joli moment de théâtre comique, entre éclats sombres et ouvertures sur la lumière.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Commune d’Aubervilliers-Centre Dramatique National, jusqu’au 23 janvier. T: 01 48 33 16 16.


Archive pour janvier, 2016

Le Misanthrope par la Compagnie Kobal’t

Le Misanthrope  par la Compagnie Kobal’t

C’est toujours un plaisir de retrouver Le Misanthrope, seizième pièce de Molière, qui, comme son Tartuffe, reste  d’actualité. Alceste y campe un homme fatigué par la société du paraître, la médisance et les pratiques de  la Cour, qui décide d’abandonner toute compromission. Quand Oronte le flatte et lui lit fièrement quelques vers de sa plume, il a droit à un jugement sans concessions et cherchera alors à nuire à Alceste qui, lui, se débat avec Célimène, sa maîtresse supposée volage…
  La compagnie Kobal’t propose une mise en scène énergique et accueille le public  en musique, avec sodas, bières et énorme paquet de chips, dans une ambiance jeune et festive. Dans une scénographie tri-frontale avec un plan lumière peu précis, la voix de comédiens, que l’on voit souvent de dos et qui se cachent parfois les uns les autres, ne nous parvient pas toujours! Mais le dispositif procure au public une grande proximité, ce qui lui vaut même d’être pris à partie par les jeunes acteurs.
   Leur jeu dynamique emporte les collégiens, en majorité dans la salle, qui rient, s’enchantent et applaudissent ce Molière; bref, c’est une réussite. Versification respectée, diérèses bien marquées mais le texte original est parfois interrompu par un texte contemporain, écrit en vers et critiquant le monde du spectacle. On y déplore notamment la présence fréquente d’hommes nus sur les plateaux… Ce qui arrivera bientôt dans le spectacle !
  Les comédiens déploient une belle énergie mais crient, et font de grands gestes. Les rôles féminins ont du caractère avec une Célimène toute en nerfs : du corps fin et musclé d’Aurore Paris, se dégage une belle ardeur.   Dès le début, règne la confusion : deux comédiennes, assises parmi les spectateurs,  se disputent et une bagarre éclate. Mais la fureur du jeu l’emporte sur le texte que l’on entend à peine.
Sur ce, Alceste (Marc Arnaud) s’époumone en s’en prenant à Philinte (Mathieu Boisliveau), mais nous passons à côté de la première scène, importante pour la compréhension de la suite… Et ce sera le cas plusieurs fois : un bouquet de roses éclate, on renverse une table, et  un acteur nu reçoit une gerbe d’eau…

  Ces effets spectaculaires se superposent au texte et focalisent l’attention du public sur les gags, plutôt que sur les vers. Les entrées et sorties sont exploitées à fond, les portes claquent, laissant parfois les spectateurs seuls dans l’obscurité pendant de longs moments : efficace, mais trop souvent répété, cela casse le rythme.
  Remettre un classique au goût du jour plaît aux jeunes qui percevront peut-être Molière autrement. Donc pourquoi pas? Les autres assisteront à une mise en scène où le texte est un peu survolé, qui a cependant le mérite d’être en prise avec notre époque…

Julien Barsan

Le 1er avril au Théâtre Durance de Château-Arnoux. Les 9 et 10 mai, au Théâtre des Sept Collines de Tulle. Le 12 mai à Langogne (Festiv’Allier). Les 26 et 27 juillet, aux Nuits de l’enclave de Valréas.

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Big shoot de Koffi Kwahulé

Big Shoot de Koffi Kwahulé, mise en scène d’Alexandre Zeff

 

