Blé, Clinic Orgasm Society
Blé conception et direction artistique de Ludovic Barth et Mathylde Demarez
Le collectif belge Clinic Orgasm Society s’est lancé, depuis quelques années, dans un triptyque autour du concept de normalité.
Blé, créé au Manège de Mons en 2013 en constitue le deuxième volet (après Pré et avant Fusée ) .
«Le jeu est de faire un spectacle avec des gens qu’on ne connaît pas et qui ne savent rien de ce qui va se passer, expliquent les metteurs en scène. (…) Ils ne le sauront toujours pas à la fin du spectacle. C’est très excitant pour nous de monter sur scène chaque soir et de découvrir ces nouvelles personnes. Leur corporalité, leur voix, l’énergie du groupe. »
Ludovic Barth et Mathylde Demarez expliquent le principe de la «reconstitution» à laquelle nous sommes conviés. Puis, sans pour autant disparaître du plateau, laissent la place à cinq comédiens amateurs, censés les représenter tous les deux, c’est-à-dire le père et la mère, ainsi que d’autres membres d’une famille.
Recrutés au hasard des tournées, et différents chaque soir, affublés de casques, ils vont découvrir, au fur et à mesure, texte, déplacements et gestes qui leur seront dictés. Ils investissent cuisines et dépendances, sous l’œil inquiet des deux metteurs en scène qui s’agitent (beaucoup !) en contre-champ, l’un fournissant des accessoires à leur recrues, l’autre, maître du temps et des cérémonies, tournant les aiguilles de la pendule, ou dépeçant un lapin promis à la casserole.
C’est un dimanche ordinaire, chez des gens banals, entre 16 heures 07 et 23 heures 06. La mère cuisine, les enfants jouent, le père cherche le chien, la grand-mère tire les cartes… Ils échangent des propos d’une absolue platitude… Il ne se passe rien, jusqu’au dénouement, tragique, qui transforme cette histoire en fait divers sanglant, objet de cette reconstitution .
L’écriture s’est faite au plateau, à partir d’improvisations réécrites par une auteure (Marielle Pinsard), puis enregistrées. Le texte est assez sobre, minimaliste, mais sans aucun relief, ennuyeux. Les «casqués», chacun téléguidé par un instructeur, réagissent aux ordres de manière décalée, ce qui les rend un peu bizarres avec des allures d’aliens ahuris. Ne les comparent–on pas à des intrus, des zombis, à l’instar de Boucle d’or dans la maison des trois ours? Trop normaux pour être normaux ?
Mais cet effet de Verfremdung, d’inquiétante étrangeté, ne dure qu’un temps et, malgré une musique rappelant celle des films de David Lynch, le rythme devient pesant à force de fadeur…
Le non-jeu des comédiens cobayes, d’abord fascinant, voire amusant, finit par lasser, et les nombreux temps morts ne ménagent aucun suspense. Les comédiens amateurs suivent les consignes, que pourraient-il faire d’autre ? Pour leur plus grand plaisir et celui du public, semble-t-il. La plupart ont apprécié cette aventure, et certains se disent troublés d’avoir pris goût à être télécommandés.
Mais à quoi bon cet exercice ? Que veut-on démontrer ? Que la banalité engendre la folie meurtrière ? Que toute famille porte en elle ses propres névroses ? Que la manipulation est chose dangereuse ?
Concept séduisant, dispositif sophistiqué bien rôdé, mais on sort de cette expérience plutôt perplexe…
Mireille Davidovici
Le Tarmac Paris jusqu’au 13 février. T. 01 43 64 80 80