Réparer les vivants

Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, adaptation et mise en scène de Sylvain Maurice

 

reparerlesviavnts1©E.CarecchioLa mort est ce par quoi se termine la vie; autrement dit, est mort celui qui a cessé de vivre. Le défunt, existe pourtant dans l’au-delà ou dans la mémoire des hommes. La partie durable du cadavre, le squelette, et surtout le crâne, abri de la pensée, signifient dans la plupart des civilisations, le danger mortel.Plus qu’un muscle anatomique, le cœur, en échange, livre ses battements perceptibles en divers points du corps; signe essentiel de la vie qui capte la source des émotions ou des décisions, il est le siège de la sensibilité affective, des passions et de la volonté, où le mystère de la personne survit en secret.
Le roman de Maylis de Kerangal sur la mort brutale d’un jeune homme et l’urgence d’une transplantation cardiaque, a été adapté et mis en scène avec tact par Sylvain Maurice. Thomas Rémige,
infirmier-coordonnateur des prélèvements, procède au rituel funéraire sur  Simon Limbres, tué accidentellement à dix-neuf ans. Après les prélèvements d’organes effectués au bloc opératoire de l’hôpital, l’ange accompagnateur lave le défunt, le recoiffe, l’enveloppe dans un drap immaculé. Son corps devient alors objet de contemplation et déploration pour les proches, en vue d’un dernier hommage.  L’ange chante pour le combattant héroïque des flots marins, familier de surfs guerriers dans la splendeur de sa jeunesse. Cet homme ( Vincent Dissez) fait don absolu au théâtre de son corps et de sa parole.
Avec une forte présence, il s’empare de tous les rôles: père et mère du jeune homme, médecin, infirmier, chirurgien, et sur un tapis roulant, danse comme un elfe et fait parfois une  pause bienfaisantes quand le tapis s’arrête. Avec des flashs sonores surgissant sous les pleins feux, (scénographie et lumières d’Éric Soyer), la musique de Joachim Latarjet donne le tempo avec des accents jazz et pop.
Avec un récit ponctué par les interventions de tous les protagonistes, la randonnée théâtrale suit ses pics et ses gouffres, jusqu’aux haltes forcées où reprendre enfin son souffle fait du bien. La danse, à la fois improvisée et contrôlée du comédien sportif, raconte l’éphémère entre-deux des vivants et des morts, passage si douloureux pour ceux qui restent.

   Entre ambivalences et oppositions, le cœur est associé à la fois à la vulnérabilité mais aussi à la résistance et au courage, sanctuaire des intentions secrètes: ce dont fait preuve l’acteur, avec la belle performance d’un corps retrouvé. A côté de l’angoisse devant la perte d’un être cher et de sa présence affective que rien ne pourra jamais remplacer, se déploie la force revigorante des réparés. Un bel éloge des solidarités humaines associées aux techniques médicales très pointues.

 Véronique Hotte

 Théâtre de Sartrouville Yvelines/Centre dramatique national, du 4 au 19 février. T. : 01 30 86 77 99.


Archive pour 8 février, 2016

La Chambre de Milena

La chambre de Milena, texte et mise en scène de Filip Forgeau

 

hva5ndbeszeq6wtyf5bk « On dit d’elle qu’elle est née le 10 août 1896 à Prague. On dit d’elle que ses excentricités choquaient la mentalité provinciale des Praguois. (…) On dit d’elle qu’elle a eu à faire plusieurs fois à la police, la première fois pour avoir cueilli des magnolias dans un jardin public.(…) On dit d’elle que son premier article, intitulé Noël dans la ville affamée, est paru dans le journal Tribuna le 20 décembre 1919. (…) On dit d’elle qu’elle a été membre du parti communiste (…)  On dit d’elle qu’elle a été une figure essentielle de l’émancipation de la femme. (…) On dit d’elle, à qui Franz Kafka avait écrit : «Toi, si vivante, et qui vit à de telles profondeurs… », qu’elle meurt, déportée, le 17 mai 1944, à Ravensbrück (…). »
Une voix off, égrène ces phrases en guise d’épilogue et d’épitaphe à Milena Jesenskà, traductrice en langue tchèque et muse de Franz Kafka. Filip Forgeau, fasciné par les chambres d’écrivains, «lieu d’observation et d’introspection, lieu à la frontière du dedans et du dehors», propose, avec Les Chambres, une série de portraits fictionnels dont Rosa Liberté (Rosa Luxemburg), ou La Chambre d’Anaïs (Anais Nin)…
Ici, il nous invite chez Milena, la vraie, qu’il présente en pleine lumière, et non plus dans l’ombre de l’auteur praguois.
A partir des articles, correspondances et d’un récit autobiographique Vivre, il compose un portrait contrasté de cette jeune femme, tantôt juvénile et facétieuse, tantôt inquiète, minée par d’étranges prémonitions, et enflammée par des convictions politiques radicales, souvent plongée dans des rêves douloureux, que souligne le son d’un micro aux fortes réverbérations.
Parfois, elle regarde le monde par sa fenêtre. Lui parviennent rumeurs du fascisme naissant, grondements de la guerre, et roulement des longs et lourds convois vers la mort. Elle s’indigne. Et, de séquence en séquence, elle dialogue avec son étrange amoureux errant au royaume des ombres, par le biais de la voix enregistrée de Daniel Mesguish, parfait en fantôme de Franz Kafka.
Le metteur en scène maîtrise les artifices du théâtre: miroirs, velours rouges, livres, objets du quotidien créent un univers féminin sur le plateau exigu; lumières et bande-son accompagnent l’actrice dans son solo. A l’avant-scène, une servante éclaire des bribes de confidences adressées au public.
Soizic Gourvil incarne une Milena douce et vive. Plus à l’aise dans le côté  enfantin et lumineux que dans le versant sombre du personnage. «T’aimer, lui écrivait Franz Kafka, c’est comme entrer avec une barque dans une petite baie naturelle.» Elle interprète la rêveuse, plutôt que la pasionaria, qui, dès l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée nazie, entra dans la Résistance et fut arrêtée par la Gestapo en novembre 1939.
En contrepoint de ce monologue, s’esquisse la présence en creux de Franz. Le timbre sensuel et feutré de Daniel Mesguich donne toute sa dimension au poème dramatique, au risque de reléguer l’héroïne à la figure d’égérie que la postérité lui a réservée et qui a éclipsé les aspects de sa personnalité complexe. Mais l’écriture fluide et rythmée, le sens de la mise en scène de Filip Forgeau confirment son talent d’homme de théâtre.