IMG_5051« Je n’écris pas sur les Blancs, les Algériens ou les Chinois, j’écris sur le frottement de tous ces mondes qui se côtoient. Je me considère comme un citoyen français, mais comme un dramaturge ivoirien. » Koffi Kwahulé, comédien, metteur en scène, dramaturge et romancier, possède une écriture influencée par le jazz , avec une musicalité verbale faite de ruptures, superpositions, silences et impros; il a une vision politico-sociale de critique subversive et ironique, la matière même d’une belle satire sur nos temps présents.
  Le verbe, brut et heurté (insultes et injures) provoque l’interlocuteur comme le public et le met à mal, avec des apostrophes à la Jean Genet. Cette langue agressive s’insinue dans une musique free-jazz, avec saccades et tensions.
Big Shoot participe d’une allégorie apocalyptique d’un monde sans valeurs, voué à la violence et à la crudité animale, où deux hommes s’affrontent avec férocité: maître et esclave, dominateur et dominé. Télé-réalité à l’américaine avec micros H.F. de rigueur, où l’enjeu : faire de sa propre mort, un spectacle et de cette exécution, une œuvre d’art : «Je suis un artiste», répète étrangement Monsieur, le présentateur et le bourreau de ce jeu morbide face à son interlocuteur Stan, une bête de foire exposée dans une cabine transparente en verre minéral.
   A chaque nouvelle émission, l’animateur tortionnaire abat un candidat d’une balle dans la tête, sous le regard complaisant de nombreux voyeurs, premier degré et relai d’une mise en abyme/théâtre dans le théâtre, pour  des spectateurs interdits.
 Le rituel de mise à mort mettra peut-être fin aux tortures et violences en question. Big Shoot  signifie en anglais: piège, guet-apens proie tragique d’un prédateur fou, meurtre avec arme à feu, prise de coke, relation sexuelle fugace, séance de photos de mode ou tournage de film… Sress, urgence et souffle coupé! Cette confrontation, duelle et cassante, évoque le mythe d’Abel et Caïn qui entraîne la malédiction: un homme tue son frère qu’il ne veut plus  voir vivant : ni rival, ni concurrent.
 La civilisation s’inscrit ainsi à l’orée d’un fratricide, dans une violence innée, instinctive et résurgente. Monsieur fait mine d’accueillir Stan, invente un crime odieux, et lui fait subir un interrogatoire, l’insulte et simule un viol imminent. Big Shot suggère aussi la suffisance de celui qui sur-joue dans un spectacle mortifère, car «la vie n’est qu’un brouillon de la mort.»
À côté du Mister Jazz Band (Franck Perrolle, guitare, Gilles Normand, basse et Louis Geffroy, batterie, Jean-Baptiste Anoumon joue aussi du saxo, et, en grand comédien de couleur bien balancé, incarne «paradoxalement» le bourreau extraverti. Thomas Durand est la victime blanche repliée, esclave humilié, avant de se ressaisir et de révéler ce en quoi il croit. 
La mise en scène, précise et étincelante, ne cesse d’interroger cette profonde violence incontournable, tapie chez les êtres…

Véronique Hotte

La Loge, 77 rue de Charonne 75011 Paris. Du 12 au 15 janvier. T : 01 40 09 70 40

 

 

Le Dernier Contingent, d’après d’Alain-Julien Rudefoucauld

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Le Dernier Contingent, d’après le roman d’Alain-Julien Rudefoucauld, mise en scène de Jacques Allaire

  Dans ce conte halluciné (publié en 2013) aux accents de tragédie contemporaine, où, entre surgissements et évanouissements, se succèdent rêves nocturnes et cauchemars diurnes. Comme une vision douloureuse et fuyante d’une existence amère de jeunes gens sans véritable identité et qui ne bénéficient d’aucun soutien ni  reconnaissance affective.
L’un d’eux dresse un tableau brut et sans complaisance : « Le monde qui tourne pas rond… Un temps qui nous dépasse, et c’est dans celui-là qu’on vit, c’est dans celui-là qu’on est debout, connard. Toi t’es pas réveillé. Et tu sais pourquoi t’es pas réveillé ? Parce que tu veux pas regarder comme elle est jolie la vie ! Mais c’est joli la vie ! Mais si, c’est joli. Sur la merde, on plante des roses, et, avec les roses, on fait des bouquets, et de la confiture, et même que c’est bon, alors ça sert à quelque chose, la merde. »

