Millibar, une ritournelle chorégraphique
Millibar, une ritournelle chorégraphique, chorégraphie de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, film de Pierre Cottreau, d’après L’Irréversible et la Nostalgie de Vladimir Jankélévitch.
L’une danse, l’autre filme. La même petite pièce, depuis 1998, répétée à l’infini, en plein air, dans une centaine de villes : «Aussi longtemps que je pourrai danser, dit Geisha Fontaine.» Quarante secondes, captées de voyage en voyage, d’année en année, aux quatre coins de la planète : sur une terrasse du Caire, sous les remparts d’Alep, dans les ruines de Beyrouth en 1999 ; sous les gratte-ciel de Shanghaï en 2007; une manifestation à Athènes, en 2013… Sur une terrasse, le linge vole au vent ; dans le port de Valparaiso, une petite fille regarde intriguée la danse ; sur une place de Saint-Denis, un passant virevolte ; au large du pont de Brooklyn, une péniche se profile…
Les paysages contrastés du monde varient, les témoins de la danse sont cosmopolites, sans que le costume de la danseuse, ni le format super 8 du film ne changent. Mais le temps passe…
Qu’adviendra-t-il de ces quelques pas déclinés au gré de ces voyages, et fixés dans l’intemporalité des images de Millibar? Et d’ailleurs, que reste-t-il d’une danse ? Et de la pellicule, support fragile se dégradant à chaque projection ? Et des lieux, comme la citadelle d’Alep aujourd’hui bombardée ? L’éphémère ne réside pas seulement dans le mouvement dansé…
Pour répondre à ces questions, à l’issue de la projection du film, montage dynamique et coloré de multiples séquences, Geisha Fontaine reprend sa petite pièce, au présent du plateau, et la confronte avec les interprétations proposées par trois autres danseurs. Chacun y va de sa chorégraphie personnelle. Commentaires à l’appui, les artistes définissent ce qui appartient au passé dans les mouvements de la ritournelle et pourrait la moderniser, et quelle en serait la forme dans le futur.
Mêlant la finesse d’analyse à l’intelligence de leur gestuelle, les quatre interprètes offrent au public une histoire illustrée de la danse contemporaine, une réflexion amusante et ludique. La compagnie Mille Plateaux Associés, dont le nom et la démarche font référence au livre Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari, explore les formes actuelles du spectaculaire, en abordant des thèmes tels que la beauté, le mouvement, le regard…
Ici, danse et cinéma interrogent le temps: «L’irréversibilité même du temps définit la temporalité, écrit Vladimir Jankélévitch (…) L’homme est toute temporalité, et ceci de la tête au pied, et de part en part, jusqu’au bout des ongles (…) L’homme est un irréversible en chair et en os. »
Le spectacle, présenté deux soirs, en clôture du festival Faits d’hiver (13 janvier-11 février), organisé à Micadanses (Mission Capitale danses), mériterait de trouver le chemin vers d’autres scènes.
Mireille Davidovici
Vu à Micadanses le 11 février.
A lire : Les Danses du temps, de Geisha Fontaine, publié par le Centre national de la danse.