Qui a peur de Virginia Woolf?

qui-a-peur6gQui a peur de Virginia Woolf? d’Edward Albee, traduction de Daniel Loaysa, mise en scène d’Alain Françon

   Auteur d’une trentaine de pièces et adaptations, trois fois prix Pullitzer pour Une délicate balance, Seascape et Three Tall Women où il exprimait ses sentiments sur sa mère qui l’avait mis à la porte à cause de son homosexualité, il est peut-être plus connu en France pour Zoo Story (1958), La Mort de Bessie Smith et surtout Qui a peur de Virginia Woolf ? (1963) dont Mike Nicols tira un film avec Elisabeth Taylor et Richard Burton.
A une heure très avancée de la nuit, Martha  (Dominique Valadié) et George (Wladimir Tordanoff), deux universitaires, la bonne quarantaine, rentrent chez eux bien imbibés, d’une soirée chez son père à elle, grand patron de l’université. Elle a invité sans demander l’avis de son mari, Honey ( Julia Faure) et Nick (Pierre-François Garel), un couple de jeunes professeurs qui n’ont pas trente ans et qui viennent d’arriver dans le campus.
  « Je ne gueule pas, dit Martha au début, en hurlant. Ambiance ! Le match de boxe va commencer avec ses  principes  et ses codes. George et Martha règlent leurs comptes après vingt-trois ans de mariage, devant  Honey et Nick, témoins à la fois effarés et fascinés, et dont la présence de l’un ou l’autre, voire des deux, est indispensable pour que ce jeu pervers puisse continuer.  Geroge et Martha n’ont pu avoir d’enfant et s’en sont donc inventé un. Ce que ne peuvent deviner Honey et Nick. Mais que le public lui pressent. Et se doute bien que cette  soirée est la nième édition de cet exorcisme.
 Honney a eu autrefois une brève liaison, quand elle était encore au collège et on comprend qu’on l’a obligé à se faire avorter : en conflit avec son père,  elle est tombée amoureuse de George quand il était encore jeune et beau, puis l’a épousé mais il s’est révélé être un piètre substitut paternel. Aucun des deux n’a pourtant voulu quitter l’autre, préférant sans doute les acquis  et l’habitude à la nouveauté. Quitte à boire verre sur verre, pour oublier l’ échec programmé d’une union mal assise dès le départ, et l’enfant qu’ils n’auront jamais.
 Pas de coups physiques sinon le rappel d’une curieuse bagarre où Martha avait réussi à envoyer George dans un buisson de myrtilles. Mais petites et grandes injures verbales, : « gueule de pute, connard, t’es vraiment un salaud, t’assure pas au lit et t’es un larbin». Concours d’humiliations sadiques, phrases acides ou des plus fielleuses qui volent en escadrille pendant cette nuit délirante. Sur fond de whisky à gogo, ce qui finit par rendre malade Honney qui va vomir dans la salle de bains… La soirée marquera pour longtemps les jeunes amoureux : il y aura pour eux un avant et un après et ils ont sans doute vu en miroir et  avec effroi dans George et Marta le couple infernal qu’il formeront peut-être eux aussi dans vingt ans. Et ils sortiront à l’aube sans doute plus amochés que leurs hôtes qui se retrouvent bien seuls à l’aube, mais rompus, eux, à cette séance d’exorcisme qui ne doit pas être la première du genre, même si elle a un moment dérapé.
  Comment monter cette pièce séduisante mais difficile (le texte mouline vers la fin et quelques coupes n’auraient pas été un luxe inutile!), un demi-siècle après sa création ? Les dialogues d’Edward Albee, très bien écrits ont gardé toute leur violence, même s’il sont situés dans une époque précise, celle des années soixante. Alain Françon a conçu une mise ne scène sobre, avec beaucoup d’intelligence, en se fondant sur le langage, et il a sans doute eu raison d’éliminer tout le pittoresque d’un grand salon américain avec fauteuils, table basse en acajou, argenterie, tableaux aux murs, tapis etc.  pour donner à la pièce un cadre intemporel.
 Il a demandé à Jacques Gabel un mur de fond blanc un peu sale, dont voit le châssis de bois (est-ce bien intentionnel ?) et un canapé noir Chesterfield, confortable mais où on peut tenir qu’à trois. Déséquilibre relationnel bien vu : un des personnages de ce quatuor hors normes est donc souvent assis sur une marche de l’escalier rouge qui mène aux chambres.
Ce décor, très sec, tout en longueur et sans profondeur, réduit considérablement l’espace scénique et ne fonctionne pas tout à fait. Mais bon… le texte est bien traduit par Daniel Loyaza, et la direction d’acteurs est impeccable comme toujours chez Alain Françon : Dominique Valadié  joue superbement, avec cette voix chaude, reconnaissable entre toutes dès les premiers mots, et avec une grande maîtrise (et elle doit recommencer tous les soirs !) cette Martha névrosée, imbibée d’alcool, qui rappelle sans cesse à son mari qu’il est un universitaire raté. Et, devant un George médusé qui encaisse le coup avec difficulté, sans rien dire, elle séduit le jeune Nick qui pourrait être son fils et fait l’amour avec lui sur le canapé.
Wladimir Yordanoff, lui aussi magistral, campe un George à la fois soumis à toutes les extravagances que son épouse lui fait supporter mais sait se montrer méchant sans raison, perfide et cynique ; le comédien possède un art du geste méprisant et de la répartie cinglante qui font froid sans le dos…