Les jeunes, quand on les dit «en difficulté» et éloignés de toute «réussite» potentielle, n’ont pas le temps de s’épanouir, dévalorisés avant l’heure et coupés à la racine qu’ils sont par le regard moralisateur de l’autre: parents, référents, éducateurs, professeurs, en général obtus et sur lesquels ils ne peuvent  guère compter.
  Des adolescents que massacre symboliquement la famille, la société, les institutions, et qui sont les victimes de la guerre invisible que mène notre époque, paradoxalement avide de jeunisme et floutant les barrières générationnelles, contre ses propres enfants.
  Violence et agressivité permanentes, entretenues  par une Justice et une Police souvent impuissantes, et par les éducateurs. Sans oublier: démission et absence des pères, épuisement des mères, sur fond d’étalage d’argent facile… Pour cette épopée singulière d’un noir étincelant, Le Dernier Contingent nous propose à la fois un voyage fantastique et mouvementé, et une pantomime fantomatique au ralenti….Dans une cage grillagée où l’on grimpe sans pouvoir s’échapper (l’appartement parental au papier peint à fleurs!), les rebelles vont déchirer ces ornements illusoires pour laisser venir le vide, la nuit spectrale et le vertige d’une grande solitude…
 Les acteurs mènent une danse macabre, à la fois personnelle et chorale. Silhouettes enfantines fantasmées, petites ou géantes, découpées dans l’étoffe universelle du rêve et de l’imaginaire, ils  revêtent des parures inouïes ou des panoplies standardisées. Personnages lourds de souffrance, ils possèdent un évident désir de vivre et  un enthousiasme juvénile, et incarnent une résistance et un combat contre leur disparition symbolique, imposée par la trahison des grands, faux pères et faux frères.
Sous l’impulsion pop et rock de la guitare électrique de David Lavaysse, ces belles personnes : Edward Decesari, Evelyne Hotier, Chloé Lavaud, Gaspard Liberelle, Paul Pascot et Valentin Rolland, jouent à la fois, les éducateurs pervers et tyranniques,  et leurs jeunes victimes.

  Jolis pantins articulés, ils possèdent une existence charnelle, coiffés d’un chapeau pointu de fête, et en marinière rayée bleu et blanc, ou costume de tissu moiré.  Des  vêtements en pagaille accrochés au grillage, des draps roulés : la vie n’est pas toujours là où on l’attend, et ces jeunes gens ont des réflexes instinctifs de sauvegarde et d’espoir, au-delà des entraves qui empêchent ou retardent leur accomplissement existentiel…

Véronique Hotte

Théâtre Dijon-Bourgogne/Centre Dramatique National, du 12 au 15 janvier. L’Estive/Scène nationale de Foix et de l’Ariège, du 21 au 29 janvier.
Le Parvis-Scène nationale de Tarbes-Pyrénées, les 2 et 3 février. La Comédie de Saint-Etienne/Centre Dramatique National, du 1er au 3 mars. Les Scènes du Jura/Scène nationale, le 22 mars.

 

I love you, leçon 1, spectacle pour apprendre à déclarer son amour en une leçon

I love you, leçon 1, spectacle pour apprendre à déclarer son amour en une leçon, conception et interprétation de Laurent Searle, mise en scène d’Anne Heybel

 Spectatrice Laurent Searle, un ancien musicien de la fanfare des Grooms (voir Le Théâtre du Blog),  seul en scène, est assis sur un tabouret en bord de scène. Il improvise,  avec vigueur et subtilité, des situations amoureuses qui vont du coup de foudre à la rupture, et construit un jeu théâtral avec celles des spectatrices qui s’y prêtent sans réticence. «Un spectacle, dit-il, pour ceux qui s’aiment et qui vont s’aimer, un spectacle pour les femmes, les maris, les amantes et les amants, un spectacle pour rencontrer son voisin et sa voisine, un spectacle pour les audacieux, les amoureux transis, un spectacle pour la beauté du geste et la beauté des mots ».
   L’ironie poivrée du comédien suscite des rires d’amis venus en groupe, visiblement complices. Mais… comment sortir de ce cercle étroit, c’est sans doute la gageure du petit théâtre du Guichet-Montparnasse, dirigé par Annie Vergne, qui présente une dizaine de spectacles par semaine, et cela, depuis plus de vingt ans.

