Cuando vuelva a casa voy a ser otro
Cuando vuelva a casa voy a ser otro, (Quand je rentrerai à la maison je serai un autre), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (spectacle en espagnol sur-titré)
Le passé ne peut ni se saisir ni se rattraper, variable et fuyant à l’infini ; à chaque fois qu’on tente de se l’approprier, il se rétracte et n’est plus accessible. Révélateur de ce temps qui passe pour ne jamais plus revenir, le tapis roulant plutôt comique du dispositif scénographique de Mariana Tirantte, installé de jardin à cour sur le plateau, participe d’ un spectacle pétillant et facétieux.
Santiago Gobernori, Andrea Nussembaum, Mauricio Minetti, Agustin Rittano et Julieta Vallina, joyeux et enthousiastes, défilent sous les yeux du public amusé par ce travelling cinématographique impromptu, du théâtre animé fait d’apparitions et disparitions.
Pourtant, le cadre initial de ces vies répertoriées: un père, son fils, une chanteuse de rock et un militant de gauche, ces derniers quarantenaires, prend sa source pendant la dictature militaire argentine, en 1976.
Le père redécouvre quarante ans après les avoir enfouis dans le jardin parental, des trésors de guerre, des documents politiques compromettants, cachés pour sa survie d’opposant politique. Mais la vie et ses jours irréversibles nous échappent : « Nous sommes tous faits de récits, nous sommes ce que nous racontons de nous-mêmes. »
Qu’est devenu le combat du père dans ce présent amoindri et assoupi ? Le fils tente de ressaisir cet esprit subversif qui œuvrait dans le risque pour changer le monde et initier des aventures nouvelles et régénératrices, politiques et sociales. Le présent désenchanté et sans risques s’annonce décevant, sans idéal collectif ou même individuel : l’héritier de cette histoire fondatrice a lui-même connu un certain succès avec El Rio, un spectacle qu’il a écrit et mis en scène, voici quinze ans déjà.
Depuis, il travaille pour des campagnes électorales et des partis approximativement de gauche. Il utilise dans ces aventures commerciales une chanson retrouvée dans le sac politique paternel, dont l’origine est perdue. La chanteuse de rock reconnaît dans cet air une composition de son père disparu, et rencontre un compagnon de route du défunt. Quant au dernier militant de gauche, il a renoncé à la politique, et en quête désœuvrée de lui-même, a usurpé l’identité de l’auteur de El Rio. La réflexion de Mariano Pensotti s’attache à cette reconnaissance identitaire et à la figure du double qui serait un autre soi-même à traquer et à retrouver pour exister.
La scène accumule des éléments d’arts visuels et de cinéma, des techniques narratives du roman, des restes légendaires du Musée Archéologique de Patagonie disparu que l’auteur a visité dans son enfance. Avec images vidéo, musiques rock, vignettes commentant les scènes successives, parades enfantines de petits objets de collectionneurs obsessionnels et facétieux, et acteurs toniques qui changent d’aspect en tourbillonnant, jusqu’à incarner des travestis paraguayens chantant les Beatles. L’interrogation esthétique et philosophique se fait ici le lieu juste du théâtre.
Véronique Hotte
Maison des Arts de Créteil, du 10 au 13 février. T: 01 45 13 19 19. Théâtre de Nanterre-Amandiers, du 17 au 20 février. La Filature de Mulhouse, les 25 et 26 février.