Des territoires (nous sifflerons la Marseillaise…)
Des territoires (nous sifflerons la Marseillaise…) texte et mise en scène de Baptiste Amann
Cela se passe en banlieue. Le titre de la pièce pourrait être Pavillon-témoin, dans un quartier resté périphérique. Mais où serait le centre des choses? Baptiste Amann insiste un peu fort sur l’image qu’on se fait de la classe moyenne prolétarisée, avec toile cirée aux gros ananas. Bon, c’est de l’humour et acceptons que ce soit un clin d’œil. Donc : ce jour-là, car il y a inévitablement un jour dans la tragédie, trois frères et leur sœur viennent de perdre leurs parents.
Il faut s’occuper des obsèques, vendre la maison… L’un des garçons, après un accident, est frappé de troubles psychomoteurs, le plus jeune a été adopté tout petit, donné par son père algérien qui a voulu ainsi le sauver. Et la fille fait ce que son statut de fille lui demande : elle “tient la maison“, non sans râler et se protège des regards et rires de ceux qui sont « comme son petit frère ». Et elle se protège aussi de son désir pour le vendeur de pizzas maghrébin.
Puis on trouve de très vieux ossements dans le jardin… L’auteur-metteur en scène dit chercher ce que pourrait être maintenant une révolution. On y entend plutôt: qu’est-ce la France d’aujourd’hui ? Une nation déboussolée mais qui marche quand même, une société qui intègre ses immigrés et les «désintègre», quand elle doit faire face à une grosse difficulté et se débrouille avec ses handicapés.
Dans la scène finale, l’auteur invite, de façon insolite, la figure d’un Condorcet en mauvaise posture, certes, mais représentant d’une France qui peut être fière d’elle-même: refusant d’être «révisionniste » quand il s’agit du Siècle des Lumières.
La famille incarne ici une fraternité bagarreuse, les conflits mineurs cachant bien sûr des frustrations et rancunes plus profondes. Liberté, égalité : les jeunes acteurs, à l’image de leurs personnages, prennent tour à tour le pouvoir, avec énergie, jusqu’à saturation des voix. Ils savent chanter et jouer de la musique. Ils savent aussi ce qu’ils veulent mais il ne faut pas le dire de façon explicative, parce que ça casse le théâtre. Nous entendons ici que ces territoires, tout près des «territoires perdus de la République », sont encore le Pays et que la frontière est plus poreuse que l’on ne croit. Français, encore un effort! disait le marquis de Sade.
Un défi de créer un théâtre politique? Ici, le pari est tenu.
Christine Friedel
Jusqu’au 19 février, Théâtre Ouvert, Cité Véron, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 55 55 50.
Et du 23 février au 5 mars, Comédie de Reims-C.D.N. ( Marne).