Julia Faure (Honney) réussit à rendre crédible ce personnage de jeune femme mal dans sa peau mais qui a envie de prendre sa revanche. Pierre-François Garel a un peu plus de mal au début à entrer dans la peau de ce biologiste falot mais devient assez vite convaincant dans les scènes où Nick entre en conflit violent avec George qui chante souvent Qui a peur de Virginia Woolf ? sur l’air de Who’s Afraid of Big Bad Wolf, dans Les trois petit cochons de Walt Disney. Glaçant ! Edward Albee aurait repris ce titre devenu mythique d’une phrase écrite sur le mur d’un bar…
Reste une chose que l’on comprend mal : les éclairages latéraux de Joël Hourbeigt, qui rappellent ceux des toiles d’Edward Hopper et qui dispensent une belle lumière mais tellement chiche qu’on voit souvent à peine le visage des acteurs surtout quand ils s‘avancent vers le bord de scène. Cela dit, cette remarquable mise en scène vaut largement le coup d’être vue, même si le prix des places n’est pas donné…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Œuvre, rue de Clichy, 7509 Paris, jusqu’au 3 avril.  Tél : 01 44 53 88

 

 


Archive pour 4 février, 2016

Les Époux de David Lescot

Les Époux de David Lescot, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

 

 Les époux_ © Christophe Raynaud de Lage_0054Ils  se tiennent debout, derrière des micros sur pied et se préparent à une fête populaire de jeunesse, vêtus selon la mode folklorique roumaine, en rouge et blanc, avec couronne de fleurs pour elle, et chapeau à la valaque pour lui. Sur la ligne de départ, ils piétinent et brident leur énergie, comme s’ils se préparaient à une épreuve d’athlétisme. Personnages clownesques et bouffons, curieux individus, Elena et Nicolae Ceaucescu que l’on reconnaît et que l’on verra plus tard sur les documents vidéo d’époque, sont ici incarnés  par Olivier Dutilloy et Agnès Ponthier, bons  comédiens ironiques et persuasifs.
   Lui, plus grand que le Conducator, et elle, plus petite qu’Elena, l’épouse diabolique… Mais la force du théâtre qui est de suggérer, va du particulier à l’universel. Allègres (jeunes, ils ont adhéré au parti communiste), ils se révèle vite infernaux. Originaires de la Valachie rurale,  au sud de la Roumanie et issus de milieu modeste (fratrie nombreuse, alcoolisme et pauvreté), ils prendront leur revanche,  mais finiront tragiquement, après un procès bâclé que les télévisions du monde entier se feront un plaisir de retransmettre.
  D’abord narrateurs, les acteurs jouent librement les époux Ceaucescu, façon pieds-nickelés, se déshabillent et se rhabillent, selon les cérémonies officielles, discours, réception du général de Gaulle et de son épouse,  ou du couple Nixon.
 Un avion passe dans le ciel, sur les trois murs blancs de  cette chambre claire créée par Anne-Laure Liégeois, trois murs qui figurent en même temps le dénuement de cette salle de classe, où leur destin s’accomplira. On voit sur l’écran vidéo (réalisation de Grégory Hiétin) les parades communistes coréennes, mer de ballets colorés absolument synchro avec vagues de foules, mais aussi l’enterrement de Gheorghe-Gheorghiu-Dej,dirigeant communiste de la République populaire roumaine de 1947 jusqu’à sa mort en 1965. Mais aussi le couronnement du Conducator, son discours pour la non-intervention en Tchécoslovaquie, la chambre du couple dans le palais, et la fin imminente du tyran hué en décembre 1989.
Entre temps, on aura aussi assisté à la naissance de leurs trois enfants, ici des baigneurs en plastique  jetés contre les murs : la mère, sorte de Lady Macbeth, leur fracasserait la tête plutôt que d’abandonner son projet : aider son mari à atteindre le pouvoir suprême.
On assiste à la montée des tyrans, qui s’installent politiquement, en écartant leurs rivaux. Lui, un peu sot, bégaie parfois, et elle, calculatrice, manipule le personnage politique et son bonhomme à elle. Défilent à l’esprit du spectateur, les carrières fulgurantes, mythologiques des Mussolini, Franco, Hitler, Staline,  Mao Zedong, Péron et  Vargas, Sékou Touré ou Idi Amin Dada, et de dictateurs de nos temps violents. Anciens et nouveaux, ils sont l’incarnation vivante d’une volonté de puissance sacralisée. Faux dieux asservissant les masses, et prétendant les guider et dominer le chaos…

