Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès

160202_RdL_0093Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, musique et mise en scène de Roland Auzet

  Ce poème, en prose oratoire très ciselée, nous est livré ici comme une longue apostrophe qui engage intimement les deux partenaires en lice, entre éthique et pathétique… Un dialogue existentiel qui interpelle l’autre, être bien réel mais aussi un monologue que l’on s’adresse. On voudrait que cet échange verbal, entre provocation, prière incantatoire  et invocation désespérées, ne s’arrête pas. 
Selon la définition classique, l’apostrophe vient d’un être très ému qui s’adresse au Ciel et à la terre, aux rochers, forêts, et choses insensibles aussi bien qu’aux sensibles. Dans la mise en scène de Roland Auzet, la nature romantique et les champs de coton, métaphores de tous les décors possibles et inégalitaires de notre présence au monde, deviennent ici un quartier fébrile de Paris vers 21h, « à cette heure du jour et de la nuit », celui du Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, au métro La Chapelle, avec ses territoires indien et autres …
Les adversaires surgissent d’une rue bruyante et commerçante où les voitures défilent, venant de trajectoires opposées, et arrêtées au feu rouge. Des groupes de gens en désordre  vont pénétrer dans le théâtre.  Au début, le public muni d’un casque,  saisit ainsi les moindres signes sonores: intonations, exaspérations et adoucissements  des actrices sur la musique  de Roland Auzet.
Anne Alvaro (le dealer) et Audrey Bonnet (le client), s’apostrophent et s’invectivent, répondant à l’expression d’une émotion vive ou profonde, et affectées  par une question : la valeur marchande du désir pour une drogue, drague, arme, objet illicite, voire un regard trop appuyé sur l’autre : «Je ne voudrais jamais de cette familiarité que vous tâchez, en cachette, d’instaurer entre nous. Je n’ai pas voulu de votre main sur mon bras. »
Le poids de cette main fait tout le contentieux de l’affaire, appréhension physique et symbolique, comme celle d’un bandit sur sa victime. Le client ne le supporte pas, et souffre de ne pas savoir de quelle blessure il est meurtri.
Dealer ou client, brute ou demoiselle, selon la terminologie de l’auteur, chacun est à la fois l’un et l’autre, et ne craint pas ce qu’il est capable d’infliger mais bien ce dont il est incapable : les douleurs distribuées au hasard de rencontres aléatoires. Sur le fil coupant d’une existence ressentie à fleur de peau : « Alors, ne refusez pas de me dire l’objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire. »
 Si l’on voulait enfin couper la boucle infernale de la parole, il  faudrait se raconter un peu, en ne livrant pas tout, en gardant en réserve pour soi, contre les mensonges et les apparences ludiques: respect, douceur, humilité, amour… Anne Alvaro fait entendre ruptures et déchirements, avec sa voix grave, sous l’apparence de l’amour ; Audrey Bonnet, elle, se rebelle, contourne sa complice, telle une gazelle qui se cabre, se lance, disparaît puis revient à l’attaque.
Un match sublime.

 Véronique Hotte

 Théâtre des Bouffes du Nord, Paris du 3 au 20 février. T : 01 46 07 34 50

 

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