Edith Rappoport

Théâtre du Guichet Montparnasse, les vendredis et samedis à 19 h jusqu’au 26 mars T: 01 43 27 88 61. www.guichetmontparnasse.com
 

Voïna (La Guerre)

 

Voïna (La Guerre), d’après La Mort d’un héros de Richard Aldington, L’Iliade d’Homère et Les Notes d’un cavalier de Nicolai Goumilev, livret d’Irina Lychagina, mis en scène de Vladimir Pankov

   VoinaVladimir Pankov dirige un collectif d’acteurs et de musiciens bien connu à Moscou depuis une dizaine d’années, et avait présenté au Théâtre des Abbbesses, il y a presque déjà cinq ans, une sorte de comédie musicale inspirée de Tchekhov (voir Le Théâtre du Blog). Il réitère mais cette fois, mais sur le grand plateau du théâtre de la Ville, avec une fresque épique commandée et créée en Russie pour le centenaire la première guerre mondiale.
  Cela se passe à Paris en 1913 dans un milieu cosmopolite, où des jeunes gens très libres, bien habillés, les hommes en habit noir et les femmes en robe longue et chapeau blancs. En majorité, peu conscients de la tragédie qui se prépare en Europe, ils fêtent Noël en buvant du champagne. On entend le son éraillé d’un ancien tourne-disque. Il y a ici, entre autres, George, un peintre anglais sa femme Betsy, mais aussi des poètes russes Vladimir, et Nicolaï, accompagné d’Anna, sa femme.
On parle beaucoup d’art et de littérature mais aussi, et avec une grande insouciance, de la guerre qui n’a pas encore eu lieu et dont les jeunes gens ne peuvent avoir aucune idée, et qui va pourtant se charger de rebattre atrocement les cartes du monde occidental. La guerre: fléau évident pour certains d’entre eux plus lucides,  alors que d’autres la voient comme une fatalité, voire même comme une nécessité inhérente à toute forme de civilisation.
Avec à l’appui, la fameuse épopée d’Homère qui raconte la guerre de Troie où vont s’affronter les Achéens de Grèce, et les Troyens, avec la complicité des dieux: Zeus, Athéna, Poséidon, Apollon…  Le  siège de Troie dura dix ans, ce qui, pour l’époque, était très long. Les très fameux:  Agamemnon, Ulysse, Achille, Ajax, Patrocle, Nestor, Ménélas, la belle Hélène, et de l’autre côté: les non moins fameux: Priam et sa femme Hécube, Pâris, Hector et Andromaque, Cassandre…  Achille finira par tuer Hector le Troyen, et les Achéens  gagneront cette guerre.