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Atalante, jusqu’au 22 février.  T.: 01 46 06 11 90.
Le texte est publié aux éditions Le bruit des autres.
Rosa Liberté sera présentée au Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, du 10 au 27 mars.

 

Richard II de William Shakespeare

Richard II de William Skakespeare, traduction et adaptation de Clément Camar-Mercier, conception de Guillaume Séverac-Schmitz/collectif Eudaimonia

 

   Richard IIC’est l’histoire tragique du roi Richard II qui, après un règne de vingt-deux ans, abdiqua. Son oncle, le duc de Gloucester est assassiné par des gens de Richard II ; à la suite d’accusations réciproques de ce meurtre, Bolingbroke, fils aîné de Jean de Gand, cousin du roi, et le duc de Norfolk règlent leur contentieux devant un tribunal présidé par Richard II qui les condamnera à l’exil, Bolingbroke à six ans et Norfolk, à vie.
 Jean de Gand meurt et  le roi s’empare alors de sa fortune pour aller faire la guerre en Irlande, déshéritant ainsi Bolingbroke qui va quitter sa terre d’exil, la France, et au Nord de l’Angleterre, rassemblera des troupes et marchera vers le Sud. Il fait aussi exécuter les opposants, restés fidèles à Richard II qui, abandonné par ses derniers partisans et trahi par les amis de Bolingbroke, est capturé par ses troupes.
 Bolingbroke réclame l’héritage de son père, ce qui lui est accordé, mais, peu de temps après, il ravira, sans aucun droit, la couronne d’Angleterre.
 Richard II abandonnera sans lutter son titre royal, comme s’il était fatigué du pouvoir et de ses pourritures. Et Bolingbroke sera couronné sous le nom d’Henri IV. Mais en prison, Richard II meurt assassiné…sans doute par un proche du nouveau roi.
  La pièce moins souvent jouée que Richard III, fascine souvent les jeunes metteurs en scène comme Jean Vilar; ce fut la première pièce de cette semaine d’art en Avignon en septembre 1947 qui devait devenir… le très fameux festival.
Comme aussi Patrice Chéreau qui la monta avec succès vingt-trois ans plus tard. Et Ariane Mnouchkine, vingt-deux ans  après. Cette presque régularité temporelle est peut-être aussi une indication de la difficulté qu’il y a à monter la pièce.
D’une intense force dramatique par moments, mais souvent longuette, elle se révèle aussi complexe pour un public du XXI ème siècle, ignorant  les méandres de l’histoire d’Angleterre et demande à être adaptée. Elle comprend une trentaine de personnages dont la reine, Isabelle de Valois, épouse de Richard II, le duc d’York, Bolingbroke, Norfolk, la duchesse d’York, la duchesse de Gloucester, et de nombreux officiers, serviteurs, gens du peuple.

  Le collectif Eudaimonia a donc entrepris d’en faire une adaptation à partir d’une nouvelle traduction. Non sans “un travail dramaturgique nécessaire pour appréhender les lignes de tensions, les enjeux, les situations, les objectifs, l’espace de jeu. Et aux acteurs de s’emparer de ce matériau pour le rendre vivant.”
 Et cela donne quoi? Du pas très intéressant comme dans une première mise en scène, et du très bon, voire de l’excellent. Ce travail fait justement penser à celui du jeune Patrice Chéreau qui avait presque le même âge que Jean Vilar et Guillaume Séverac-Schmitz quand ils montent la pièce, et que William Shakespeare écrit à trente-et un ans…. Curieux, non pas vraiment: il faut l’énergie de la jeunesse pour écrire et/ou monter cette longue histoire sanglante de famille, filiation et trahisons!
Cette mise en scène comporte des erreurs mais aussi de grandes qualités: la direction d’acteurs très inégale correspond à une note d’intention assez prétentieuse: “cette dualité (de changement de rôle) oblige les acteurs à troquer la globalité d’un jeu linéaire pour la versatilité d’un jeu protéiforme. Ainsi, la vie peut arriver sur scène”.