 Fascismes, communismes, totalitarismes correspondraient selon historiens et sociologues, à l’explosion dans l’ordre du politique, de religions matérielles nouvelles, modernes et profanes.  » Tout le monde est capable de n’importe quoi », disait déjà Aldous Huxley dans Temps futurs.  Bref, la fascination pour les tyrans ne s’épuise pas, et cette comédie noire de David Lescot, aux dialogues précis et percutants, a quelque chose d’une tragédie d’opérette au goût âcre, où il dénonce la violence comme loi du monde. Un spectacle vif, qui souffle un vent d’humour mais aussi d’inquiétude!

 Véronique Hotte

Théâtre 71/Scène nationale de Malakoff, du 2 au 6 février. T : 01 55 48 91 00.L’Apostrophe/Scène nationale de Cergy-Pontoise, les 25 et 26 mai. T : 01 34 20 14 14

Trois Songes (Un Procès de Socrate)

Festival Odyssées en Yvelines/Théâtre Sartrouville et des Yvelines Centre Dramatique National:

 Trois Songes (Un Procès de Socrate), texte d’Olivier Saccomano, d’après Le Premier Alcibiade, Euthyphron et L’Apologie de Socrate de Platon, mise en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

trois_songes6-®J.-M.Lobbe¦üEn 399 avant J.C., le tribunal d’Athènes accusa Socrate d’inventer de nouveaux dieux, de troubler l’ordre de la cité et de corrompre la jeunesse. Il assure à ses juges qu’il continuera, s’il est acquitté, à toujours aller dans les rues de la ville et à discuter avec tous ceux qu’il croisera, jeunes et vieux, riches et pauvres, gens de peu ou de beaucoup de foi.
   Cette création, inspirée de textes de Platon, ne pouvait pas mieux tomber en ces temps bousculés : nous l’avons vue dans une classe du lycée Saint-Exupéry à Mantes-la-Jolie, dont les élèves sont un exemple de vrai public : la relève de demain.
Discuter avec les esprits en herbe qui demandent à être éclairés, tel est l’enjeu : «Ce n’est pas que cette jeunesse soit incorruptible : il est même facile à ceux qui entretiennent chez elle le désir du pouvoir et de l’argent, qui lui vendent les discours et les vêtements de la réussite, de détruire ou d’avilir cette jeunesse, car je n’ai pas d’autres mots,  la destruction ou l’avilissement, pour ce qu’on appelle la corruption.»
  Socrate promet à ces jeunes la recherche ardue d’un bien : la justice, et ce que nous sommes prêts à lui sacrifier. Il affirme en même temps qu’il œuvre et travaille à porter haut l’élan vital de la jeunesse afin d’affermir sa pensée. Socrate ne cherche pas à adoucir ses juges, même s’il doute de la légitimité de leur tribunal, et ne craint pas la mort physique mais celle de l’âme.
Le sage livre en logique sa dernière leçon : nous devons préférer subir l’injustice que de la commettre. La vie n’a de valeur que juste, il faut donc être prêt à mourir pour cette éthique. Pendant la dernière nuit de Socrate avant sa mort, scandée de trois songes, les êtres qui ont compté pour lui, reviennent le voir : l’impétueux Alcibiade, son ancien disciple, la redoutable Xanthippe, sa femme, et un adolescent inconnu : le public peut-être.
Comme le philosophe qui invectivait les Athéniens, Jean-Marc Layer et Guillaume Riant, se prêtent au jeu avec humilité et conviction, indistincts des autres spectateurs, l’air à la fois ingénu et éveillé. Tour à tour, maître et disciple, Socrate lui-même ou son double.
Ils inversent les rôles: le philosophe, le politicien, le religieux, le juge, pour examiner les rapports qui fondent la cité et révéler le tissage dialectique des visions de chacun. On est dans une véritable salle de cours (écrans vidéo et réseaux sociaux, avec fiches d’identité apparentes), une soixantaine de chaises pour les spectateurs, et travées entre les tables pour le passage des interprètes. Pas d’estrade pour dominer: très proches du public, ils interviennent au même niveau.
Songer, rêver, inventer des liens autres entre les mots et les choses, entre les existences aussi, c’est se livrer à la philosophie. La question du bonheur se pose à l’infini, le public est heureux d’accompagner ce cheminement éclairé, entre l’ironie, le sourire et la crainte qui se faufilent à travers les prophéties : «Mais quand je serai parti, d’autres viendront. Ils demanderont des comptes et ils seront plus jeunes. Et, plus ils seront jeunes, plus ils seront violents. »
À méditer sans fin…