  Quelques mois plus tard, les jeunes gens de Voïna, en proie à une incompréhension totale, vont se retrouver, plongés dans l’horreur des combats et des hôpitaux militaires avec ses mourants et ses blessés. Vladimir apprend, accablé, la mort de George, et Anna emmènera Vladimir consulter un psychiatre, qui, dit la note d’intention, « va inventer un jeu de rôles fondé sur la guerre de Troie ».
Ce qui est moins évident sur le plateau où l’on a du mal à s’attacher aux personnages!  Pourtan musique, chorégraphie, chants et jeu  sont réglés avec un grand soin mais malheureusement toujours comme en force, avec une balance très mal réglée.
Ce dont se défend Vladimir Pankov qui nous a dit n’avoir pas eu le temps nécessaire pour répéter à Paris et que ce Voïna est un spectacle de recherche. Assez étonnant ! Quand on déplace une trentaine de comédiens/musiciens et toute une équipe technique depuis Moscou, on prend ses précautions…
Résultat: au bout d’une trentaine de minutes de cet estouffadou visuel et sonore, avec un texte tricoté sur trois registres, on décroche, d’autant plus, quand on ne connait pas la langue de Tolstoï, qu’il faut se raccrocher aux sur-titrages…
Malgré de belles images:  une trentaine de capotes militaires pendues à de cintres qui descendent d’un seul coup  du ciel, ou ce groupe de jeunes soldats qui transportent un piano/crapaud noir, comme un cercueil (mais on oubliera vite ces images répétitives  de jeunes femmes debout suspendues en l’air) on ressort, de ces deux heures vingt, un peu sonné par cette avalanche d’informations visuelles d’abord, mais aussi orales, textuelles en surtitrage, musicales, chantées qui, collées, n’arrivent pas vraiment à faire sens…
Pour le metteur en scène russe, la guerre n’a rien de quelque chose de confortable et il a fait exprès, nous a-t-il-dit, pour que l’on ne comprenne pas la structure de la pièce… Cette pirouette rhétorique ne nous a pas convaincu.
Le texte raconté ici, et traduit en sur-titrage, associe l’épopée d’Homère aux extraits du roman (1929) de l’anglais Richard Adlington qui fut une sorte de réponse poétique à la guerre. Reste au public à se débrouiller comme il peut, avec ce flot d’images associé aux extraits succincts de cette Iliade finalement mal connue, et aux  les textes de Richard Adlington et de Nikolai Goumilev, le tout enrobé de chansons et de musique jouée en direct sur le plateau par les remarquables comédiens/musiciens.
Sur scène, règne un incroyable va-et-vient, mais réglé par Vladimir Pankov comme dans son précédent spectacle, avec une précision d’horloger.
On retrouve ici la même rigueur de direction d’acteurs, habillés des mêmes costumes noirs et blancs, tous très soignés de La Noce. Aucun doute là-dessus: Vladimir Pankov sait faire, et bien faire, mais ici dans une sorte de sécheresse,  malgré un thème aussi grave, et il ne crée aucune émotion. Bref, cela ne fonctionne pas, et le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces fournées de fumigènes à gogo, et une musique envahissante qui surligne tout. Sans véritable efficacité!
“La guerre, personnage principal de la pièce, dit Vladimir Pankov, est bien au cœur de toutes les situations dramatiques: d’une idée abstraite, elle se fait concrète par la présence de la douleur, et de la terreur ».
On veut bien, mais malheureusement ici, on ne ressent pas grand chose!  Même il a été influencé d’évidence par le fabuleux Wielopole, Wielopole…, n’est pas le grand Tadeusz Kantor qui veut! L’artiste et metteur en scène polonais savait de quoi il parlait: il avait connu la guerre de 14 au plus près, puisqu’une partie de sa famille y avait été tuée. Et il avait aussi bien connu la suivante, avec l’invasion de sa Pologne, vingt ans plus tard… (Il n’avait jamais voulu aller jouer en Russie à cause du massacre en  1940, de plus de 4.000 officiers polonais à Katlin par les sbires de Staline)…
Le gros point faible de Voïna? Une dramaturgie beaucoup trop compliquée, et une mauvaise gestion du temps qui rendent ce spectacle de deux heures vingt, bien long et dans l’ensemble, assez  fastidieux. Vladimir Pankov, malgré une indéniable maîtrise technique, a, cette fois-ci, raté son coup. Dommage.
La diplomatie, en matière d’échange de spectacles, devrait avoir certaines limites…

 Philippe du Vignal

 Théâtre de la Ville, Paris  jusqu’au 15 janvier. Image de prévisualisation YouTube

 

Black to blue chorégraphie de Mats Ek

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Black to blue chorégraphie de Mats Ek

Le monde de la danse a été surpris par le caractère brutal de la décision du chorégraphe qui, à soixante-dix ans,  et après un demi-siècle de carrière, a dit-il, «désormais besoin d’imprévus». Il ne fera plus de créations mais supprime son propre répertoire donné, entre autres, au  ballet du Bolshoi de Moscou ou au  Semperoper de Dresde.
Décision unique en danse contemporaine qui  tranche avec celle du Dance Legacy de Merce Cunningham à New York, ou celle du Tanztheater de Wuppertal qui tient à perpétuer l’esprit de Pina Bausch. Pour sa dernière valse,  Mats Ek a offert au public un programme exceptionnel qui permet de retrouver avec plaisir tous les codes de son écriture chorégraphique, empreinte d’une profonde théâtralité.
Dans sa dernière pièce, Hache, avec son épouse Ana Laguna, et Yvan Auzely, Mats Ek nous montre un duo tendre et fragile d’une grande émotion, chacun d’eux ayant passé la soixantaine… Les gestes, les regards de complicité prennent alors un autre sens, y compris aux saluts.
  Cette décision d’arrêter une carrière mérite le respect… Un acte final assez fort, comme l’a été de manière plus anecdotique, l’envoi de son bouquet de fleurs au public, à la dernière. Mais, dommage pour les passionnés, les chercheurs et les universitaires qui découvriront maintenant son œuvre par le seul biais des vidéos !
Pour un art vivant, même si on sait qu’il est éphémère, cette perspective a quelque chose d’un peu sombre ; la question de la mémoire de la danse a déjà fait l’objet de nombreuses discussions et  sera le thème de de futurs colloques.
   La France entretient un mythe, celui de Molière presque mourant en scène. Mats Ek en a décidé autrement…