Et la vie arrive, heureusement! quand un Thibaut Perrenoud, très crédible et souvent sublime, s’empare du rôle de Richard II et abandonne la couronne royale avec ces vers célèbres: “J’échange mon sceptre contre une canne de marche (…) et mon très grand royaume contre une petite tombe, une toute petite, petite tombe, très sombre. Cela ne changera pas grand-chose, car mon cœur, aujourd’hui, est lui-même piétiné”.
Le reste de la distribution est beaucoup moins convaincant; fréquentes criailleries, manque d’unité dans le jeu et on comprend très mal Olivia Corsini, ce qui plombe les scènes où elle apparait… A qui la responsabilité? On ne saura pas, puisque c’est, revendiquée, l’œuvre d’un collectif…
  La traduction a le mérite de reprendre des mots crus contemporains quand il s’agit d’injures: Clément Camar-Mercier a eu raison de faire figurer : connard, mec, etc. : exact reflet de la violence verbale et des niveaux de langage que l’on trouve chez Shakespeare mais semble aussi parfois approximative: des habits de pauvre deviennent “torchon”; “obscure grave” en anglais, est bizarrement traduit par tombe “très sombre”, alors qu’il s’agit plus, comme le contexte le montre, sans doute d’un “humble  tombe anonyme”,  affublée ici de quatre fois : “petite”, au lieu de trois dans le texte original.
 L’adaptation, pas toujours très claire, aurait mérité l’affichage d’un résumé des événements comme l’avait fait Ivo van Hove pour Kings of war. Guillaume Séverac-Schmitz nous dira sans doute que l’on n’a pas besoin de tout comprendre mais cela aurait facilité la saisie de la pièce ici largement adaptée; un couple d’étudiants, assis près de nous, avait du mal à se retrouver dans cette série de personnages interprétés par sept acteurs seulement, qui jouent donc jouent plusieurs rôles.
Le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces stéréotypes très en vogue comme cette mise en abyme et ce théâtre dans le théâtre.  (Avec plateau nu, sans pendrillons donc pas de réverbération et où les voix se perdent souvent), tubes de faux sang que l’on fait gicler à vue comme chez Philippe Macaigne, fumigènes déversés à gogo et soufflés par de gros ventilos, jeu dans la salle qui reste parfois éclairée, (c’est revendiqué mais ce “ rapport actif entre scène et salle » fait ici pschitt!) et, à la fin, pétales rouges tombant des cintres, grognements de basses et musique sans grande unité, à la fois baroque avec Les Vêpres de la vierge de Monteverdi, John Dowland et Thomas Tallis mais aussi Nirvana, Pink Floyd et Le Sacre du Printemps de Stravinki.
Bref, le Conservatoire national n’a pas bien joué son rôle; enseigner, c’est aussi mettre en garde contre la mode et le snobisme. Mais bon, pas très grave et cela peut être revu. Enfin, pour une fois, on aura échappé à la vidéo, autre fléau des temps actuels.

  Mais le spectacle a aussi des vertus et non des moindres: par exemple, ce prologue avec le meurtre de Gloucester dans une baignoire, belle image picturale, très soignée; même s’il vaut mieux avoir lu la pièce pour comprendre que l’auteur de cet assassinat est bien Richard II. Il y a aussi cette violente dispute, arbitrée par le roi, entre Bolingbroke et Mowbray, duc de Norfolk, ces quelques  drapeaux qui flottent dans le vent pour figurer la grande armée de Bolingbroke, la pluie fine qui tombe sans fin sur les combattants, cet impressionnant drap taché de sang, ou cette vison d’enfer quand Richard, à la fin, emprisonné, est allongé nu devant une fenêtre avec une lumière des plus glauques…
Autant de moments  forts mis en scène  avec une belle maîtrise de l’espace, chose pas si fréquente chez les jeunes metteurs en scène, et loin des approximations du Richard III de Thomas Jolly. Surtout avec une pièce aussi difficile que Richard II. C’est, redisons-le, une première mise en scène dont on oubliera les erreurs et il faut faire confiance au temps. En tout cas, Dominique Bluzet a eu raison de l’inviter à Marseille.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre du Gymnase 4 rue du Théâtre français, Marseille, le 5 février.  Les 12 et 13 février, Scène Nationale-Le Cratère d’Alès (Gard) ; 
le 16 février, Théâtre Roger Barat à Herblay (Yvelines); le 
19 février, Espace Lino Ventura de Garges-lès-Gonnesse (Val-d’Oise) ; les 
13 et 14 mars, Le Figuier Blanc, Argenteuil (Val-d’Oise).

 
 

 

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