Véronique Hotte


Lycée Le Corbusier de Poissy, le 4 février. Lycée Condorcet de Limay, Lycée Jean Vilar de Plaisir, Lycée Léonard de Vinci de Saint-Germain-en- Laye et Lycée La Bruyère de Versailles, du 8 au 12 février. Lycées des sept mares  et lycée Dumont d’Urville de Maurepas ; Lycée Saint-François d’Assise de Montigny-le-Bretonneux, du 15 au 19 février.
Lycée Louis-de-Broglie de Marly-le-Roi, le 22 mars; Médiathèque Blaise Cendrars et Lycée Simone Weil de Conflans-Sainte-Honorine, le 24 mars.
Lycées du Mantois, du 4 au 8 avril. Lycée Nouvelle Chance Kastler de Cergy-Pontoise, le 20 mai. L’Apostrophe-Scène nationale de Cergy-Pontoise et Val d’Oise, du 20 au 21 mai.

Benjamin Millepied quitte l’Opéra de Paris !

Benjamin Millepied quitte l’Opéra de Paris !

imageSelon France-Info, France-Inter et le site de Paris-Match, le chorégraphe et directeur de la danse à l’Opéra de Paris quitte cette institution. Il avait présenté sa première saison l’an passé et avait recueilli une certaine unanimité quant à ses choix mêlant tradition et  modernité.  
Ce mouvement de fond avait déjà été initié depuis plusieurs saisons par Brigitte Lefevre. Les raisons du départ de Benjamin Millepied : hyper-médiatisation du chorégraphe, lourdeurs administratives de la grande maison, ou d’autres, sont multiples, et encore à découvrir.
   Mais il est triste de voir une telle personnalité ne pouvoir mettre en œuvre un projet  sur une lisibilité  d’au moins trois saisons dont la prochaine  sera présentée à la presse le 10  février puis aux abonnés de l’Opéra,  et qui sera bien la sienne. 
Il y a deux jours, il avait retweeté un extrait de la saison actuelle-très ouverte-avec George Balanchine, Jerome Robbins et lui-même, sans que l’on puisse imaginer une telle décision. Dans le programme de la fin de l’année dernière associant Christopher Wheeldon, Wayne McGregor et Pina Bausch en l’honneur de Pierre Boulez, récemment disparu, on lit cette phrase du compositeur et chef d’orchestre : «Je pense qu’on doit mettre le feu à sa bibliothèque tous les jours, pour qu’ensuite la bibliothèque renaisse comme un phénix de ses cendres, mais sous une forme différente».
 Benjamin Millepied vient de mettre en effet le feu à son projet  pour des raisons profondes que nous découvrirons peut-être un jour. Après l’ablation scandaleuse des cloisons historiques de certaines loges à l’Opéra-Garnier, en total secret et sous l’impulsion de Stéphane Lissner, c’est un nouvel épisode de déstabilisation de  l’Opéra qui en a connus de multiples depuis sa création en 1875. Une conférence de presse y aura lieu aujourd’hui à ce sujet.

Jean Couturier

       

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