Jean Couturier

Spectacle joué au Théâtre des Champs-Elysées, avenue Montaigne, Paris, du 6 au 9 janvier.            

Déjeuner chez les Wittgenstein/Ritter, Dene, Voss

Déjeuner chez les Wittgenstein/Ritter, Dene, Voss de Thomas Bernhard, texte français de Michel Nebenzahl,  mise en scène d’Agathe Alexis

  affiche_dejeuner_wittgenstein-800 Écrite en 1988, c’est l’une des dernières pièces du dramaturge autrichien mort en 1989, et sans doute l’une des plus connues et des plus abordables par le public. Deux ans après son récit, Le Neveu de Wittgenstein qui mettait en scène Paul Wittgenstein, mort dans un hôpital psychiatrique, l’auteur s’inspire là encore de la saga familiale du philosophe viennois Ludwig Wittgenstein(1889-1951).
Moins qu’à une vraisemblance biographique, il s’attache au portrait d’un milieu pathogène, en unissant les personnalités de Ludwig et de Paul. Il s’agit d’un huis-clos entre deux sœurs et leur frère, elles, actrices sur le déclin, et lui, philosophe génial, incompris, misanthrope.
  Les trois «actes»-avant, pendant et après le déjeuner avec Ludwig-présentent, en trois temps, et selon trois points de vue, les rejetons névrosés d’une richissime famille de la haute société viennoise. Thomas Bernhard les imagine, tout droit sortis d’un roman d’ Henry James qui sont, sous sa plume minutieuse et clinique, des enfants de cette Autriche abhorrée, condamnés à s’étioler, au bord de la folie.
  Ils portent le nom des acteurs qui ont créé ses pièces au Burgtheater de Vienne, en hommage à leur travail, malgré les anathèmes proférés contre cet art. «Je hais le théâtre: rien de plus répugnant pour moi», dit Ludwig.
Le premier acte, où les deux sœurs préparent le repas et parlent  surtout de leur frère, est, heureusement, mené tambour battant. L’aînée, Dene, acide sous les rondeurs bonhommes d’Yveline Hamon, tout en marquant une dévotion quasi incestueuse pour son frère, lance des piques à sa cadette, Ritter (Agathe Alexis, fébrile et enjouée), qui oppose à la popote et casanière Dene, un détachement amusé; elle dissimule son angoisse, exacerbée, tout au long de la pièce.
Pendant l’interminable scène d’exposition où l’on attend l’arrivée du frère sortant de l’hôpital psychiatrique, un dialogue/bras-de-fer exprime leur antagonisme et leur jalousie, et impose d’emblée une tension nerveuse et un ton sarcastique. On rit.
Gros plan sur le repas. La pièce se resserre alors autour du trio infernal: Ludwig a rejoint ses sœurs à la table familiale, face aux portraits imposants de la parentèle.  Le philosophe (Hervé Van der Meulen) a des allures de grand ado vieilli, et attaque, bille en tête : haine de soi, des parents, de la médecine, des philosophes, jusqu’aux broderies de la nappe, «même quand c’est la grand mère qui l’a brodée»…

Et les «deux faiseuses de théâtre», ses sœurs ne sont pour lui que des «parasites pervers ». Seule, la musique trouve grâce à ses yeux. Par sa bouche, tout le fiel de Thomas Bernhard se déverse, et les retrouvailles virent au désastre, au moment du dessert ! Le spectacle atteint alors son paroxysme dans les bruits de vaisselle brisée et les éclaboussures de gâteaux écrasés. Pour la plus grande joie des spectateurs…
Vient le moment du café. Rien n’est vraiment apaisé dans «ce caveau  où l’on sert des profiteroles» (…) ; où «tout est noyé dans les soupes et dans les sauces ».  Mais on se pose, histoire de continuer l’éternel jeu de rôles assigné à chacun, dans le drame familial.
Cette belle pièce, malgré sa construction déséquilibrée par une première trop longue séquence, s’entend ici dans toute sa cruauté. Entre comédie et pathétique, la mise en scène choisit le rire, et insuffle élégamment, pendant deux heures vingt, un humour féroce, atroce, mais poignant, à ces personnages, à la fois humains et monstrueux.
Un travail intelligent, sensible, qui donne corps à la traduction rythmée de Michel Nebenzahl et qui porte haut le verbe de Thomas Bernhard.

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Atalante jusqu’au 1er février.  T. 01 46 06 11 90. Les 11 et 12 février, L’Antre 2, Faculté de Lille ll ; du 5 au 10 avril, Studio-Théâtre d’Asnières ; le  26 avril, à La Fabrique,  Guéret

 

Le texte de la pièce est publié aux éditions de l’Arche.

 

Michel Galabru, acteur

imageMichel Galabru, acteur

   Hommage rendu au grand acteur : le jour même de sa mort (impossible d’employer l’euphémisme de sa disparition, tant il est évidemment présent: Antenne 2 a rediffusé La Femme du Boulanger, enregistré en direct le 30 décembre 2010. Michel Galabru n’avait alors que quatre-vingt-huit ans…
 La pièce, adaptée d’un récit de Jean Giono par Marcel Pagnol, a pris un coup de vieux, et s’est « folklorisée ». Elle paraît longue, étirée, trop connue par certaines répliques, dont la fameuse fable de Pomponnette : le boulanger, qui n’ose parler à sa femme repentie, reproche vivement son infidélité à la compagne du chat Pompon. Ce qui s’appelle, toucher par la bande.
Nous avons donc revu la pièce,  mise en scène par Alain Sachs et filmée en public. Décor de crèche de Noël ; comédiens (excellents) jouant comme des santons animés, parlant fort,  avec de grands gestes, bref, en pleine «pagnolade». Il faut peut-être jouer ce théâtre ainsi, mais on se permet d’en douter… Le talent des auteurs vaut mieux que cela, et Michel Galabru l’a prouvé.
Là où d’autres ralentissent leurs entrées, pour donner au public le temps de les applaudir, lui se permet d’entrer presque furtivement, et dans le vif du sujet. Tout de suite, présent, avec son corps de vieux, en marcel,  avec sa voix à la musique ample et riche. Il fait tout ce que font les autres, eux-mêmes sans doute tétanisés par la présence du monstre sacré.

Il peut gesticuler, en faire trop, aller jusqu’au clin d’œil au public, mais tout se met miraculeusement en place, avec l’évidence de la vérité. Difficile de dire d’où cela vient, sinon en l’écoutant, lui qui se définissait comme le Poulidor de la comédie à la française.
On peut être grand, sans être reconnu ou estampillé comme «le plus grand». Cela prouve le peu de pertinence des classements et concours en matière d’art. Sans doute,  a-t-il même fait son miel de cette réussite incomplète à ses yeux. En tout cas, si le talent est de durer, Michel Galabru l’a prouvé.
Dans La Femme du boulanger, il réalise un extraordinaire numéro de funambule sur le fil de l’émotion. Le texte lui offre ce défi qu’il relève avec doigté. À l’instant où il va nous tirer des larmes, il nous ramène sur terre, juste avec une petite modulation de la voix, un infime changement de rythme, et nous fait glisser vers le rire. Il peut aussi laisser sourdre une surprenante violence.
Un danseur de corde ? Un dompteur amoureux de la bête qu’il caresse: le public qui prend tant de plaisir à se laisser mener par le bout du nez. Un matois, un futé.
Que transporte-t-il, le roi des ringards (dit-il de lui, mais roi quand même) ? Une évidente humanité, avec tout ce que cela comporte d’«humain, trop humain », et d’humour qui va avec. Travailler, avec une constance sans faille, à être un acteur complet, sans se prendre pour un acteur, c’est sans doute le secret.
Allons, pour rendre hommage à Michel Galabru, revoir plutôt que les divers gendarmes de Saint Tropez, Le Juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier qui le place à la hauteur de son partenaire, Philippe Noiret. L’un a fait ses classes à la Comédie-Française, l’autre au Théâtre National Populaire de Jean Vilar : cela donne un bon départ.
Après cela, inutile des comparer les carrières ; comédien,  il faut en vivre !
Michel Galabru a accepté ce qu’on lui proposait, et y a, presque en cachette, peaufiné son métier.

 Christine Friedel

Candide

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Candide, si c’est ça le meilleur des mondes… adaptation de Maëlle Poesy et Kevin Keiss, mis en scène de Maëlle Poesy, d’après le conte de Voltaire

Il en faut, des Candide, pour nous faire parcourir le monde, c’est-à-dire l’«humain trop humain». Et encore, Voltaire ne connaissait pas notre capitalisme financier ni le réchauffement climatique. Le jeune Candide, donc, a la chance d’être bâtard et par conséquent de n’être réellement chez lui nulle part, et soumis aux soubresauts (un euphémisme…) de toutes les institutions, à commencer par la famille.
Comme il n’a pas soixante-douze quartiers de noblesse, et qu’il est chassé du paradis terrestre: le château de Thundertentronk,  il ne peut, tant qu’il n’a pas la force de le décide, épouser sa chère baronnette Cunégonde. Les armées avec leur violence organisée rabotent les individus. Et les églises, avec leur intolérance érigée en dogme,  utilisent les inquisitions de toute sorte et la manipulation cynique des âmes rêveuses, pour mieux les gouverner. Là-dessus, son maître Pangloss, l’inaltérable optimiste, lui-même emprisonné, pendu, mutilé, continue à s’émerveiller de l’enchaînement des effets et des causes.
On connaît le voyage de Candide, de catastrophe en catastrophe, de rencontre en rencontre, de retrouvailles improbables, en retrouvailles encore plus improbables. Maëlle Poesy et Kevin Keiss y voient, bien sûr, un roman d’apprentissage, avec un personnage pourtant très résistant à l’apprentissage : il faudra au jeune homme toute l’étendue du récit et un tour du monde connu, pour commencer à s’interroger sur l’optimisme de son maître et  penser à cultiver son jardin.

 Mais surtout, au-delà de la satire (savoureuse revanche sur les critiques de théâtre et le public snob qui se donne un air inspiré), les maîtres d’œuvre du spectacle lisent dans le conte de Voltaire un humanisme lucide et, finalement, optimiste. À côté des grands inquisiteurs et des exploiteurs comme Vanderdendur, il existe aussi de bons anabaptistes, de braves Martin, de fidèles Cacambo, et même un Eldorado, trop beau pour qu’on s’y attarde. Ce n’est pas une consolation mais une réalité. Et puis, les supposés morts revivent, pour les nécessités du récit, au point qu’il faut parfois les tuer à nouveau. Enfin, Candide retrouve périodiquement (et par les hasards le plus fous!) ses amis perdus, mais peut surtout leur raconter ses aventures.
Dans la scénographie astucieuse d’Alban Ho Van, véritable machine à jouer, avec ses transformations express  en champ de bataille, bateau, chambre, mer déchaînée…, le récit joué, démultiplie les comédiens transformistes : Caroline Arrouas, Gilles Geenen, Marc Lamigeon, Jonas Marmy et Roxane Palazzotto, à l’exception de Candide, courant après le meilleur des mondes. Ils racontent, incarnent, illustrent, dansent la pièce, au point qu’aux saluts, on s’étonne qu’ils  soient seulement cinq!

Le tout porté par un travail impeccable du son et de la lumière :nous n’oublierons pas la violence des projecteurs aveuglants évoquant la guerre, ni la tendre caresse d’une lumière chaude sur un visage.Sans insister sur l’émotion, sans souligner à quel point parfois Voltaire «est Charlie»  et les religions, terribles, sans forcer le rire, cette jeune équipe nous donne un spectacle maîtrisé, joyeux, d’une belle maturité. Ni candide, ni, encore moins cynique; du beau, du bon théâtre…

 Christine Friedel

 Théâtre de la Cité Internationale, Paris jusqu’au 24 janvier. T : 01 43 13 50 50

 

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